Bozusë,
On va vers minuit et j’apprends qu’un petit frère de mon clan vient de nous quitter pour d’autres cieux. Que son repos soit doux.
Ça y est, il est minuit une (vendredi 22 juillet 22): « Je pense qu’à Hunöj, notre cloche a sonné pour annoncer ton départ. Une parcelle de la terre de Hnatro va être ouverte. On t’attend. Adieu Liva jining, on criera toujours SLLVR. »
Dans la petite voiture de Maselo
- Salue Mr Maselo, Boyen s’il vous plait!
- Ah! Mme Paulette, ça fait un bail!
- Vous avez raison, je sors d’une maladie. Oh ! De pas trop grave; juste pour se reposer. Je ne parle pas du garçon de ma sœur. Il est parti en France, évacué pour un problème de rein. Il parait qu’un de ses deux reins ne fonctionne plus. Il faut qu’il aille à Nice pour une opération. C’est vraiment compliqué tout ça.
- Je vous comprends alors. Cela n’a rien à voir avec nos petites misères quotidiennes.
- Comme vous dites. Et vous, toujours aussi vaillant.
- Si l’on veut mais douloureusement avec le froid. Il faut prendre son courage à deux mains par ces temps-ci. Heureusement que je ne sors pas de la voiture. Mais vous savez Mme Paulette, je suis une météo mobile. Je connais la température de toutes les vallées à force de rouler et je peux vous dire qu’il fait très froid. Le matin la température reste en dessous de 10. J’imagine les enfants qui vont à l’école surtout les plus petits.
- Ma petite fille, sept ans. Je pleure tous les matins quand elle part de la maison. Je vous jure…
« Edrëhe Xodre!* Tretre Xelekö »
Je décidais un jour d'aller à Xodre. Une tribu de Lifou au sud. C'est là-bas que vivait ma tante chez qui je me promenais à des occasions. Je ne trouvais personne mais de la maison en dur une voix me parvint. Elle chantait. Je partis y jeter un œil. C'était pour la surprendre de ma visite parce qu'elle était toujours très heureuse de me voir arriver. Lorsque je frappai à la feuille de tôle ondulée qui servait de porte, la voix se tut. Et lorsque je fis mon entrée magistrale comme de coutume, pensais-je, ma tante jeta un cri d'étonnement effroyable que je sursautai en reculant machinalement. Surprise! Tante Xelekö était assise sur une chaise et sa fille Nazule était debout à ses côtés. Entre les deux, une bassine remplie d'eau les séparait. Nazule s'apprêtait à baigner ma tante. Je sortis illico dans la cour mais la voix de ma tante me suivit pour dire d'attendre dans l'autre maison en prenant un café. Elle rajouta que Nazule était en train de la baigner et que cela n'allait pas prendre beaucoup de temps. C'était une manière de me retenir à Xodre pour que je ne retourne pas sur le champ à Hunöj. Je ne pris pas de café comme elle me proposait. Je pris plutôt le crochet que j'ai trouvé à côté du lavoir pour cueillir des cocos verts. Lorsque le bain de la tantine fut fini, la cousine vint m'appeler sur la pelouse pour la rejoindre dans la case. Tante Xelekö m'attendait pour que je lui pose des questions comme à mon habitude à chaque fois que je venais chez elle. Ce ne fut pas le cas ce jour-là. En m'abaissant devant la porte de la case, je vis des tissus et des billets de banque posés à côté du poteau central. Elle me dit tout de suite d'aller m'asseoir de l'autre côté du foyer. On ne s'embrassa pas comme de coutume pour se souhaiter la bienvenue. Je rentrai et m'assis comme elle me dit, l’index pointé vers la natte nouvellement dépliée. J'attendis. Je suais à sang parce que beaucoup de questions m'arrivaient à grand flot et se chevauchaient dans mon crâne. Tantine ne prit pas