Ataï, Chef Guerrier

Alors que l’année 2023 commémore les 145 ans de la disparition du Chef guerrier Ataï, cet article publié par Présence Kanak se veut être un hommage à cette figure emblématique qui a marqué l’Histoire de la Nouvelle-Calédonie.

Aliénation foncière

C’est en 1853 que débute par ce qu’Aimé Césaire dénonce dans son essai anticolonialiste « Discours sur le colonialisme » la soumission physique et morale du colonisé. Effectivement, cette date du 24 septembre marque la prise de possession par l’implantation du drapeau français sur le sol kanak. A ce moment-là, la Nouvelle-Calédonie est désormais française et les Kanak quant à eux se retrouvent dépossédés de leur propre pays. Il en va de soi que le peuple autochtone ne se laissera pas dominé aussi facilement.

Ainsi de 1853 à 1868, une colonisation disséminée est en marche et de violents affrontements éclatent entre les Kanak et la puissance coloniale française. On pense à l’événement du 18 mai 1868 lorsque dix Kanak de Pouébo sont guillotinés sur le lieu-dit Uvanu « pour avoir défendu leur terre contre la spoliation du gouverneur Guillain ».

Entre 1868 et 1878, soit dix ans avant l’insurrection, l’administration coloniale va connaître une série de révolte de la part des Kanak dans différents endroits de la Nouvelle-Calédonie. Entre tribus volées et terres confisquées pour l’extension du front pionnier, les Kanak voient leur structure sociale bouleversée. Les terres sont aliénées pour la deuxième fois par la puissance française. Malheureusement, cette spoliation entraîne également une déstabilisation de l’économie vivrière des Kanak. Ils se voient donc dans l’obligation de se retirer dans les vallées de la chaîne, là où les terres sont moins fertiles.

Il a été constaté que ces révoltes sanglantes ont aussi causé un nombre de mort important dans les deux camps opposés. Ainsi, la population kanak diminue au fil des événements dramatiques.

Alors que l’administration française pense avoir maîtrisé les populations après les actes de répression massive, les mécontentements des Kanak demeurent et se généralisent jusqu’en 1878 dû à l’occupation frauduleuse des terres par les colons.

Ataï, Chef Guerrier

Connu dans les mémoires pour avoir mené l’insurrection de 1878, le chef Ataï est originaire de Komale près de La Foa, dans le pays Cîrî. Il occupait la fonction de chef de guerre d’un prestigieux clan celui des Daweri dont les dignes représentants est le clan Kawa de la tribu de Petit Couli.

Le clan Daweri était un clan maître de la région et possédait une tenue foncière importante. Ataï était le chef de guerre de cet illustre clan et devait honorer son rôle en temps de conflit : combattre pour la défense des terres Daweri. 

Ataï a été décrit comme un guerrier intelligent, courageux et dangereux par ses ennemis. En effet, pour monter la révolte, il n’a pas hésité à rassembler tous les chefs guerriers de la région afin de mettre fin à cette intensive spoliation foncière. Malheureusement, il sera tué au combat le 1er septembre 1878 par un autre de ses semblables originaires de Canala et qui fût sous le commandement du gouverneur de l’île. Sa tête décapitée sera envoyée à Paris et sera conservée au muséum d’Histoire Naturelle accompagnée de celle de son sorcier.

Un sac de pierre contre un sac de terre

De Poya à Boulouparis, les terres feront l’objet de délimitation notamment pour l’avancée du front pionnier mais aussi pour une occupation libre des colons. Divers espaces seront alors créés tel que le centre pénitencier de Bourail.  Le pays Cîrî, quant à lui, sera délimité en réserve pour parquer les Kanak de la région. De quoi révolter les insurgés. Des alliances seront alors créées pour mener la révolte de 1878 avec à sa tête : Le Chef Guerrier Ataï.

Selon l’historien Jerry Delhatière, plusieurs facteurs justifieront la révolte kanak. En effet, depuis l’occupation de la puissance coloniale française, les Kanak reculés de Nouméa connaîtront la maltraitance par les représentants de l’administration française. Les Kanak connaîtront également le mépris de la part des colons pour eux et leur culture. Les femmes, quant à elles, seront emmenées de force pour d’autres tâches.

De plus, depuis la délivrance du permis d’occupation libre des terres, les éleveurs de bétail laisseront divaguer à loisir les troupeaux dans ces parcelles volées. Les Kanak verront leurs champs détruits et leur espace vital réduit.

En chef guerrier qu’il incarne, Ataï défie le gouverneur de l’époque et lui dit en déversant à ses pieds un sac de terre : « Voilà ce que nous avions ». Puis il déverse un second sac mais cette fois-ci de pierre et lui manifeste à nouveau : « Voilà ce que tu nous laisses ».

