Au cours de la conférence « Littératures du Monde et Global South » organisée en 2019 par l’Université de Sydney et le Centre d’études australiennes de l’Université de Pékin, un peu plus d’une dizaine d’écrivains, dont Isa Qala, ont été invités à réfléchir sur leurs œuvres, discuter de leurs relations avec le « Sud global » et partager des idées sur le concept de géographie littéraire et de littérature mondiale.
Ils ont eu à répondre à 4 questions clés :
- Que signifie pour vous la littérature mondiale ?
- Quelle est votre compréhension du « Sud global » ? Pensez-vous que la montée du sud global en termes politiques et économiques aura un impact sur la littérature mondiale et comment ?
- Quel est le rôle de la littérature dans le contexte d’un flux interculturel sans précédent et de graves déséquilibres de pouvoir ?
- Quel(s) écrivain(s) du Sud global recommanderiez-vous au public et pourquoi ?
Nous retrouvons ci-dessous les réponses d’Isa Qala.
1) Que signifie la littérature-monde pour vous ?
Selon moi, au premier abord, l’expression « littératures du monde » que je mettrais au pluriel car il existe plusieurs cultures et donc plusieurs littératures, est un terme générique qui couvre les littératures qui ne font pas partie des principaux courants occidentaux contemporains et qui représentent également des cultures traditionnelles. Mais je pense que « littératures du monde » ne peut pas se limiter à cette définition, l’expression peut englober des écrivains occidentaux qui écrivent sur des cultures traditionnelles éloignées du monde occidental et qui ont eu une démarche d’écriture innovante et intéressante, se distinguant de leur schéma d’écriture habituelle.
C’est une littérature créative et originale qui au lieu de proposer une littérature enfermée dans une particularité peut être complexe et s’inspirer de plusieurs tendances pour proposer une parole universelle où tout le monde se reconnaitrait même si les notions d’espace et de temps sont totalement différents.
Et s’il faut parler de littérature mondiale, qu’est-ce qui est mondial ? Quelle littérature ? Parce qu’il y a plusieurs cultures dans le monde et donc plusieurs littératures ? Est-ce que le fait d’avoir vendu et traduit un livre dans plusieurs langues du monde inclus ce livre de tel ou tel autre auteur dans une littérature mondiale ? Est-ce que ceux du Sud se reconnaissent dans cette littérature ? Et ceux du Nord ? L’important c’est une littérature qui véhicule une parole universelle peu importe l’espace et le temps.
2) Quelle est votre compréhension du « Sud global » ? Pensez-vous que la montée du sud mondial en termes politiques et économiques aura un impact sur la littérature mondiale et comment ?
Ayant plus de pouvoir économique et d’influence politique, je pense que la montée du sud sera profitable pour propager les « littératures du monde » et ainsi bouleverser les littératures dites mondiales. Pour moi, il ne s’agit pas de renverser la littérature occidentale en la supplantant et en s’imposant mais plutôt d’être présentée comme une littérature à part entière, sur le même pied d’égalité de par son originalité. Faire dominer une littérature, ce serait reproduire le même schéma depuis des siècles or il est à présent temps que le sud puisse jouer de ses relations, de ses coalitions pour partager une autre pensée, une autre manière de vivre et un renouveau intellectuel. Contribuer à un rééquilibrage des pensées en traduisant des livres du nord dans les langues du sud et des livres du sud dans les langues du nord, pas forcément francophones ou anglophones mais dans plusieurs langues pour permettre à tous de comprendre la multiplicité de pensée et des littératures. Favoriser les traductions est la clé de l’ouverture sur les mondes et de la compréhension de chaque culture.
Le sud peut aussi largement contribuer à favoriser ces « littératures du monde » car on sait tous que beaucoup de livres sont imprimés dans certains pays du Sud et cela à moindre coût. C’est donc un atout majeur pour les véhiculer facilement et montrer ainsi au monde une littérature riche : complexe et particulière à la fois, créative et originale qui est à l’image de leurs auteurs, de leurs identités et de leur évolution.
