Nuelasin n°150 – 1er septembre 2023

Bozusë. Jeudi 24 août 23. Je suis dans la salle d’étude en train de surveiller les élèves. Ils sont de différents niveaux. De la 6ème jusqu’à la 3ème. Ils n’arrivent pas à rester un seul instant sans bavarder. Même la fille de la grande section. Elle dort sur sa feuille, se relève pour parler à la voisine qui est en classe de 5ème. Celle là, elle travaille. Oui, j’ai déjà vu son travail en entrant dans la salle d’étude pour remplacer Mme Évelyne qui part pour un rendez-vous. Evzone dessine. Le genre gribouillage. Mais je la laisse. C’est son travail. Elle a l’esprit apaisé du sens du devoir accompli. Pff!

De dehors, j’entends de temps à autre la voix de Adidi. Il est sous l’abri avec Mme Magala, notre AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire). Adidi est content d’échanger avec une personne adulte de l’autre sexe. Une dame. Il est gonflé et se croit intéressant. C’est aussi cela l’adolescence mais cela m’agace. Oui, mais je n’interviens pas. Et pour cause; je me vois en lui. Lorsque j’étais moi-même adolescent. A Havila. Le genre mauvais garçon.

Vendredi 25 août 23. « Fabian, tu relis le texte de la ligne 43 à la fin. » Je me rends compte que le jeunot ne lit pas bien. Une lecture saccadée. Donc pas fluide. Une remarque sortie dans le conseil des classes de 5B d’hier. Oui, je lui avais déjà fait la réflexion et même qu’il avait eu droit à une pastille jaune mais que j’ai falsifiée en validant par une pastille verte. Faudra bien y remédier. J’y pense.

Hmaloko-qatr. J’étais tellement émerveillé par notre vieux Drikon les dimanches à la tribu que je finis par apprendre le Notre père par cœur en drehu ancien (miny). Oui, à un moment dans la liturgie du culte de dimanche il répétait cette prière par cœur après le pasteur. Il le faisait tellement bien qu’il me séduisit. Je finis par l’apprendre ou retenir parce que c’était sans effort. Les paroles étaient venues se coller à moi. Je le sus longtemps après qu’il récitait le Notre Père (la prière de Jésus-christ) Seule prière que je connais. Je l’ai reprise pour la traduction de ne nous laisse pas entrer en tentation dans le journal. « Ngo jötrëti enëtilai a jepengë anganyihunieti, » Et Belinda* avec qui j’étais à Do-Kamo connaissait les 50 états d’Amérique (USA) et tous les pays d’Afrique avec leurs capitales. Ça, c’est de l’apprentissage! Ça, c’est du par cœur. Du vrai! Mais c’est une autre histoire.

Pour accompagner le vieux Maselo, je remets le petit texte sur notre solidarité étudiante (à l’époque.) C’était Pyks qui m’avait envoyé un SMS pour m’annoncer le décès de Nono. Je pense encore à lui. Bonne lecture à vous. Wws

Dans la petite voiture de Maselo

  • Qu’est ce que c’est?
  • Oh, j’ai dû faire la manoeuvre brusque pour éviter les bouts de verre sur la chaussée. C’était ce qui restait de l’accident d’hier soir.
  • Seigneur! Il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait un accident de la route. Nos routes sont trop meurtrières M. Maselo.
  • Je ne pense pas que ce soit nos routes qui sont meurtrières. Vous voulez dire que prendre la route est un piège. Je ne pense pas. Cela fait longtemps que je conduis mais je n’ai jamais eu d’accident tout simplement parce que je respecte les règles de la circulation.
  • Oui, mais tout le monde ne fait pas comme vous. Il y a dans notre pays des usagers qui ne respectent pas le code de la route. D’autres prennent le volant après avoir pris de la boisson et plein d’autres irrégularités qu’on ne compte plus.
  • Mme Gésaire, vous savez, il y en a aussi d’autres qui respectent les règles de la circulation, ils ont une tenue irréprochable mais il faut voir l’état de la voiture. On parle de carcasse ou de cercueil roulant. Faut voir. La voiture n’a plus de toit. Les roues n’ont pas les mêmes dimensions et j’en passe…
  • Vous m’étonnez. Une fois, sur la plage à Gatope, des jeunes arrivaient dans une petite voiture qu’ils ont chargée à plus de dix. Et la musique à fond.
  • C’est où déjà que je vous descends Mme Gésaire?

Solidarité étudiante: Merci Pyks de m’envoyer le SMS pour m’informer du départ du frère Nono. On était ensemble à Grenoble en plein milieu des années 80. Nono n’avait pas de bourse et il n’était pas bien. Nous, c’est-à-dire les étudiants Calédoniens (pas que les Kanak) nous nous étions réunis pour nous solidariser avec lui mais aussi avec un autre étudiant originaire de la Grande Terre qui était dans la même situation que Nono. Le frère n’a tout de même pas tenu. Il disait dans nos derniers échanges qu’il était mal. Mal de recevoir notre aide. C’était de ma chambre universitaire de Gabriel Fauré que Nono nous a dit ses paroles d’au revoir. L’autre étudiant a continué ses études et à vivre de notre solidarité estudiantine. Quelques mois avant les vacances d’été, on apprit que le frère a reçu sa bourse. En ce moment, je me revois en train de courir la branche de cerisier où j’étais perché pour rejoindre Wetris qui était venu m’annoncer la nouvelle. J’étais haut dans le ciel. Qu’on sautillait sur la pelouse en courant vers l’arrêt de bus de la résidence Ouest. Wiwish nous invitait tous au restaurant.

Quelques mois après le départ de Nono, on reçut une enveloppe de lui. Quelques billets et un mot pour nous encourager.

Époque difficile pour assurer les études… mais je ne m’étale pas sur le sujet. Même si je suis bien placé pour en parler. J’encourage plutôt nos jeunes étudiants à tenir le coup et à bien encaisser la Vie comme elle vient avec son lot de surprises. C’est cela la beauté, la beauté du Monde. C’est parce qu’on souffre, qu’on sent l’existence, la pure. « Ihengejë ekaala !* » Sinon quoi ? (*) Les pleurs de Wananathin. Traduire: « Je ne vois plus où mettre ma tête.» ici, je me permets de l’user au sens interjectif.

Wananathin est un être hermaphrodite mythique aux gros seins. Elle existait un peu partout sur l’île de Drehu. En ce moment là, elle pleurait parce que les hommes ont mis le feu dans la case où elle se trouvait. Les humains l’ont piégée. Ils l’ont attirée en déposant des bananes (son aliment de prédilection) à l’intérieur. Wananathin est aussi l’ancêtre totémique d’un clan de Drehu, Thuahaik.

Je vous glisse cette petite phrase interjective qui m’accompagne toujours quand le soleil ne venait pas. Je me rabats alors sur les petits riens. Une brindille de bois mort, un fétu de paille, une plume suspendue dans la brise… ils me retapent. Revigoré, je cours à nouveau la Vie. N’est-elle pas belle ?

Bonne lecture à vous nos jeunes étudiants qui ont quitté le pays pour apprendre à voler de vos propres ailes.

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