« Presque partout – et même souvent pour des problèmes techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée. C’est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s’est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée. Il est douteux qu’on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques. En entrant dans un parti, tout individu est obligé d’adhérer à une ligne donnée – il n’a plus la possibilité de penser. Il ne lui est pas possible de dire « Je suis d’accord sur tel ou tel point ; mais n’ai pas étudié ses autres positions et je réserve entièrement mon opinion tant que je n’en aurai pas fait l’étude ». C’est ce qui empêche nos sociétés d’être vraiment démocratiques…. » – Extrait de « Note sur la suppression générale des parties politiques » de Simone Veil.
Je suis Kanako-Calédonienne et je le revendique. Je suis d’origine Kanak et Française, en Nouvelle-Calédonie depuis 5 générations. Mon grand-père était un ami d’Henri Lafleur, actionnaire du Château Royal, ancien combattant auprès du Général de Gaulle, une des plus longues rues de Nouméa porte le nom d’un de ses cousins germains, marié à une métisse Kanak d’une des plus grandes familles de Nouvelle-Calédonie ce qui fait que je suis cousine avec les ¾ de la Nouvelle-Calédonie, y compris avec mon mari par alliance. Mon père, petit gars de Saint Ouen, publié le soir en cachette dans son imprimerie le journal des premiers indépendantistes Kanak avec son ami Monsieur Lenormand. Ma belle-mère est métisse Kanak et mon beau-père, marchant sur les pas de son père, a fait partie des premiers militants de l’Union Calédonienne (Parti politique rappelons-le qui avait été créé par des Calédoniens toutes ethnies confondues dans les années 60). J’aime autant manger du foie gras que du bougna (surtout celui aux fruits de mer). Je me régale de lire les mémoires de Nidoïsh Naisseline autant que celles de Marcel Pagnol. Tous les matins je prends un plaisir infini à regarder la montagne du Mont Dore. Et ce plaisir est le même que je prenais enfant pendant mes vacances chez mes grands-parents paternels à regarder le Pic du Midi. Tandis qu’une de mes arrières-grands-mères nous disaient tous les dimanches : « Tenez manger, ça va vous rappeler d’où vous venez » en mettant le bougna sur la table, ma grand-mère paternel (Parisienne jusqu’au bout des ongles d’origine Ch’ti) me chantait à chaque fête familiale « Tiens mon petit Quinquin ». Et je les regardais toutes les deux avec un plaisir inégalé consciente de la richesse de ma culture familiale. Une amie d’enfance m’a rappelée dernièrement combien enfant j’aimais à parler de mes racines Kanak. La spiritualité, le monde des esprits font également partie de mon ADN tout comme cela fait partie de l’ADN de la culture, de la société Kanak.
J’ai vécu 1984 comme une énorme prise de conscience. C’était l’année du bac, mon prof de Sciences Economiques, que j’admirais pour ses connaissances et son humilité, Monsieur Néaoutyne, était en prison pour avoir pris position politiquement. Un des meilleurs élèves de ma classe, Marcel Hnépeune, damait le pion à nos profs régulièrement tant il brillait par son intelligence et ses connaissances. Tandis que mes copines caldoches parlaient chiffons et mecs, me jaugeaient tous les matins pour voir comment j’étais habillée lorsque j’arrivais dans la cour du Lycée Lapérouse, j’aimais rejoindre mes copines Kanak qui elles parlaient spiritualité, reconnaissance, avenir avec bienveillance et sans aucun jugement. Cette année-là j’ai pris conscience véritablement de « l’apartheid » que vivait notre société calédonienne et ne comprenait pas pourquoi une partie d’entre nous n’avait pas le droit d’être pleinement reconnue. Intellectuellement, il ne m’était pas possible de ne pas adhérer à cette reconnaissance et comprenait très bien que mes amis Kanak demandent l’indépendance. C’est un droit humain, reconnu par les Nations Unies. Il ne m’était pas possible non plus de prendre position : pourquoi devrais-je choisir entre ma part Kanak et ma part Française moi qui vivais dedans depuis toujours, moi à qui on avait appris le nom de mon ancêtre Kanak, à danser aussi bien le pilou que la valse.
J’avais 18 ans. Aujourd’hui j’en ai 54. Et on me demande encore de prendre position, de choisir. On me somme même de le faire. C’est une obligation. Mais de quel droit me pousse-t-on à choisir ? Alors en réponse à cette obligation, moi Claudia Rizet-Blancher, Kanako-Calédonienne depuis 5 générations, j’ai choisi de refuser de voter, j’ai choisi en toute liberté et en toute connaissance de cause de ne pas choisir entre ma part Kanak et ma part Française. Ces 2 parts là sont mon ADN, mon sang et je refuse de me couper en 2 pour des partis politiques. Ces partis ne sont pas ma famille. Et cette décision je l’ai prise en 1984 et je l’ai confirmé en refusant de mettre mon Pays au tribunal parce que je n’étais pas sur la liste spéciale, liste devenue outil politique alors qu’il s’agissait d’un droit inaliénable à tous les Kanako-Calédoniens.
Je refuse de voter car aucun parti politique n’a suivi l’Accord de Nouméa qui demandent justement de créer avec la population un pays qui soit aussi multiculturel que nous le sommes, nous Kanako-Calédoniens. Je refuse de voter car je n’ai pas légitimement, en toute conscience à dire par un bout de papier que je reconnais à ma famille, mes amis Kanak le droit d’être et d’exister dans leur culture. Mais je comprends qu’eux aient besoin de le faire. Ma peau est blanche et il faut bien le dire, ici alors que nous sommes au 21è siècle, on me donne plus de crédit et de respect parce que ma peau est blanche. Je tiendrais ce même discours avec une peau noire personne ne m’écouterait ou bien on me qualifierait d’extrémiste quand on ne me demanderait pas de « rester à ma place ».
Il est peut-être temps que la réalité de notre Pays soit enfin décrite telle qu’elle est vraiment (car n’en déplaise à certains c’est un Pays où il fait bon vivre) et que l’Accord de Nouméa soit enfin appliqué.