Nuelasin n°106 – 23 septembre 2022

Bozusë.

Dans la petite voiture de Maselo

  • Bonjour Mr Maselo. Êtes-vous au courant de la nouvelle ?
  • Laquelle de nouvelle ? Tant que la terre continue de tourner, il y en aura toujours. Il n’y a que les morts qui ne donnent plus signes de vie.
  • Vous êtes tout plein de vigueur Mr Maselo mais ça c’est pour un court instant parce que ce que je vais vous dire n’est pas gaie. Savez-vous ?
  • Oh Mme la Pommette, n’éteignez pas mon soleil.
  • Je vous le donne quand même. Mercredi, les nouvelles ont annoncé qu’un chasseur de la vallée a abattu un serpent de quatre mètres. C’est ma nièce qui travaille au gouvernement qui m’a appelé. Elle voulait savoir si l’info était vraie.
  • Et qu’est-ce que vous avez répondu ?
  • Personnellement, je n’étais pas au courant mais (…)
  • Ben je n’ai pas écouté les infos, je suis plutôt en train d’écouter la nouvelle sortie de Hyarison.
  • Coupez votre musique et écoutons un peu la radio.

Vigilance rouge : En allant ce matin en cours, je fus attiré par une voiture garée chez la grand-mère Ré (qu’on l’appelait). En sortit un jeune originaire des îles Loyauté. En me voyant il vint à ma rencontre pour dire qu’il me connaissait et qu’il vendait des légumes frais pour les gens des îles surtout de Nengone parce que ces îliens souffraient du transport maritime qui ne desservait pas correctement la contrée. Et par conséquent, ils vendaient des produits de terroirs frais, le fond récolté irait vers les familles îliennes. Je repris le jeune homme disant que ce n’est pas à Tiéta qu’il faut vendre ses légumes aussi frais soient-ils mais d’aller plutôt au village ou à Koné et je partis. Dans la salle des profs, je croisai Mme Noëlla et une autre prof. Mme Noëlla me dit qu’une maman avait aussi acheté ces légumes frais. Deux poches=14000 francs (quatorze mille francs). Pendant l’inter-cours, je repartis à la maison pour voir si Grand-mère Ré n’avait pas acheté les légumes.

Sous la table de la cuisine, je vis quatre poches rangées. La vieille (sens kanak) dit qu’elle a acheté quatre poches pour, tenez-vous bien, 16000 balles. (seize mille francs) Elle rajouta qu’elle avait fait le tri parce qu’une partie des légumes était pourrie. Elle était assise sous sa véranda, évasive : « J’ai dit que je vais amener ces poches à Témala demain pour la coutume. » disait-elle. Je sais qu’elle s’était fait flouée. Et elle s’en était bien rendue compte. Son cœur lui a vite dit de mettre la main au porte monnaie. C’est comme ça les vieilles mamans de chez nous. C’est le cœur avant tout: « Aououh, les mamans des îles … » se serait-elle écriée en sortant ses billets sans compter. Je lui dis seulement de venir me voir la prochaine fois qu’un démarcheur se présentait chez elle. Elle resta silencieuse en me regardant me lever de la chaise. Elle ne pleurerait sûrement pas. Elle est forte Gué Ré comme les autres mamans de chez nous. Un cœur à tout supporter.

Je remontai dans ma voiture et je partis. Ma journée fut noircie par cette broutille matinale. Le corbeau jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus. La Fontaine.

Je vous propose cet extrait de « Quand la coutume bombarde », 2022 de Léopold Hnacipan.

A la maison, les filles accoururent vers la voiture en voyant que les parents rentraient tôt et non par la navette. Elles criaient en plus le prénom de leur oncle qu’elles avaient reconnu. L’oncle s’étonnait que les filles aient grandi et parmi elles quelques-unes portant des enfants. Tout ce monde entourait la voiture qui roulait au pas jusqu’à la devanture de la maison en tôles ondulées. Les passagers descendirent et Iwaanë de dire à Göimelë, l’aînée de la maison de descendre le carton de vivres du coffre. Opaqagö et Mamako se regardèrent dans les yeux. Ils s’en étonnèrent. Et au même moment, Iwaanë héla Opaqagö pour lui remettre trois billets de cinq mille : Quinze mille Francs. Le couple d’une même voix comme un chœur, refusait. Mais Iwaanë insistait. Opaqagö prit le geste en le gratifiant d’un petit discours de remerciement. Le temps se suspendit. L’attention était sur les larmes de la maman et les oreilles sur la voix saccadée du papa qui tremblait pour articuler. L’oncle, pendant tout ce temps n’était pas descendu de la voiture. On voyait bien qu’il était pressé de repartir.

