Nuelasin n°158 – 10 novembre 2023

Bozusë. Nos jeunes sont vraiment très prolixes dans la bêtise. Au lieu de tout simplement assurer leurs heures de cours et rentrer à la maison… Pff!

Alors que j’étais dans mon bureau hier après-midi après une réunion de travail avec le directeur de la FELP, arrivèrent ma secrétaire et la femme que nous avons engagée pour le ménage des toilettes et le nettoyage de la cour de l’école: « Hé, M. Wws quelqu’un a cassé la serrure des toilettes du collège. » Je ne parlais pas. J’étais trop plongé dans le livre de lecture des 4ème. J’étais en train de chercher un texte pour réinvestir des éléments de mon cours sur les pronoms personnels. Mes élèves sont vraiment des brises fers. Je suis découragé. À chaque fois, je fais réparer un meuble, les élèves reviennent à nouveau dessus pour réitérer leur exploit. À croire qu’ils viennent de la maison pour détruire notre collège.

Les filles: Maintenant, je dois recevoir la maman d’une des deux filles que j’ai reçues lundi. Les deux ados s’amusaient à proférer des menaces sur Internet envers une jeune fille de leur âge habitant le village. Quand je leur ai dit qu’une plainte a été déposée et en même temps que j’ouvrais mon portable pour leur lire ce qu’elles avaient écrit, l’une d’elle commença à rougir des yeux. Des larmes perlaient au visage. « Tu vois Mariella, tu te positionnes toujours en victime mais là, c’est toi qui agresses. Et tu pleures. Est-ce que tu veux que je prévienne tes parents ? » Leur dis-je. Qu’est-ce que je n’ai pas fait d’évoquer les parents. Je vis l’ado sursauter sur la chaise me faisant face. « Non Monsieur s’il vous plait, ne dis pas un mot à mes parents. Surtout pas à maman. » La réponse fut directe et au tac au tac. Je savais pertinemment que leurs parents n’étaient pas au courant de la dérive. Mais moi, je leur ai aussi menti que c’était la gendarmerie de Voh qui m’avait communiqué les photos copies d’écran sur mon téléphone. À malin malin et demi.

  • Alors, vous me promettez de ne plus communiquer comme vous le faites sur les réseaux ?
  • Oui, M. Wws. Jure devant Dieu.
  • Allez, sortez de mon bureau et ne recommencez plus.

Si les deux hurluberlues savaient que c’était le papa de la fille du village qui était venu se plaindre à moi dans mon bureau…

Hao Paul: Je revenais du collège en roulant au pas. Arrivé à l’embranchement je tournais mon regard vers chez Etienne. Le vieux que je pris d’abord pour la grand-mère de la maison, était assis sur une chaise. Je klaxonnai. Il leva la main et me salua. Quelques temps après que j’eus passé la maison, je réalisai que c’était le vieux papa Paul qui rendait visite à ses neveux. Pour me rassurer, je tournai vers l’entrée du cimetière. Quand je fus complètement entré dans la cour de chez Etienne, je vis le vieux assis sur sa chaise, une poche dans la main. Au fait, il ne sortait plus de la maison. Et même qu’il était devenu rare qu’il vînt à la tribu. Cela valait bien la peine que je me déplace. Tout le monde de la tribu devait se déplacer pour le voir. Pour cause, il est le vieux le plus âgé de la tribu. 96 balais. Quatre-vingt seize ans. « Wws, quand la famille était venue de Atéou à l’époque, lui, il marchait déjà tout seul et à côté de ses parents. » C’était sa sœur qui parlait ainsi. Elle était assise sous la véranda et de ses mains, elle faisait de grands gestes pour joindre à la parole. Elle aussi est devenue grand-mère et arrière grand-mère. La vieille génération qu’on ne compte plus que sur le bout des doigts. « Je pense que tonton doit être âgé un peu plus que son âge actuel. À l’époque, ils ne relevaient pas correctement les dates de naissance. » C’était Etienne qui complétait les dires de sa mère. Peut importe. Pour moi, l’essentiel c’est que Hao Paul soit revenu à la tribu. C’est vrai, il est devenu un peu mal entendant parce qu’on devait toujours insister sur nos cordes vocales pour lui adresser la parole. Je plaisantais avec lui. Il ne bougeait pas trop de sa chaise parce qu’il était avec sa poche d’urine qu’il se promenait avec. Mais qu’il riait comme avant ! Avant quand je venais d’arriver à Tiéta. Il avait toujours le même sourire. La même hauteur de voix. Un enfant. Comme un enfant, il était devenu. Arrivera-t-on à égaler l’âge de cet enfant ?

