Nuelasin n°148 – Vendredi 4 août 2023

Bozusë, nous sommes mardi 1er août 2023. Il est déjà 23h22 à l’horloge de l’ordi. A côté de moi dort Pasteur de la tribu de Poï. Il est arrivé cette après-midi pour nous rendre visite. Il arrivait de Païta Gomen où a lieu l’assemblée générale des femmes de l’EPKNC.

L’EPKNC (Église Protestante de Kanaky Nouvelle-Calédonie) Me trompé-je ? Cette réunion va les amener jusqu’à dimanche. Pasteur de Poï, c’est mon cousin. Notre coutume de mort est mangée par les Taïn de la tribu de Hnadro. Poï, c’est tout là-bas nichée dans la vallée de la commune de Touho. Toute la journée, nous avons parlé de notre vécu à Hunöj. La famille a exercé sa mission apostolique dans notre tribu (2005-2009) avant d’aller à Mucaweng ensuite Montravel et après Touho. Pasteur disait un moment qu’il ne savait pas dans quelle paroisse il allait être muté parce que 2023 était sa dernière année. Les pasteurs, ils ont un rythme de vie de cinq années à exercer dans chaque tribu/paroisse du pays après quoi le conseil régional les mute à un autre endroit. Je pense à lui mais aussi aux autres du corps pastoral. Pas de domicile fixe, pour la famille. Cela ne facilite pas le travail des pouvoirs publics quant aux documents administratifs à fournir, pour bénéficier des aides ou pour la scolarité des enfants, ces derniers doivent tout le temps changer d’établissement et par conséquent d’adresse… Je salue le choix de ces personnes qu’elles seules connaissent véritablement. Respect.

Pour accompagner le père Maselo, je vous soumets l’allégorie du pélican d’Alfred de Musset. Bonne lecture à vous. Wws

Dans la petite voiture de Maselo

  • Bonjour Mme Marinette, on dirait que les dieux vous sont tombés sur la tête.
  • Mais M. Maselo, j’arrive de Boyen par le bus du ramassage et vers la carrière de chez Moglia, nous sommes tombés sur un accident de la route.
  • Saperlipopette ! La nouvelle vient juste de passer aux infos. C’est une dame d’une trentaine d’années qui vient de perdre la vie. Cela va faire vingt-deux morts sur nos routes depuis le début de l’année.
  • Comment dire ? Je suis en train de penser aux enfants qui étaient dans le bus. Certains mettaient leurs deux mains au visage pour ne pas voir la scène alors que les pompiers transportaient le corps de la défunte.
  • Mon Dieu, faut mettre une cellule de crise en place pour eux.
  • Vous avez raison M. Maselo.

Musset : Allégorie du Pélican LA MUSE

Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,

Laisse-la s’élargir, cette sainte blessure
Que les séraphins noirs t’ont faite au fond du cœur;

Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur.

Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,

Que ta voix ici-bas doive rester muette.

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,

Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.

Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,

Ses petits affamés courent sur le rivage

En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.

Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,

De son aile pendante abritant sa couvée,

Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;

En vain il a des mers fouillé la profondeur;

L’océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.

Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,

Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur;
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,

Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;

Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort se recommande à Dieu.

Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes

Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.

Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

En savoir plus sur Association Présence Kanak - Maxha

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture