Nuelasin n°105 – 16 septembre 2022

Bozusë, je vous accorde un texte extrait de mon nouveau recueil, Quand la coutume bombarde pour accompagner l’écrit au sujet de la crémation qui est arrivé à mon petit frère Liva de mon clan Hnaialu-Ifij. Je salue à cette occasion ceux et celles qui lisent Nuelasin que je n’ai pas salués lors de son enterrement. J’étais parti en urgence juste à la mise en terre pour amener le pasteur Hmejezie aux urgences de Wé. J’avais tellement envie de discuter avec vous après l’enterrement. Je me rabats hélas, sur mes plaisanteries avec ma belle-sœur Mireille que j’embrasse très fort. Wws

Dans la petite voiture de Maselo

  • Monsieur Narval bonjour.
  • Oui mais sans la défense !
  • Bien dit. Vous ne demanderiez même pas mon service.
  • Vous avez raison. Le collège de Tiéta s’il vous plait.
  • Quelque chose là-haut ?
  • Juste que je dois voir Véronique.
  • Euh…
  • Une dame qui travaille pour une chaîne de télé. Elle m’a appelé de Nouméa. On s’était rencontré à Guam lors du dernier festival. Elle va me remettre des documents.
  • Euh…
  • Des reportages sur des danses, de la musique traditionnelle et beaucoup d’autres docs liés à la culture…
  • Faites-moi des copies. Vous ne payez pas la course…

La crémation : Un procédé de transformation qui vise à brûler et réduire en cendres le corps d’un être humain mort. Comment expliquer cette pratique aux gens et surtout aux vieux de chez nous.

« Cette pratique est une coutume chez des gens d’un autre pays. En Inde, loin là-bas, sur les bords d’un fleuve appelé la Gange, quand quelqu’un venait à mourir, les gens montaient un bûcher funéraire comme quand on fait le bougna. Mais au lieu de mettre des cailloux dessus, on pose le cadavre du défunt après l’avoir baigné, lavé et parfumé. Après, quelqu’un met le feu sur le bois et le tout s’enflamme pour consumer le tout toute la nuit. Cette opération dure jusqu’au lendemain où la famille ne retrouve plus que la cendre. Elle balaie alors les restes jusque dans le fleuve qui emporte tout dans son eau.

Les gens se baignent dans l’eau, d’autres la boivent. C’est leur manière de communiquer / communier avec le disparu et les Morts en général. C’est la spiritualité dans leur religion. Ils prient leur dieu comme cela. Quand c’était la fête des morts, les gens jetaient des fleurs dans l’eau.

Si c’était un homme qui venait à mourir et à être brûlé/incinéré, son épouse devait se jeter dans le feu avec le cadavre de son défunt mari qui se consumait. C’est le gouvernement de Indhira Gandhi qui a mis fin à cette pratique.

Dans les villes européennes, dans le monde et chez nous, de plus en plus de personnes désirent se faire incinérer dans les incinérateurs comme chez nous au 6ème kilomètre pas loin de la morgue. »

C’est comme cela que j’ai expliqué ce qui s’était passé pour le petit frère de mon clan qui était parti en Australie pour se faire soigner mais qui était revenu, incinéré. C’étaient ses cendres que nous avons recueilli chez nous dans notre clan de Hnaialu-Ifij. Nous avons placé cette poussière humaine dans un cercueil et nous l’avons enterrée comme un homme.

Par Nuelasin, je remercie l’église EPKNC d’avoir accepté de nous accorder une prière et de modifier sa liturgie d’enterrement. Au nom du clan, Oleti atraqatr. Si je me suis trompé dans mes explications, veuille me corriger, j’accepte volontiers. Je publierai vos corrections.

Bon week-end et bonne lecture. Wws

L’igname (Hnacipan Léopold extrait de Quand la coutume bombarde 2022)

À la mort de la lune du mois d’août de l’année précédente. Opaqagö et Mamako étaient au champ. Il pleuvait des larmes d’enfant[1]. Une pluie fine, comme pour marquer le nouveau cycle lunaire, arrosait la terre fertile de Ifij qui allait recevoir les plants d’ignames, telle une femme féconde. Mamako était à nouveau sous l’emprise de ses crises d’asthme. Une santé fragile qui l’amenait souvent chez le médecin de l’île, mais aussi chez de fabuleux sorciers faiseurs de décoctions magiques.

