Nuelasin n°104 – 09 septembre 2022

Bozusë

Pour ce vendredi, un souvenir de mariage des Verts de Hunöj et un extrait d’un récit de Ihujë (demande en mariage/opération séduction) toujours chez nous. De mon recueil de nouvelles « De séduction en séduction » sorti en 2015.

Bonne lecture à vous. Wws

Dans la petite voiture de Maselo

  • Bonjour Mr Maselo.
  • On dirait que vous n’avez pas trop la forme. Vous faites le gros dos et vous n’avez pas bonne mine. Qu’est-ce qu’il y a ?
  • Mme Raymonde, vous avez bien fait de me poser la question parce que je me la pose aussi à moi-même. Je vous assure que je ne suis pas bien. Peut-être que c’est le temps qui fait ça.
  • C’est pas le foot; n’est-ce pas ?
  • Pourquoi ?
  • Mr Maselo vous ne faites pas exception. En ce moment de coupe du monde, les couples sont fragilisés.
  • Je ne suis pas de la jeune génération. Je suis plus dur que vous ne le croyez.
  • Mr Maselo, le foot a un coté mystique que tout le monde ne connaît pas. Je vous assure.
  • Je veux bien vous croire Mme Raymonde. Vous savez, je me souviens d’un parieur turc dans une coupe du monde, il était tellement sous l’emprise du jeu qu’il avait misé sa femme.
  • Après ?
  • Bein il a perdu. C’était pour un match d’une grande nation de foot contre un petit pays. Le petit pays l’a remporté. Vous savez en coupe du monde, il n’y a pas de petits pays. Regardez, l’Allemagne, le Portugal.
  • Je regarde plutôt le sort de la femme que le mari a misée !

Pöö: J’ai appelé Isoko au début de la semaine dernière parce que dans les réseaux sociaux, j’ai regardé le mariage de chez nous à Hunöj où son clan avait organisé le mariage d’un des garçons de la maison. Sublimes comme d’habitude les tenues et la coiffure de la mariée ! Normal. Mais ce qui m’attirait plus pendant la cérémonie, c’était le témoin. Pöö. Il s’y croyait. Il avait assuré. Un jeune de la tribu. On le connaît. Pöo est devenu un homme par son âge mais il est toujours ‘malade.’ Il continue de percevoir une aide pour son handicap d’ailleurs. L’aide sociale lui a même attribué un logement dans les cités de Magenta.

Je disais à Isoko que dans les situations comme cela, en donnant de l’importance à ces personnes, on leur procure de la joie en les mettant sur la voie de la guérison. Il est sur un piédestal, de la considération pour un peu de paradis sur terre.

Pendant la cérémonie du mariage, Pöö était sous les feux de la rampe. La réalité était tout autre puisque le vrai témoin du marié était un autre garçon de la tribu. On s’en fiche, mais pour nous qui suivons le mariage de loin, on garde le souvenir de Pöö à côté de la mariée qui, parait-il, lui avait même accordé la deuxième danse. Le deuxième slow.

La veille quand le responsable du mariage a demandé aux futurs mariés (y compris les témoins) de rentrer pour dormir tôt pour la cérémonie du lendemain, Pöö était le premier à disparaître et le lendemain, le premier à vite reparaître pour s’habiller. SLLVR !

Un extrait de De séduction en séduction : « Hmaloikö la acili pö hune la xomi föe[1] » Proverbe du pays Drehu

Nous sommes des enfants de ceux qui ont été mariés par la coutume, les descendants directs de ces gens là. Alors, comment se fait-il que nous ne sommes plus capables d’assumer la vie comme eux avant nous. Est-ce que nous n’avons pas leurs tripes ? Les mêmes, je t’assure, ouvre grands les yeux et regarde bien.

Il est bien connu qu’on forge la vraie amitié dans la souffrance. Nous souffrons tous ici du travail qui nous a été confié par les vieux de notre clan. Il n’y a rien qui puisse trahir les vrais sentiments de chaque individu. La personne entière se meut librement, sans artifice aucune. Si maintenant tu comprends l’importance de ce que nous sommes venus chercher ici à Siloam, tu ne peux pas ne pas accepter notre venue. La bénédiction de nos vieux nous accompagne et reste dans la maison où nous posons nos pieds, sinon nous répandons la malédiction et la mort. » Panue était au bord des larmes. Personne n’osait plus prendre la parole après lui. Par son âge, faisant office de grade, il avait verrouillé toute autre tentative d’agrément. Sa lucidité et son aisance montraient sa qualité d’homme reclus. Déçu des événements de 1984, il s’était retiré pour méditer la vie. Les gens de la tribu comptaient beaucoup sur lui.

Finis les exposés, il fallait passer à la phase cruciale au sujet de laquelle chacun avait déjà redoublé son attention. Esther allait livrer son arrêté. Qui allait lui poser la question ? Le maître des lieux rompit le lourd silence. « Acaemo, ma fille il est bientôt deux heures à ma montre. Les coqs vont être témoins de ta décision. A la tribu, il y a des filles de ton âge qui n’avaient pas voulu accepter à l’époque les vrais partis comme celui-là, tu les connais, elles sont devenues vieilles filles : rochers à la tribu. Elles sont le sel qui donne du goût aux soirées de beuverie à la tribu. Maja a sept gosses. Qui fera des kilomètres comme ces messieurs pour lui demander en mariage ? La chance ne sonne qu’une seule fois pour son tour, après, c’est fini pour la vie. Il faut savoir prendre la bonne décision au moment où il faut. Ce soir, c’est toi qu’ils sont venus voir. Je ne veux pas que demain tu viennes à la maison pour demander leur coutume alors qu’ils ont déjà trouvé une autre fille, parce que tu veux revenir sur ta décision. » Décidément, toutes les brèches par laquelle Esther pouvait encore espérer s’engouffrer et trouver une autre alternative, sont explorées, elle ne devait plus que donner une seule réponse. Celle que tout le monde attendait. Il y eut un long silence. Une éternité.

[1] Il est plus facile de monter les baraques pour le mariage que de parlementer pour trouver femme à un homme

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