Erotik Kanak de Roger Boulay

Le sujet de l’érotisme kanak est complexe et a été largement occulté ou déformé par l’histoire coloniale et les représentations occidentales. L’ouvrage de Roger Boulay, Erotik Kanak, basé sur son travail d’ethnologue et de commissaire d’exposition, est une source essentielle pour aborder cette thématique à travers les témoignages visuels que sont les bambous gravés du XIXe siècle.

Les recherches de Roger Boulay ont fait l’objet de plusieurs expositions.

Le rôle des bambous gravés

Les bambous gravés constituent une source unique d’informations sur la culture et les coutumes kanak avant la colonisation. Ces objets, souvent de nature privée, servaient à la fois de carnets de bord, d’écrits d’amour, ou de mémoriaux. Ils témoignent de scènes de la vie quotidienne, de rituels, mais aussi, et c’est ce qui est remarquable, de scènes à caractère érotique. Ces représentations, souvent explicites, sont des indices précieux sur la place de la sexualité dans la société kanak de l’époque, loin des clichés pudibonds imposés plus tard.

L’érotisme kanak dans son contexte culturel

Contrairement à la morale occidentale importée par les missions, la sexualité et le corps en pays kanak n’étaient pas vus comme des sujets tabous ou honteux. Elles s’inscrivaient dans un système de valeurs et de normes sociales qui leur étaient propres.

  • Une sexualité avant le mariage non interdite : Les sources ethnologiques indiquent que la sexualité avant le mariage n’était pas prohibée. La virginité n’était pas une valeur centrale et les jeunes gens pouvaient expérimenter des relations sexuelles.
  • Le rôle des femmes et la notion de « sexage » : Des études contemporaines, comme celles de Christine Salomon, montrent que les rapports de genre en pays kanak étaient complexes. La sexualité des femmes, et le « produit de leur corps », c’est-à-dire les enfants, étaient soumis à des formes d’appropriation par la lignée et le clan, une notion que l’on peut rapprocher du concept de « sexage ».
  • Le mariage et la procréation : Le mariage avait un rôle fondamental dans la structure sociale. Il s’agissait d’une alliance entre clans, et la procréation était un enjeu majeur pour la continuité de la lignée. La polygamie était également pratiquée, en particulier par les chefs.
  • Le corps comme espace de pouvoir et de symbolisme : La nudité n’était pas nécessairement source de gêne. Les corps, et en particulier les muscles, étaient valorisés et pouvaient être ornés pour des cérémonies ou des danses. Certains objets, comme les ornements de jade, avaient une signification symbolique liée à la sexualité féminine.
Article de Myriam Grandclerc – Palabre n°22

L’impact de la colonisation et des missions

L’arrivée des missionnaires, tant protestants que catholiques, a profondément transformé les mœurs et les représentations de la sexualité en Nouvelle-Calédonie.

  • Condamnation de l’érotisme et de certaines pratiques : Les missionnaires ont condamné les pratiques considérées comme immorales, comme la polygamie ou la liberté sexuelle avant le mariage. Les danses « impudiques » ont été interdites, les cases d’habitation des femmes et les cases menstruelles ont été abandonnées, et la notion de virginité au mariage a été imposée.
  • Création de villages et transformation de l’habitat : La sédentarisation autour des églises et des temples a modifié l’organisation sociale et spatiale. Les nouvelles formes d’habitat, avec une seule case pour l’ensemble de la famille, ont aussi eu un impact sur les rapports sociaux.
  • Un héritage en partie effacé : L’impact de la colonisation et des missions a été tel que les représentations de l’érotisme kanak ont été en grande partie effacées des mémoires collectives, rendant le travail de recherche et de préservation de Roger Boulay d’autant plus important.

Résumé du livre

Les bambous gravés de Nouvelle-Calédonie (XIXe siècle) sont une des expressions les plus originales de la représentation des coutumes kanak. Parmi les motifs évoqués : des scènes traditionnelles de village, de cérémonies de deuil et d’échange, de pêche, de navigation, de danse ou de parades guerrières, souvent accompagnées de clins d’oeil sur un monde européen fraîchement débarqué. O surprise, on découvre aussi quelques scènes érotiques pleines d’invention, de verdeur et d’humour.

L’auteur

Roger Boulay est spécialiste des arts d’Océanie. Depuis des années, ce « savant malicieux » explore les collections des musées du monde entier. Il a notamment conçu pour le MNAAO les expositions Arts des Aborigènes d’Australie (1993), Arts du Vanuatu (1996), Kannibals et Vahinés (2002) et pour le musée du Quai Branly Tarzan I (2009). Il est commissaire, avec Emmanuel Kasarhérou, de l’exposition Kanak, l’art est une parole (musée du Quai Branly 2013-2014, centre culturel Tjibaou, Nouméa 2014).

Aux Editions de l’Etrave – ISBN 978-2-35992-022-2

sources : Palabre n°22 (page 61) – Musée de la Nouvelle-CalédonieMuseum de La Rochelle

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