Nuelasin n°206 – 6 juin 2025

Bozusë,

Je pense à mes deux petits frères partis trop tôt aux racines du banian de nos aïeuls. Je veux parler de Gérome et de Zipine. Le premier est de Koumac. Le deuxième est de Jokin. Ils sont partis dans la force de l’âge. Ne dit-on pas qu’il n’y a pas d’âge pour mourir. Argumentaire pour s’apaiser la conscience. Ils étaient tous deux très jeunes et la vie s’ouvrait grand devant. Adieux.

La Fête de Mei

La Fête de Mei du 30 mai au 1er juin à la tribu de Tiéta est un grand moment de partage et de convivialité dans l’église libre. Chaque paroisse de la région Voh&Koné y apporte sa contribution sous forme de dons en nature que ce soit des ignames, des bananes, des fruits, des légumes, et d’autres produits locaux, mais aussi en finance créant ainsi un magnifique festin collectif. Le président de la paroisse veille à l’organisation, assurant la bonne répartition des ressources et le bon déroulement de l’événement.

La fête de Mai est marquée par une ambiance chaleureuse où l’on mange ensemble, sans alcool bien sûr, en privilégiant les boissons naturelles comme la citronnade, préparée à partir des fruits de saison. Entre les repas, les festivités prennent vie avec de nombreux discours, chants et concours, renforçant l’unité et l’esprit communautaire et n’oublions pas les historiettes que le narrateur raconte sous-cape dans les différentes baraques. Chez les femmes mais bien sûr, chez les hommes. Rebel mon beau-père, le connaissez-vous ?

Un des moments forts de cette édition 2025 a été la prestation de la vallée de Ouengo, qui a impressionné par son doh, magnifiquement interprété. Ce détail apporte une touche d’élégance et de tradition à la célébration, mettant en avant le talent de la jeunesse et l’héritage culturel de la région, prometteur pour les années à venir.

C’est une belle manière de célébrer les valeurs du partage et le lien entre générations. Un événement qui semble mêler tradition, solidarité et joie !

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À Hnaja, en ces jours de festivités, mon fils emprunte à son tour le sentier que jadis mes pas ont foulé. Il assiste au mariage de Jonathan, fils de la grande chefferie de Lösi, cette union qui, par sa solennité et son faste, perpétue les traditions immuables de notre peuple.

Il fallait qu’un de nous y soit, et c’est lui qui est parti. À présent, il marche là où jadis j’ai marché, sous le même ciel, au milieu des mêmes rites, porté par cette ferveur qui naguère me fit frémir.

Je veux qu’il ressente ce frisson qui vous saisit lorsque l’Histoire vous cueille, lorsque, dans les voix des anciens, dans le rythme des danses, dans le murmure des chants, se révèle l’écho profond de nos ancêtres.

Que ce mariage ne soit pas qu’une célébration, mais une transmission. Que les paroles qu’il entend aujourd’hui résonnent encore en lui lorsque viendra son tour. Car c’est ainsi que nous appartenons au monde : non par le sang seulement, mais par la mémoire, par ces instants où le passé et l’avenir s’entrelacent, indissociables et éternels.

Pour accompagner le vieux Maselo je fais revenir un souvenir. C’était pendant le mariage d’Évanès Bula papa du jeune marié Jonathan que le vieux Naba est entré solennellement pour présenter sa coutume d’allégeance. Tout le monde sous le iadradrahe s’était levé pour lui rendre honneur. L’intersection générationnelle. Bonnes vacances, bonne lecture mais aussi et surtout bon mariage à celles et ceux qui se déplaceront au mariage de notre grande chefferie. Wahemunemë. Wws

Dans la petite voiture de Maselo

Dans le taxi de Maselo, roulant doucement sur les routes de Voh, Jules et Paulette ne cessaient de s’émerveiller. Les paysages étaient à couper le souffle : collines verdoyantes, lagons scintillants, et cette fameuse formation naturelle en forme de cœur vue d’en haut, symbole de la beauté du territoire .Ils arrivaient de Zoreillie.

— C’est incroyable… souffla Paulette, le nez collé à la vitre. On dirait un autre monde.

— Un monde où tant de cultures se croisent et vivent ensemble, ajouta Jules, admiratif.

Maselo, le chauffeur souriant et chaleureux, écoutait leurs réflexions avec amusement.