3) Quel est le rôle de la littérature dans le contexte de flux interculturels sans précédent et de graves déséquilibres de pouvoir ?
La littérature ne peut pas être figée, elle se nourrit de tous ces flux interculturels pour justement représenter ces « littératures du monde ». Elle change et s’enrichit constamment suivant le monde qui est en perpétuel mutation. Elle devient de plus en plus une littérature SDF sans domicile fixe et du coup inclassable parfois, ce qui peut dérouter certains, mais l’essentiel c’est qu’elle soit porteuse de message universel et positif pour le monde. La littérature doit véhiculer des réalités des 4 coins du monde tout comme elle peut emporter le lecteur dans une autre dimension plus propice au rêve.
La littérature peut influencer une société tout comme une société peut l’influencer mais elle se doit de s’adapter, de témoigner et de mettre en valeur des personnages porteurs d’autres univers intérieurs.
La littérature a une force incroyable dans la mesure où elle peut véhiculer des images et susciter l’envie de voyage et d’évasion, je prends l’exemple du mythe de Tahiti qui perdure toujours dans certaines mentalités. Grâce à la littérature, Tahiti est connu dans le monde même si ce qui se dit à son sujet est peut-être élogieux pour certains mais stéréotypé et biaisé pour d’autres.
Je donne également l’exemple de l’île d’Ouvéa qui fait partie des îles loyautés en Nouvelle-Calédonie, par rapport aux autres îles, elle est une destination très prisée des Japonais tout simplement parce que dans les années 60 une Japonaise Katsura Morimura a publié un roman « L’île la plus proche du paradis » qui est devenu un best-seller et qui a fait connaître l’île. La littérature peut valoriser des territoires en contribuant à son essor économique tout comme elle peut la détruire de manière durable puisqu’elle a véhiculé une image faussée d’un point de vue uniquement occidental. C’est difficile de déconstruire un mythe.
4) Quels écrivains de global Sud recommanderiez-vous à l’auditoire et pourquoi ?
J’aimerais recommander les auteurs du Pacifique tels que Chantal Spitz, Dewe Gorode, Sia Figiel, Epeli Hau’ofa, Patricia Grace, Alexis Wrigt et bien d’autres encore car je trouve leur démarche d’écriture intéressante et originale. Certains font figurer leurs langues autochtones dans leurs ouvrages et je trouve cela non seulement beau mais je le perçois comme une conquête intellectuelle qui permet de démultiplier leur voix. Il n’y a pas qu’une seule voix mais plusieurs, pas une seule littérature mais plusieurs.
Les langues autochtones dans la littérature montrent aussi l’omniprésence de l’oralité dans l’écriture. Une « oralitécriture » formant une littérature complexe et particulière, créative et originale.
De plus, leur écriture est chargée de l’imaginaire ancestral mais en même temps elle est très ancrée dans la réalité et d’une lucidité étonnante. Une littérature bien à eux, peut-être pas envahissante mais une littérature qui leur ressemble.
Je vous recommande cela car je n’ai lu que ces auteurs qui ont eu des ouvrages heureusement traduits en français mais je ne doute pas qu’il y a d’autres auteurs intéressants qui n’ont pas eu cette chance. Peut-être des auteurs anglophones pas encore traduits en français. C’est pourquoi le travail de traduction est important pour mieux percevoir les littératures de chacun.
Je ne veux pas non plus faire l’éloge des auteurs du Pacifique, je recommande qu’on lise chaque auteur de chaque île ou pays pour percevoir véritablement les « littératures du monde » qui ne peuvent être classées, ni rangées car elles se nourrissent certes de racine, mais d’une racine horizontale car elles vont à la rencontre de l’autre, se nourrissent, s’enrichissent mutuellement et en perpétuel mutation.
En savoir plus : https://www.sydney.edu.au/arts/our-research/research-areas/language-and-culture/world-literatures-and-the-global-south.html












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