A son tour, le gouverneur lui conseille de construire des barrières pour protéger ses cultures des dégâts causés par les bétails. Or Ataï lui rétorque : « Lorsque les taros iront manger les bœufs, je construirais des barrières ».

Révolté par toutes ces exactions, Ataï fédère tous les chefs de guerre de la région et décide alors de prendre les armes. Une guerre sanglante sera menée et sans aucune pitié.

Malheureusement, suite à l’alliance de l’administration française et des guerriers Kanak de la région de Canala et d’Houaïlou, Ataï, son fils et son guérisseur seront abattus le 1er septembre 1878 par un Kanak de Canala. Les têtes arrachées, elles seront conservées dans du formol et envoyées au Muséum de l’Histoire Naturelle à Paris. Suite à la neutralisation des guerriers, les chefs rebelles seront exécutés, les clans révoltés déplacés ou déportés à l’Île des Pins puis Belep et leurs terres seront confisquées.

Restitution des reliques : pour une reconnaissance du combat d’Ataï

Le 28 août 2014, les reliques du chef guerrier sont remises à son descendant, Berger Kawa. Il s’agit là d’un apaisement de l’esprit de tout un clan car Ataï repose désormais en terre kanak. En effet, cette restitution n’aurait pas eu lieu si monsieur Kawa ne s’était pas démené pendant quarante ans pour que les reliques de son aïeul puissent être remises à sa descendance.

C’est désormais sur le lieu-dit « Wéréha » qu’ont été inhumés le crâne du guerrier Ataï ainsi que celui de son sorcier. Tous deux ont été célébrés avec la reconnaissance qu’ils méritent par le peuple kanak des différents pays de Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

Ce retour constitue pour Monsieur Hippolyte Sinewami une reconnaissance du combat mené par le chef  guerrier kanak.

Louise Michel, déportée sur la presqu’île de Ducos à la suite de la Commune de Paris, raconte la mort d’Ataï dans ses célèbres Mémoires :

« Ataï lui-même fut frappé par un traître. Que partout les traîtres soient maudits ! Suivant la loi canaque, un chef ne peut être frappé que par un chef ou par procuration. Nondo, chef vendu aux blancs, donna sa procuration à Segou, en lui remettant les armes qui devaient frapper Ataï. Entre les cases nègres et Amboa, Ataï, avec quelques-uns des siens, regagnait son campement, quand, se détachant des colonnes des blancs, Segou indiqua le grand chef, reconnaissable à la blancheur de neige de ses cheveux. Sa fronde roulée autour de sa tête, tenant de la main droite un sabre de gendarmerie, de la gauche un tomahawk, ayant autour de lui ses trois fils et le barde Andja, qui se servait d’une sagaie comme d’une lance, Ataï fit face à la colonne des blancs. Il aperçut Segou. Ah ! dit-il, te voilà ! Le traître chancela un instant sous le regard du vieux chef ; mais, voulant en finir, il lui lance une sagaie qui lui traverse le bras droit. Ataï, alors, lève le tomahawk qu’il tenait du bras gauche ; ses fils tombent, l’un mort, les autres blessés ; Andja s’élance, criant : tango ! tango ! (maudit ! maudit !) et tombe frappé à mort. Alors, à coups de hache, comme on abat un arbre, Segou frappe Ataï ; il porte la main à sa tête à demi détachée et ce n’est qu’après plusieurs coups encore qu’Ataï est mort. Le cri de mort fut alors poussé par les Canaques, allant comme un écho par les montagnes. […] Que sur leur mémoire tombe ce chant d’Andja : Le Takata, dans la forêt, a cueilli l’adouéke, l’herbe bouclier, au clair de lune, l’adouéke, l’herbe de guerre, la plante des spectres. Les guerriers se partagent l’adouéke qui rend terrible et charme les blessures. Les esprits soufflent la tempête, les esprits des pères ; ils attendent les braves ; amis ou ennemis, les braves sont les bienvenus par delà [sic] la vie. Que ceux qui veulent vivre s’en aillent. Voilà la guerre ; le sang va couler comme l’eau sur la terre ; il faut que l’adouéke soit aussi de sang. »

A lire également : https://www.province-nord.nc/sites/default/files/parution/pays-ndeg177-octobre-2021.pdf

Bibliographie :

Documentaire, Les chemins de l’histoire : « 1878, guerre cruelle ! » – Lnc.nc : « Les reliques d’Ataï et de son sorcier Dao reposent désormais à Wéréha » – video youtube : http//youtu.be/Jr2gPCVyT1E.

Photo : La Croix

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