L’identité de la personne et son statut dépendent de sa place dans la communauté, et plus précisément des rapports au sein de la famille élargie. C’est la raison pour laquelle la notion de clan est fondamentale dans les sociétés en Mélanésie.
Les sociétés kanak sont exogames et c’est la femme qui quitte son clan pour rejoindre celui de son époux.
Le clan regroupe toutes les lignées qui se revendiquent d’un ancêtre-esprit commun. Le mythe a pour fonction d’ancrer le clan dans une ancienneté au-delà de la mémoire. L’ancienneté de la présence sur un espace donne l’autorité d’une communauté sur des occupants plus récents. C’est la raison pour laquelle le mythe fonde l’autorité et la légitimité de l’ancêtre fondateur et de ses descendants.
Le nom du clan est lié à l’origine des ancêtres-fondateurs, de ses diverses relations qui sont définies dans sa zone d’influence. Chaque clan entretient un lien privilégié avec un animal (requin, roussette, etc.) ou un végétal (cocotier, banian, etc.), ou un élément naturel (eau, éclair, etc.) qui rappelle son origine mythique.
Elément fondamental de la culture kanak
Les termes de « grandes chefferies » (hnanyijoxu) et de « chefferies » (wao « grande case » (paicî)) désignent des réalités différentes selon les périodes de l’histoire. Avant le contact, l’organisation traditionnelle de l’espace et des différents clans repose sur des regroupements qui sont placés sous l’autorité des différents chefs de clans. On appelle « chefferie » ce regroupement dans un même espace de différents clans. Le clan le plus ancien propose de choisir pour arbitre souvent un étranger à la chefferie pour préserver la cohésion entre les différents clans et éviter les conflits d’intérêt.
Ces petites sociétés sont ainsi fondamentalement ouvertes et favorisent une certaine mobilité entre les vallées et entre la grande terre et les îles. Depuis l’évangélisation qui a imposé le modèle européen du village, les différents clans ont été regroupés autour des missions et constituent désormais les « tribus » (par exemple, on disait auparavant hunapo « tertre du clan » pour la chefferie mais désormais c’est le terme hunahmi « endroit où l’on prie » qui est employé en drehu pour désigner la tribu).
Au niveau de la tribu, les chefs de clan composent le conseil des chefs que l’on peut retrouver au niveau administratif des conseils de districts.
Lors de ces réunions de clan sont évoquées les différents projets d’alliances, les difficultés au sein même du clan ou par rapport à d’autres clans et les travaux à réaliser (construction de case, champs, etc.). S’il existe des conflits internes ou externes en cours, le clan discute des modalités de gestion de ceux-ci pour aboutir à un consensus.
Discours et pratiques
Il y a deux modes d’affiliation au clan : l’alliance (mariage, adoption) et les liens de sang (naissance).
L’alliance obéit d’abord à des enjeux stratégiques, politiques et économiques au niveau des clans. On ne marie pas des individus mais on marie des clans. Les réseaux d’alliance font l’objet de palabres au sein du clan à l’issue desquels se définit une stratégie qui visera à renforcer des liens ou à en créer de nouveau.
Il y a ainsi une double circulation : les épouses partent vers les clans des maris (virilocalité), lesquels contractent une dette de vie à l’égard des oncles utérins. Cette dette est payée par le don d’enfant (souvent aux grands-parents utérins) en prenant la modalité d’une adoption plénière.
L’adoption peut également obéir à une logique de perpétuation du nom (adoption en faveur d’un couple stérile) ou à une logique de pardon (don d’un enfant pour réparer une offense).
Le mariage et les relations matrimoniales entre clans obéissent à des règles spécifiques, variables selon les régions (interdits et préférences, chemins matrimoniaux, ordre des mariages au sein d’un même « clan » (aînesse), etc.).
Si la mère donne le sang, c’est le père qui donne le nom. Avant l’établissement de l’état civil,
l’individu héritait d’un nom de clan rattaché à un tertre et recevait un prénom rattaché au clan (nom d’un ascendant), la personne était ainsi enracinée dans sa terre et partageait le souffle d’un ancien.