la parole tout de suite mais elle laissa aller le temps, beaucoup de temps: « Je vais parler sur ce geste posé devant le poteau central. Il est pour toi. Tu es arrivé tout à l'heure et tu as vu tantine. Tu as vu la nudité de tantine. Tu es un beau jeune homme dans la force de l'âge et la prunelle de tes yeux s'est brûlée sur le corps de tantine. Un corps usé par la vie. Il est déjà bon à être jeté dans le trou de l’oubli. Il n'est pas bon à être regardé par des jeunes hommes comme toi. Je ne veux pas que le corps de tantine anéantisse tes pulsions et tes désirs d’homme. Toi, c'est bon que tu ailles chercher femme là-bas à Luengöni ou très loin à Igilan. Tantine demande pardon parce que tu n'as pas été averti et que tu es rentré par surprise dans la maison en dur où ta sœur s'apprêtait à baigner Tantine. Tantine pensait à ses petites enfants qui arrivaient comme ça. Tantine s'en excuse énormément. Ne refuse pas le geste ou Tantine va se sentir très mal. Va vite déposer ces tissus et ces billets dans ta voiture et reviens rapidement après pour embrasser Tantine et prendre le petit 9heures. Nazule a dit que tu n'as pas pris de café. Tu es allé boire des cocos verts. C'est la saison. Le crochet que Tomë a fait est très bien. Il a aussi servi à dénicher le serpent et ces petits de là-haut, la corbeille magique. Tu sais mon neveu à force de ne pas faire de feu dans la case, un serpent est venu se nicher dans le Imulal. C’est peut-être aussi le diable de la maison, si ça se trouve. Il y a quelques semaines quand Nazule a fait du feu un petit serpent est tombé dans la cendre. Quand elle a levé les yeux vers la corbeille magique, tout grouillait. On dirait un bruit d’herbe sèche qu’on a écrasée entre les mains. Elle s'est rendue compte qu'il y en avait d'autres. Elle a alors appelé les garçons qui sont venus nombreux pour activer le feu et dénicher le serpent, la mère et ses petits. Personne n’a dormi dans la case juste après. Moi, j’ai quitté la maison. Mais qui c’est qui va pouvoir dormir ici avec ces bestioles.» Je ne parlais pas. J’écoutais le récit du serpent tellement captivant que je finis par oublier le geste coutumier resté à côté du poteau central. J'oubliais surtout la raison pour laquelle il fut présenté. Je m’efforçai alors d’oublier ma tante comme un lutin assis sur sa souche. Je posai ensuite quelques paroles de remerciement sur le geste coutumier de pardon qui n’avait pas lieu d’être, me semblait-il. Je le pris et le déposai dans ma voiture pour après revenir partager le café que Nazule avait déposé dans la cendre du foyer de feu et surtout embrasser ma tante Tretre Xelekö.
*expression interjective. Traduire: tout à l’heure, j’ai un rancard à Xodre.
A la mémoire du frère parti trop tôt, je remets la chanson ci-après de Kobi, de son album de 1981. Je l’avais déjà fait paraître dans Nuelasin 85. Bonne écoute à vous et à vendredi prochain.
Wws.
Wana jining
Mitihë lola drai/ le ciel s’est assombri
Patrehë itre waco/ les oiseaux sont partis
Itre hnitr a treij/ l’herbe des champs a séché
Ekölö e Orian./triste sort … Orian
Ulili ne gejë/ les clapotis de l’onde
La nine treijei hmunë/ à tes sanglots pareils
Aqane meleso/ ô notre manière d’aimer
Ekölö e Orian./Ekölö e Orian.
Chorus: Ouh…
Wana jining.
Chaque jour, chaque nuit
Je me mets à pleurer
Je me mets à crier
Pourquoi telle destinée ?
Je ne vous dis plus rien
Je ne crois plus en rien
Je suis ce pauvre chien
Qui a perdu les siens.
Album Kobi 1981












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