La mangue: A chacun sa madeleine. Je devais écrire les mangues. De dessous le sapin colonnaire où je me tenais, mon regard fut tiré vers le manguier en contrebas de la vieille maison de chez Gué Réa. Il était chargé. Des fruits rouges. Très rouges de la variété sabot. Peut-être bien que le fruit ressemblait à un sabot de bois. Ma pensée alla à Madue et le malien kanak (Alimana) Ils vivent tous deux en France en ce moment. Je me rendis sous le grand arbre et je cueillis deux mangues. J’en croquai une et je la jetai après. J’en cueillis une deuxième que je mordis et que je jetais ensuite. Elles finiront pitance des merles et des rats de la touffe herbeuse adjacente. « Une pour Madue dans le Finistère et l’autre pour Ali à Paris (?) » Me dis-je. Les fruits parsemaient le sol. J’en ramassais quelques uns pour les laisser dans le réfrigérateur. Je les mangerai une prochaine fois quand ils seront bien frais et quand il fera bien chaud. Ma pensée ne quittait pas les frères. Loin des yeux… mais sûrement en moi où mon cœur palpite. Un vieux de Nengone pendant la guerre de 14-18, se promenait dans une rue de la capitale métropolitaine. Il tomba sur un étal d’oranges. Il voulait tellement en manger mais il n’avait pas d’oseille. Alors il pensa fortement à node Nengone où les fruits pourrissaient le sol. L’air de Nengone ne guhna iara maneone se conçut aux confins de son être. Cette chanson est devenue une classique au pays.

Marie: Elle s’est trompée de route pour venir me voir. Au lieu de prendre à gauche vers le gué où Sija est tombé, elle est partie tout droit jusqu’à la piste en terre tout là-bas vers l’endroit où le gars de Touho a abattu le python de plusieurs mètres. « Marie, tu voulais devenir garde champêtre ? » lui avais-je demandé. Elle riait. Du même sourire de je ne sais plus combien d’années quand je l’avais connue à Grenoble. Marie kamadra. Marie la blanche. À l’époque, nous avons deux Marie à la maison. Une, c’est l’épouse de mon grand frère Drikone. C’est elle la noire, la kanak. L’autre Marie, c’est la blanche. Elle est de Grenoble. Chez nous, maintenant dans la famille H. nous avons quatre Marie. Pour les distinguer… nous les appelons par leurs autres prénoms et par leur filiation matrimoniale. Après les deux Marie, précédemment citées, nous avons Marie Cheyenne et l’autre Marie à Baly (qui est mon neveu. Il porte mon autre prénom)

J’ai passé une partie de ma matinée de jeudi avec Marie kamadra dans la maison chantier qui n’est pas achevée. On échangeait sur Nuelasin et sur l’autre journal de l’école de Tiéta qu’on a lancé en 2008. Vetchaong. C’était encore à l’époque de M. Pierre et de M. Thierry l’actuel directeur de la FELP. Elle était intéressée par ce travail. Je suis très heureux de cette matinée. Des moments uniques qui nous rajeunissent et nous rafraîchissent la mémoire que le temps a enlevée de son cours. Souvenirs sur lesquels l’écho ne fera plus jamais revenir.

Pour accompagner le vieux Maselo, je vous dédicace Nengone. Ici au pays, ce n’est pas la saison des oranges mais des mangues, des gommiers et d’autres fruits. Bonne lecture à vous de la vallée. Wws

Dans la petite voiture de Maselo

  • Bonsoir M. Maselo. Qu’est ce que j’entends là ?
  • M. Tchabaé, c’est comme si vous n’êtes pas du pays. Voyez les cotonniers sont en fleurs.
  • Ah! Vous avez raison. Il doit y avoir plein de roussettes par ici?
  • Oui. Beaucoup mais elles viennent plutôt le soir. Tard le soir.
  • Chez nous à la tribu, il y en a beaucoup. Elles sont partout sur tous les arbres en fleurs ou ceux qui portent déjà des fruits. Et elles viennent tôt. Juste au coucher du soleil, on les voit venir de la vallée. Une nuée de papillons de saison.
  • Je sais qu’à Témala, elles sont sur les mandariniers, les orangers mais aussi sur les bananiers. Je sais que pendant la saison des fruits, on fait la course. J’ai de la famille par là-bas. Les deux vieux habitent à l’entrée du village.
  • Je les connais. Le vieux peste contre les jeunes qui viennent d’alentours pour tirer les volatiles sur leurs vieux kapokiers.
  • Vous savez, ça va quand ils tirent les roussettes loin des habitations. Mais là, ce n’est pas le cas. Les deux grands arbres sont juste à côté des villas. Ils abritent même le grand poulailler. Le grand-père pense des fois que les chasseurs tirent sur leurs poules. On peut en rire, mais la situation s’est déjà produite. Le vieux Robert a même appelé les gendarmes. Les gens de la tribu ont été convoqués après à la gendarmerie.
  • Mme Tchabaé, ce n’est pas bien d’avoir de mauvaises relations de voisinage. J’ai déjà vécu la même histoire. Je vous jure… ce n’est pas commode. Pff!

Chantons.

Nengone ne guhna iara maneone

Rita ezie nore hna ithua, hna ithua

Ta nodei angasereie ti puja

Co kuane me deko thuben.

Refrain: Kolo haome

Kore ta wauce

Thingin me buruia, me buruia

Inudai co kuane

Hmaïai onom

Wenore ne guhna

Ci te to on

Pour les artistes, ne vous fiez pas aux paroles que j’ai transcrites à l’oreille en appelant Déjy à Baganda. Je lui ai demandé de revenir sur ce chant la semaine prochaine. Plus loin dans le temps, Jacques Hnau (il n’est plus de ce monde) m’a remis la copie de cet air dans le train entre deux wagons en revenant des vendanges dans la Côte d’Or quand on était étudiants. Souvenir, souvenir…

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