Il existe une hiérarchie entre les clans qui obéit à une double logique : une logique généalogique (autorité du clan aîné sur le clan cadet) et une logique territoriale (autorité du clan le plus ancien sur une terre sur les clans les plus récemment arrivés).
Le clan est composé d’entités visibles et d’entités invisibles (esprits ancestraux, tepolo (drehu), te (paicî), interdits « claniques »). Les clans possèdent leur propre pharmacopée et savoirs sacrés (paniers et médicaments du clan, pierres de culture, de pêche). Des spécialistes sont les détenteurs de ces connaissances spécifiques.
Concepts et valeurs
L’individu est placé sous une autorité généalogique (clan), et sous une autorité territoriale (chefferie).
Elles sont souvent convergentes mais elles peuvent être aussi divergentes et entraîner des conflits de loyauté (cas d’une chefferie entrant en conflit contre une autre chefferie qui comporte en son sein le clan aîné d’un de ses clans).
Chaque clan occupe une fonction précise au sein de la chefferie qui est nécessaire à son équilibre (porte-parole, clan de la mer, clan de la terre, etc.). La fonction du clan dans la hiérarchie est déterminée par sa valeur et son importance dans la hiérarchie. Chacune d’elle est nécessaire et concourt à l’équilibre du système.
C’est la richesse et la vitalité du réseau d’alliance, marque de prestige, qui va déterminer la grandeur de la chefferie et son emprise territoriale. C’est dire que rien n’est figé et que les frontières humaines ou spatiales sont constamment mobiles. Ces frontières peuvent s’accroître par l’alliance ou par la conquête guerrière.
Dans les langues kanak, les termes de parenté sont extrêmement complexes et traduisent toute l’importance des jeux de relations à l’intérieur de la cellule clanique (par exemple en drehu : tremapin « grand-parents-enfants », tremeien « cousins », trefën « mari et femme », etc.). Les actes de respect sont visibles lors des cérémonies coutumières. Les statuts des clans, des familles et des individus sont rappelés à travers les chemins coutumiers. Le puîné monte vers le cadet et ensemble, ils vont vers l’aîné.
Le clan est une personne morale
Deux arrêts ont été rendus le 22 août 2011 par la Cour d’Appel de Nouméa. Il est affirmé pour la première fois que le clan kanak est bien une personne morale, même en l’absence de texte lui conférant cette qualité, car le clan est une réalité.
Les « vides juridiques » sont éloquents, et ceux que l’on constate en Nouvelle-Calédonie en disent long. Il y a eu la reconnaissance de la personnalité juridique de la « tribu » par un arrêté gubernatorial de 1867 ; à l’époque le terme désignait les grandes chefferies. La tribu était un organe « politique », afin notamment de lui faire supporter la « responsabilité civile du fait d’autrui » (les sujets responsables de dommages engageaient la responsabilité « collective » de la tribu qui pouvait se voir condamnée « collectivement » et privée de tous ses biens fonciers). Puis la personnalité juridique a été conférée en 1985 aux GDPL (Groupements de droit particulier local), instrument privilégié pour permettre aux clans d’entrer dans le monde économique, et recevoir les rétrocessions de terres que l’Adraf (Agence de développement rural et d’aménagement foncier créée par l’article 94 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988) ne voulait pas donner directement aux clans. Mais jamais on n’avait reconnu, en pratiquement 160 ans de présence en Nouvelle-Calédonie, la personnalité juridique des clans qui pourtant occupent tout le paysage social, et donc juridique, dans la société kanak.
Ces deux arrêts feront l’objet d’un commentaire approfondi. Ils sont disponibles ici :
Sources :
Guide pour l’enseignement des éléments fondamentaux de la culture kanak
Laboratoire de Recherches Juridique et Économique de l’Université de la Nouvelle-Calédonie