— Ici, on est tous différents, mais on partage la même terre, expliqua-t-il. Kanak, Calédoniens d’origine européenne, Wallisiens, Indonésiens… On vit ensemble, malgré les histoires compliquées.

— Mais comment faites-vous pour que ça fonctionne ? S’enquit Jules.

Maselo haussa les épaules.

— On discute, on échange, on apprend les uns des autres. Bien sûr, il y a des défis, mais on sait qu’on est liés par la terre, par la mer, par notre envie de construire quelque chose de stable.

Paulette réfléchit un instant, puis demanda :

— Et les tensions dont on entend parler en Métropole ? On a l’impression que tout est conflictuel ici…

Maselo eut un petit rire.

— Les médias ont leur version des faits. Ils aiment dramatiser, c’est vrai. Il y a des débats, des visions différentes, mais il y a aussi beaucoup de respect. On sait qu’on doit avancer ensemble, pas contre les uns et les autres.

Jules hocha la tête, songeur.

— C’est une belle philosophie, vivre ensemble malgré nos différences.

— C’est la seule voie, affirma Maselo. Si on ne regarde que ce qui nous sépare, on oublie ce qui nous unit.

Le taxi s’arrêta au marché du village. Jules et Paulette descendirent, décidés à découvrir par eux-mêmes cette harmonie du quotidien, bien loin des clichés qu’ils avaient en tête en arrivant.

L’arrivée du vieux Naba à la chefferie Lösi

C’était vers la fin du jour qu’un pesant silence respectueux s’installa dans la grande chefferie de Lösi. Les clans étaient encore rassemblés sous le iadradrahe, vêtus de leurs plus beaux ornements traditionnels, portant leurs ignames et leurs dons précieux, témoignages de leur allégeance et de leur respect. Puis, au loin, une lourde silhouette familière s’avança : le vieux Naba.

Ses pas étaient mesurés, empreints du poids des générations qu’il avait vues défiler. Autour de lui, son clan Ujicas avançait, solennel et fier, portant dans leurs gestes et leurs regards la mémoire vivante des ancêtres. À peine eut-il franchi les tombes devant l’enceinte cérémonielle que Noël Wahuzue, dignitaire de la chefferie Wahemunemë se leva. Sa voix fusa comme un éclair, claire et puissante :

« Naba ! Ujicas ! Hanehëlae Naba lo Ujicas. »

Ce fut une explosion de clameurs et d’applaudissements, comme un hommage vibrant à cet homme qui avait traversé les âges et marqué les moments les plus sacrés de la chefferie. Les anciens sous l’abri à parole murmuraient entre eux, reconnaissant en lui un témoin précieux des unions passées : il avait assisté au mariage du père de Henri Bula, puis à celui de Henri Bula lui-même, et maintenant, il arrivait là, aux côtés d’Evanès. Trois générations, un cycle complet de vie et de mémoire. Une seule mesure.

Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux. Son regard, profond et chargé d’émotion, parcourut la foule et les visages de ceux qu’il avait vus grandir. Il pleurait, mais ce n’était pas de la tristesse. C’était le poids de la tradition, la beauté du lien qui unissait les générations, et la fierté d’être encore là, témoin d’une histoire qui se perpétuait, ancrée dans l’âme du peuple de Lösi.

J’étais là, assis parmi d’autres jeunes sous la baraque à parole, dans cet air chargé d’excitation contenue. La foule bruissait, vibrante, tandis que la silhouette vénérable s’approchait sous les acclamations. Près de nous, un vieux, le visage buriné par le temps, se pencha et murmura à mi-voix, avec cette solennité propre aux confidences qui portent en elles le poids des années :

– Lui, c’est Naba-qatr. Il était jeune lors du mariage du père du vieux chef. Il était dans la force de l’âge lorsqu’il assista aux noces de lui là-bas (il désigna Henri Bula d’un mouvement des sourcils). Et aujourd’hui, il revient, toujours debout, pour la descendance. Regardez-le bien. Il est un exemple pour nous tous. Moi, j’aime bien lui. 

Ces paroles s’enfoncèrent en moi, comme une pierre jetée dans l’eau calme dont le remous ne s’efface jamais tout à fait. Quatre décennies ont passé, et pourtant, dans les heures silencieuses, elles reviennent, intactes, suspendues dans le temps.

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