Nuelasin n°227 – 12 décembre 2025

C’est la fin de l’année. Le Bético glisse au large de Jozip, et sur le pont les passagers contemplent la cocoteraie qui défile le long du littoral. Bientôt, Traput apparaît, avant l’entrée dans la grande baie de Hacetranu où le navire accostera. Sur le quai, les familles venues accueillir leurs proches s’agitent, s’appellent, se reconnaissent à grands cris et sifflets. Le temps que les marins stabilisent le bateau, les passagers descendent enfin pour toucher terre. Les vacances commencent.

Un proverbe drehu me revient alors : « The aji enexölekö la he » — Ne saute pas du bateau.Autrement dit : « Attends qu’il soit arrivé pour descendre. » C’est la leçon que nos éducateurs dans le temps nous répétaient chaque fin d’année, comme une mise en garde avant chaque départ de l’internat. La plupart des élèves respectaient la consigne. D’autres, non.

Je pense à ceux qui viennent d’être exclus cette semaine pour avoir consommé de la C.E. L’un d’eux, que j’ai convoqué, s’est permis de fouiller dans les affaires d’une prof posées sur le bureau, devant toute la classe. Puis il est sorti pour jeter des mangues sur le toit de la salle. Insolent, bavard, provocateur. Pour que les révisions se poursuivent dans le calme, j’ai dû appeler ses parents pour venir le chercher.

Dans mon bureau, je lui ai demandé s’il avait conscience de son attitude désinvolte. Il m’a répondu oui, ajoutant qu’il était prêt à rentrer chez lui. Je ne sais pas ce qu’il fera pendant ces jours de révisions. Mais je sais, par des chemins détournés, que ses parents ne lui diront rien. Il restera à la maison, absorbé par les jeux électroniques, les réseaux sociaux, la cigarette… Voilà ce qu’est devenue la vie des jeunes.

Je repense à ce titre, Tristes tropiques, que Lévi-Strauss avait donné à son ouvrage.

Nous sommes le mardi 09 décembre 2025. C’est ma dernière heure de drehu. Les élèves de 4ème sont là. Je leur ai donné mon heure. Je leur ai dit de s’occuper comme ils entendent. Kamou a levé la main pour demander d’aller au tableau. Ils se sont entendus pour jouer au pendu. Pas de bruit. Que des murmures pour proposer des mots. De plus en plus silencieux. De plus en plus découragés. Comme des écharpes agitées sur les quais des aux revoirs. Il n’y aura plus de mois de décembre devant élèves pour moi. Tous faits et gestes sonnent déjà comme un départ. 

Pour accompagner le vieux Maselo, je propose ma soirée d’hier où je suis allé à Koumac pour suivre la soirée de mon petit-fils. Puissant !

Bonne lecture à vous de la vallée. Wws 

Dans la petite voiture de Maselo

Tchaou a demandé à Maselo de l’emmener au bus. Son fils arrive de Nouméa. Il est encore à l’université, les autres enfants ont déjà largué la formation. 

Tchaou : Tein, laisse ton sac dans le coffre et viens t’asseoir à mes côtés. J’ai besoin de te parler. 

Tein : (en entrant dans le taxi) Oui, papa. Tout va bien ? 

Tchaou : Écoute, je suis fier de toi. Tu es le seul à continuer les études jusqu’à la deuxième année de Licence. Tes frères et sœurs ont tous abandonné… Mais toi, tu tiens. Je ne veux pas que tu fasses comme eux. 

Tein : (avec un sourire) Merci, papa. C’est vrai que ce n’est pas toujours facile, mais je veux vraiment obtenir mon diplôme et montrer que c’est possible. 

Tchaou : (avec inquiétude) Et si les choses deviennent trop difficiles ? Je ne veux pas que tu te perdes ou que tu laisses tomber. C’est ton avenir qui est en jeu. 

Tein : Papa, je comprends ton inquiétude. Mais je suis motivé. Chaque fois que je me sens découragé, je me rappelle pourquoi je fais tout ça : pour avoir un travail, une stabilité, et pouvoir aider la famille. 

Tchaou : (en hochant la tête) Tu sais, la pression peut être lourde. Il ne faut pas seulement penser à nous. Pense à toi aussi, Tein. Tu as le droit de chercher ce qui te rend heureux. 

Tein : (pensif) Je sais, papa. Mais pour moi, obtenir un diplôme, c’est déjà une forme de bonheur. Ça me montre que je peux réussir, malgré les difficultés. 

Tchaou : Alors promets-moi une chose : si tu ressens que tout devient trop dur, viens me voir. Je suis là pour t’écouter, pour t’aider à trouver une solution. 

Tein : Je te le promets, papa. Et toi, promets-moi de toujours croire en moi, même si je trébuche parfois. 

Tchaou : (souriant) Je te promets, Tein. Je crois en toi. Tu es notre espoir, et j’ai confiance que tu arriveras au bout. 

Tein : Merci, papa. Avec ton soutien, je me sens prêt à tout. 

Tchaou : Alors va, continue de travailler dur. Et n’oublie jamais que la famille est derrière toi. 

Tein : Je n’oublierai pas. Merci, papa. 

Wanap 

Il est 22h39 sur mon portable, et la pression n’est toujours pas retombée. Je reviens de Koumac, où j’ai assisté à la soirée organisée par les élèves de notre école de Wanap. C’était Madame Carole qui organisait l’événement.

Parmi toutes les manifestations, une prestation continue de résonner en moi : la danse des élèves de la classe de CM2, un groupe composé uniquement de filles. Elles ont dansé pour remercier leur institutrice, mais aussi pour lui dire au revoir avant leur départ au collège.

Je les revois encore : leurs mouvements amples et coordonnés, leurs pas harmonieux, leurs cheveux qui suivaient le rythme, retenus par de belles couronnes. Il y avait, dans leur danse, une forme de maturité naissante, une manière de s’affirmer, d’afficher leur engagement et leur reconnaissance envers celle qui les a accompagnées pendant ces années d’école.

Le moment le plus marquant reste celui de la prise de parole d’une élève. Sa voix tremblait. À la fin de la chorégraphie, elle s’est avancée pour enlacer Madame Carole. Les autres filles ont suivi, bras dessus bras dessous, se tenant les mains, comme pour sceller un dernier instant d’unité. Elles se sont embrassées, puis séparées, les larmes coulant autant sur le visage de l’enseignante que sur celui de la petite fille.

Dans le public, les applaudissements et des cris ont fusé, et certaines mamans pleuraient aussi. Le geste était fort, trop fort même, tant il allait droit au cœur.

Je suis après allé féliciter Madame Carole, pour lui dire combien j’avais été retourné, et pour lui rappeler le bon travail qu’elle a accompli auprès de ces enfants. J’espère sincèrement que ces filles iront loin dans leur scolarité.

En tout cas, pour moi, ce fut une très belle soirée.

Et j’espère que cette émotion m’accompagnera jusque dans mes rêves… peut-être un rêve où je danserai au milieu d’elles, simplement pour partager cette énergie et cette joie.

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