Quand Mamako a dit aux filles de mettre de l’eau à bouillir sur le fourneau, Iwaanë avait déjà mis le moteur en route. « Merci ma sœur, je suis pressé. Une prochaine fois. Je repasserai vers chez vous. » Et il recula la voiture, au milieu de la famille en U qu’il jaugea d’un regard. Les petites misères qui ne sortaient pas des maisons, s’étalaient-là sous ses yeux. Et même qu’il les a pénétrées d’une seule traite cette matinée-là. Les soulographes, les filles-mères… vermines de la civilisation kanak. Et c’était suffisant pour noircir un soleil. Pesant ! Opaqagö était un piquet au pied duquel était posé la toxine, la sienne : une bouteille de whisky, des berlingots de vin, et des packs de bière. Mamako tenait leur petit-fils par la main. Il continuait de s’empiffrer de ses gâteaux qui rendaient les autres gamins jaloux. La voix de Göimelë rompit le silence. « Maman, l’eau bout. » « Oui ma fille, on arrive. Tonton, il est parti. » Elle lâcha malencontreusement la main de Kujini pour avancer vers la maison. Malheur ! Les autres enfants fondirent sur lui pour se disputailler sa victuaille. Des poules. Kujini pleura fort et fit se retourner sa grand-mère. « Vous voyez pas qu’il est malade ? » « Ces enfants ! » Il y avait de la lassitude dans la voix. Et elle leur cria dessus comme pour arrêter des chiens qui se bataillaient pour un os. Et Opaqagö d’appeler le petit en étendant son bras : « Va donner à Qaaqa[1]. » Ce faisant, Mamako s’arrêta et revint sur ses pas. Elle attendit Kujini qui courait vers elle tout joyeux. Il ne pleurait plus. La grand-mère le prit dans ses bras grand-ouverts et rentra dans la maison pour rattraper le petit déjeuner raté de la matinée mais aussi pour administrer les médicaments à son petit-fils. Sur la table étaient posés deux cartons, et au milieu trois pièces de tissu dont l’une contenant des billets de banque. Une coutume. Elle s’empressa d’ouvrir les cartons et vit des bouteilles d’alcool ; du vin et de l’alcool fort et dans l’autre des vivres. Le manger des blancs. « Qui c’est qui a amené tout ça ? » Demanda-t-elle à sa fille. « Une dame, on dirait une noire. » répliqua sa fille.

  • Noire comment ?
  • Une Noire blanche[2]. Je connais pas.
  • Comment ça ‘je connais pas’.
  • Mais Maman, elle a pas dit son nom. Elle a seulement dit de vous remettre ça. A toi et papa.
  • Attends ! Elle prit le carton d’alcool pour le glisser derrière le fourneau. Une bonne cachette. Opaqagö ne risquerait pas de le dénicher à cet endroit. Et elle se mit devant la porte pour appeler son mari qui frétillait des yeux, preuve qu’il ne lui fallait pas grand-chose pour atteindre son monde et mettre le souk à toute la maison. C’est pour l’après-midi. Et le soir, tout le monde irait encore chercher un toit chez la famille. Laisse, on lui montrera les tissus et les sous après. Et, elle se mit à table avec son petit-fils. Ils déjeunèrent.

Demain, pour ceux qui veulent m’écouter, je lis des extraits de textes de Dewe Gorode à la bibliothèque Bernheim. Et dimanche j’anime la journée Calédonia au centre Jean-Marie Tjibaou. Bisous vous. Elanyië. Wws

[1] Qaaqa : grand-mère.

[2] Noire blanche : une femme kanak vêtue à l’européenne.

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