— Pars devant, dit Opaqagö. Je vais finir de planter la dernière parcelle. Il ne reste pas beaucoup de semences.

— Ça ne me dérange pas de rester. Je vais attendre dans la cabane qu’il arrête de pleuvoir.

— Tu peux allumer un feu, il reste encore du bois de la dernière fois. Y’a un régime de bananes sur le fumoir. Elles doivent être bien mûres.

Quand Mamako ouvrit la porte, elle fut surprise de se trouver nez à nez avec des rats qui s’éparpillèrent à sa vue. Elle resta figée devant la vieille porte en tôle ondulée avant de pénétrer dans la pièce. Lorsque ses yeux se furent accommodés à l’obscurité, elle vit un amoncellement de fruits d’igname et de petits tubercules jonchant le sol. C’était ce que son mari avait « rangé » là, comme il disait. Il y avait plus de cinq cents pièces dont la plupart, par manque de lumière, avaient pourri. Il y aurait eu de quoi planter un champ. Devant ce spectacle, Mamako faillit s’étouffer. Des larmes lui montèrent aux yeux. L’igname, c’était sa vie, la vocation de toute sa lignée. Une vibration désagréable lui crispa la poitrine. Elle s’efforça de se contrôler comme elle savait le faire. L’asthme ne vint pas. Elle tendit sa main vers le fumoir. Du régime de bananes, il ne restait que le moignon. C’était ce que les rats et les autres bêtes des ténèbres avaient laissé. Elle s’immobilisa. Dehors, la pluie se calmait. Des gouttes d’eau tambourinaient encore sur la vaisselle empilée en dessous du pandanus, derrière la cabane. Opaqagö ne vit même pas son épouse sortir de l’abri avec son couteau, les fruits d’igname et des petits tubercules soigneusement enroulés dans sa robe. Elle avança jusqu’à une parcelle délaissée par Opaqagö. Dix mètres par cinq, seulement. Elle espérait sauver quelques semis pour les nouvelles plantations. Il faut avoir foi en la terre nourricière. Elle s’agenouilla, écarta la mousse de la surface et enfonça profondément la pointe de son couteau. Puis, d’un mouvement brusque vers le côté, elle ouvrit la terre pour y enfoncer une semence. Cet exercice qu’elle répéta aussitôt lui procurait un plaisir immense. Un plaisir jouissif.

Quand Opaqagö eut terminé le travail pour lequel il avait demandé à Mamako de l’attendre, il partit la rejoindre. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit son épouse en plein labeur ! Elle ne l’avait même pas entendu arriver. Quand il était rentré dans la cabane, son épouse n’y était pas. Il avait constaté que, du tas de fruits d’igname et de petits tubercules, il ne restait que les plus petits, pourris et moisis, bons à être jetés comme nourriture à la terre et aux éléments. Mamako était assise à même le sol. Toute mouillée et haletante. Elle plantait et nettoyait en même temps l’endroit, en arrachant les herbes folles qui avaient poussé depuis les dernières semailles. La parcelle avait été laissée en friche. Le feu avait brûlé plus que nécessaire ce qui était resté de la récolte précédente et la terre était demeurée dans la noirceur du brûlis. Le couple avait prévu d’y faire les plantations destinées aux coutumes de la nouvelle année. En attendant, des tu et des kacatr[2] avaient pris possession de l’endroit. Les tu, c’étaient les herbes sauvages desquelles son mari et elle étaient venus cueillir les cœurs pour les cuisiner dans du jus de coco et les donner à leur fille Cadran, quand elle était sortie de la maternité. Cadran allaitait déjà un autre petit-fils, celui à qui elle avait donné le prénom de son grand-père, Opaqagö. Ces feuilles donnaient beaucoup de lait aux mamans, rendaient les enfants vigoureux dans leur croissance et les femmes encore plus fécondes pour une nouvelle maternité.

Bien des mois plus tard, comme souvent, la terre démontra qu’elle savait tenir ses promesses. Les semences plantées par Opaqagö et Mamako avaient prospéré et avaient donné une récolte abondante. Mais, d’autres pensées occupaient à présent les esprits : un deuil se préparait.

Ps : mais peut-être que j’ai déjà publié cet extrait, j’ai oublié. Bisous vous.

[1] Treijene medreng : littéralement « pleurer comme un nouveau-né » pour designer la pluie fine.

[2] Tu et kacatr : De la mauvaise herbe qui prend possession des sols après le brûlis et qui est très dure à arracher.

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