Nuelasin n°122 – 3 février 2023

Bozusë. Mon cœur en balance. C’est déjà la rentrée. Les réunions ont commencé. Je repense aux temps où je n’étais que simple enseignant. Je ne me donnais qu’à mes cours, je n’avais que le souci du face à élève et j’avais toutes mes vacances, entières, pour aller à Hunöj. Fin 2022. Rien. Heureusement que la pensée est là pour me transvaser par delà les éthers (comprenez-vous ?) Évader, s’évader. Que serait la vie sans cette fonctionnalité. Que l’Humain est abscons. Mais magnifique. Vive l’Homme. Moi. Wawes de Hunöj. Bonne lecture à vous. Wws

Dans la petite voiture de Maselo

  • Mr Maselo, je vous trouve vraiment en grande forme.
  • Comment ça ! Hier, vous disiez que vous étiez en veilleuse, vous aviez peur de chopper la crève. Y avait même plein de feuilles d’eucalyptus dans votre voiture.
  • Je n’étais pas en service Mme La Molécule.
  • La Molette !
  • Dieu !… mais comment font vos maris pour vous reconnaître. Surtout votre cas. Vous êtes trois en plus. Des triplets. C’est cela ?
  • Ben, nos prénoms. C’est pas pareil.
  • Oh ! Pas pareil, dites-vous ? Entre La Molécule, La Molette et La Mobylette, y a que le … euh ! Pardon… qui change.
  • Hahaha ! Moi, je trouve qu’on n’est pas pareille et même que je suis la plus belle…
  • Bien sûr. Mère de Dieu ! Marie Myriam…

Mesdames Morgane et Arlette : Qu’elles sont belles ! Hier, je suis allé à la médiathèque de Koné pour leur offrir ma nouvelle sortie, Quand la coutume bombarde : « Wawes, tu passes par derrière. La Méd’Ouest est fermée l’après-midi. » Je fis le tour, Mme Arlette me reçut et me proposa spontanément du café passé. « Installe-toi, nous avons fermé les portes à cause de la chaleur. » me dit-elle en sus. Je m’installai et on commença à échanger. J’étais son hôte. Elle était heureuse de me voir là. Mme Morgane téléphonait. Elle vint après nous rejoindre. C’étaient rires et photos qui étoffèrent notre après-midi.

Quelle grande joie de s’offrir… d’offrir sa vie ! Ses souffrances. Oh que non ! L’écriture était une passion, n’ai-je toujours pas dit ? La maman oublie les douleurs de l’enfantement une fois que bébé est sorti de son ventre. Le nouveau visage absorbe tout. Je ne regardais que la couverture du livre en oubliant tout le contenu. Il n’y avait que du bonheur.

L’image s’évanouit brusquement quelques heures après dans une réunion où une APE a sollicité notre venue. Une maman qui n’avait pas accepté la décision de notre direction, s’était levée, avait jetée notre qëmek sur la natte et avait quitté la masse. Son attitude avait jeté un froid. Le silence était tombé en couperet. Les visages de Mme Morgane et Mme Arlette m’étaient revenus en force en me triturant le cœur.

J’ai pris la parole, non parce que j’avais une pensée, mais pour combler l’interstice. Nous étions tous dans l’embarras. Seules demeuraient nos identités d’hommes et de femmes kanak assis en rond sur des nattes. Chacun essayant de remettre de l’ordre dans son âme défaite pour chercher le bon combat. Le Bien doit toujours triompher. Le bon sens était ailleurs, peut-être bien avec le soleil qui tombait à l’horizon. La Vertu s’en est allée, Seigneur !

Oh Dieu que j’eusse fort aimé être dans le rêve de mesdames Morgane et Arlette !

La jument. « Celui qui doit vivre survit même si tu l’écrases dans un mortier » proverbe africain. Mardi, je passais devant la maison commune de la tribu, deux jeunes garçons étaient debout, en train d’arroser le corps d’un cheval mort (pensé-je) Il était allongé de tout son long sur l’herbe. Il ne bougeait pas. Lorsque je leur fis signe, pour demander ce qui était arrivé à la bête, ils me mimèrent le geste qu’elle était morte. Elle avait sûrement reçu une balle de fusil. Au retour de ma course, vers le soir, je vis que le cheval avait changé de place. Il était désormais étalé sous le jamelonnier de chez Mme Marina. Ce matin de mercredi en me rendant au collège, je vis que l’animal a disparu de sa place de la veille. Je n’avais pas remarqué qu’il était allongé de l’autre côté de la route chez Mme Kyo. Cette fois ci, la bête somnolait. Je voyais qu’il avait relevé la tête qui se balançait, suspendue à son cou, dans le vide. Mais tout son corps était toujours affalé sur l’herbe. La bête avait ouvert les yeux mais sûr qu’elle ne voyait rien. Le soir à mon retour, la bête avait disparu. Je l’ai aperçue immobile là-bas, au coin de la barrière des toilettes de la maison commune. Elle méditait. Vers midi de jeudi, mon beau-fils plaisanta avec moi: « C’est pas vous là-bas ? » Et en levant la tête, je vis le cheval, debout à côté des sanitaires, dans notre cour, une patte arrière légèrement repliée. Il nous observait fixement depuis un long moment. Mon cœur se brisa en mille morceaux lorsque j’entendis Thierry dire que le cheval était en fait une jument et qu’elle venait de mettre bas. Mais les chiens de la tribu ont fait de son poulain, leur repas de la journée. Je restais coi en revoyant tout le fil conducteur qui avait amené la jument de la maison commune jusqu’à côté du manguier de nos toilettes. Naître et mourir. « La femme accouche à cheval sur une tombe. Du fond du trou, rêveusement le fossoyeur applique ses fers. Le jour brille un instant puis c’est la nuit à nouveau. » Samuel Beckett dans En attendant Godot.

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