J’accompagne Djibril

Samedi 25 mai 2024, 10h10

Me voici à bord du BETICO en partance pour Maré (Nengone), l’île chère à mon cœur.

A bord se trouvent plus de 300 jeunes étudiants que les institutions ont décidé de rapatrier chez eux afin de les sécuriser du chaos qui se vit actuellement à Nouméa et dans son agglomération.

Des jeunes qui sont joyeux, soulagés, fatigués aussi.

Joyeux car ils vont pouvoir retrouver leur foyer, leur famille, leurs parents qu’ils n’ont pas vus depuis les dernières vacances ou pour certains depuis la rentrée de février.

Soulagés car ils vont pouvoir être en sécurité. Ces derniers jours, circuler à Nouméa ou plutôt dans son agglomération, dans les quartiers nord de la ville, n’est pas exempt de mort. On peut facilement se retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment. La tension est tellement puissante dans certains recoins que quelques secondes suffisent pour sombrer dans l’horreur. Après 12 jours d’incertitudes et de peurs, ces jeunes vont enfin pouvoir décanter tout en gardant une veille sur ce que les familles restées sur Nouméa subiraient.

Fatigués : une fatigue physique et morale aussi. Le contexte de ces derniers jours demande une constante vigilance. Certains de ces jeunes sont dans les barrages, à vouloir être solidaires mais aussi impliqués dans ce qui est en train de se jouer. Certains le font par mimétisme, sans trop comprendre ce qui est en train de se jouer. La solidarité joue sa forme. Des jours à veiller, peut-être même à courir, pour se protéger, pour se préserver. Sûrement, d’autres encore fatiguent à guetter sur les écrans de leur téléphone le moindre évènement, la moindre injustice ! Une fatigue morale aussi je pense face aux incohérences, aux multiples distensions du monde politique, aux disputes parfois infantiles des élus représentants du peuple… Sûrement, cette jeunesse veut un représentant qui leur soit digne ! Une lassitude profonde face aux négligences des politiques publiques concernant leurs attentes, en tout cas pour une grande partie.

Également à bord, deux défunts et quelques membres de leur famille :

  • SIPA Pierre, décédé à la suite d’une longue maladie et qui attendait depuis le début du conflit d’être inhumé sur sa terre natale.
  • SALO Jibril, 19 ans… tué par un civil dans le conflit qui sévit actuellement sur le Pays.

Jibril n’est pas le seul à perdre la vie de façon dramatique et exécutoire. En tout, ils sont, à l’heure où je rédige ces quelques lignes, 7 dont 2 gendarmes ; précisons que le 2ème gendarme est mort accidentellement.

Jibril, Nasaïe, Christian commencent la série et je ne sais combien suivront.

En tout cas, les évènements risquent de durer longtemps. L’Etat, dans son entêtement à ne pas vouloir perdre la face, vient au pays accompagné de ses acolytes, ceux qui ont conduit le travail sur l’avenir institutionnel du pays à l’échec.

Dans son entêtement à vouloir préserver son égo, l’Etat ne cesse d’imposer un calendrier qui ne sert que ses intérêts.

C’est vrai !… Nous ne sommes pas sur les mêmes ondes. Là où l’Etat parle de règles institutionnelles, le peuple crie au désespoir son identité. Là où l’Etat veut cadrer une norme, le peuple réclame une légitimité. Deux éléments qui n’ont pas de concordance, l’un étant sur le fond et l’autre sur la forme : l’Existence sous ses deux aspects, l’ Être et l’Avoir.

Pour autant, notre devoir, en tant qu’hommes et femmes conscients, est de trouver justement ce point de jointure, ce point d’où nous serons capables de construire et d’élever Kanaky.

Ce point de jointure ne peut être que le Cœur : le lien entre le Ciel et la Terre ; la jonction entre soi et les autres ; le siège de ce pouvoir sans lequel il n’est pas possible d’aller vers l’autre, ce pouvoir que l’on appelle l’Amour.

Un cri sorti des profondeurs de la Terre, matrice qui détient les mémoires de l’Humanité, et même de la Création bien avant les hommes.

C’est fou comme au nom du désespoir l’homme s’invente des normes pour justifier de ses actes, telle que la démocratie. Que dire de ces peuples, ces civilisations qui se sont succédées, certaines éteintes parce qu’elles n’avaient plus de pouvoir ! Est-ce cela la destinée du peuple kanak ! Est-ce cela que l’on cherche à faire : réduire petit à petit par voie soi disante légale une civilisation vieille de plus de 3000 ans ? Dans quel but ? Pourquoi certains s’acharnent dans cette voie ?

Encore une question de pouvoir, de grandeur des nations, de puissance,…

Aouh mon Pays ! Quelle tristesse ! Dire que nous ne sommes juste qu’un élément du rayonnement de la France ! «  La France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie ! » et oui , sans son nickel, sans ses ressources naturelles marines, sans sa ZEE, sans sa biodiversité terrestre et endémique, sans son emplacement stratégique dans le Pacifique, …

Et ce monde économique !!! Il y a des termes qui m’horripilent ces temps-ci, quand on est sur l’humain et que pour certains, il n’y a que l’argent qui les intéresse ! Pour amplificateur, des discours de peur, de manque, d’insécurité, de division !

Je crois fermement et encore plus maintenant que la responsabilité des peuples autochtones est vraiment de raccorder l’homme à son humanité, de lui rappeler cette part spirituelle qui lui fait défaut en ce moment. L’homme est tellement pris dans le prisme de l’avoir, de l’accumulation, du faire vite, dans des plannings, dans des délais, dans du profit, dans l’épargne, dans le quantitatif qu’il en oublie de respirer, de faire une pause et d’apprécier réellement les choses vraies, les relations sincères, les pensées concrètes.

La souveraineté est le chemin vers la spiritualité.

A tous, aux identités multiples qui composent ce pays, aux êtres qui chérissent cette terre pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elles leur rapportent, je fais le vœu qu’un jour, nous puissions vivre dans l’harmonie, la bienveillance et l’amour véritable des uns et des autres.

2 commentaires sur “J’accompagne Djibril

Ajouter un commentaire

  1. J’ai le cœur au bord des yeux depuis le magnifique rassemblement du 13 mai, il pleure d’espérance, il pleure pour les vies enlevées, je vis dans le cocon du nord, si enveloppant, et crier la légitimité de ce soulèvement paraît si indécent.
    Je voudrais pouvoir brandir le drapeau de l’humanité et de l’amour comme il est brandi dans ce beau texte, mais le reflet des braises que je lis dans les regards de certains mettent le courage et la bienveillance à rude épreuve, même loin des quartiers nord.
    Quel « flower power » pour Kanaky ?
    Comment ont-ils fait à l’époque pour tendre la main alors que l’irréparable avait été commis ?
    Comment prier « qu’ils ne reconstruisent pas !! » sans passer pour une anarchique insensible au sort des sinistrés ?
    J’avais déjà tant de questions…

    J’aime

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