Puiser dans le savoir traditionnel pour répondre aux besoins futurs

Carmen Bouearan est étudiante en Bachelor Eco Manager en Développement Durable et Responsabilité Sociétale des entreprises. Dans une lettre ouverte, elle partage le résultat d’un projet pédagogique auquel elle a participé en 2021 sur le thème de la créativité et l’innovation. Un texte fort, émouvant, le cri du coeur d’une jeune femme.

« Mes chers camarades,

Dans le cadre du thème de la créativité et de l’innovation, je me permets de prendre la parole devant vous aujourd’hui afin de vous sensibiliser à une cause qui me porte à cœur.

J’ai quitté mon île perdue au milieu de l’océan, petit grain de poussière qui attise actuellement la convoitise, allant jusqu’à bafouer les droits fondamentaux des peuples qui y vivent, au nom de l’écologie mais surtout de l’argent. L’argent, un bout de papier, une valeur qu’on donne aux choses, une invention de l’homme. Qui a dit qu’aucune invention ne peut supplanter son inventeur ?

Ce n’est qu’un échantillon de ce qui se passe au niveau mondial. Le système économique actuel n’est plus adapté et risque même de causer notre perte si nous ne réagissons pas immédiatement. Comme le dit Fred Vargas dans son texte qui a fait le tour du monde, c’est une 3eme révolution et contrairement aux deux autres que nous avions choisies, celle-là nous sommes obligés de la faire, c’est la nature qui nous y contraint et son message est sans équivoque : « sauvez-moi ou crevez avec moi ! »

Le constat est là malheureusement : la révolution industrielle et la quête permanente de croissance ont conduit quelques individus assoiffés d’argent et de pouvoir à faire passer l’humain au troisième plan, entraînant dans leur sillage ceux qui étaient censés protéger nos droits.

Ils sont une minorité mais nous font croire qu’ils sont supérieurs et de ce fait se permettent de transgresser les lois.  Pour certains d’entre eux, des lois qu’ils ont eux-mêmes institués. Mais nous sommes plus nombreux et solidaires pour dire que rien ne va plus !

Le système économique actuel est perverti par l’appât du gain et du pouvoir, causant des déséquilibres sociaux et environnementaux sans précédent. Les Etats sont téléguidés par des lobbyistes et manquent à leur devoir, celui d’être la voix du peuple. Un peuple qui, fort heureusement, n’attend pas pour agir. On a pu assister ces dernières années à des mouvements coopératifs qui ont donné naissance à l’innovation sociale. Une innovation née il y a deux siècles.

Je parle aujourd’hui au nom d’une minorité aux yeux des grands de ce monde, qui est marginalisée à cause de sa différence. Notre patrimoine, culturel, naturel et immatériel qui sont les racines même de tout peuple, est menacé par la mondialisation. Un système qui enrôle des enfants de la terre à participer à sa destruction sans remords, au nom de l’argent.

J’ai vu des montagnes disparaître en 15 ans, une jeunesse autochtone perdue entre ses valeurs et celles venues de l’extérieur. Le peuple Kanak a perdu cet esprit qui l’animait jusqu’alors et entre en contradiction avec ses coutumes, son rapport à la terre. Lui qui devait la protéger participe aujourd’hui à sa mise à mort. Une mise à mort au nom de l’argent, mais l’argent ne fait pas le bonheur, sinon illusoire. Car lorsque nous n’aurons plus de montagnes, d’arbres, de rivières, lorsque les multi-nationaux auront fini de nous presser comme des citrons et qu’ils repartiront chez eux les poches remplies :

Qu’est-ce que nous offrirons en héritage à nos enfants ?

Comment pourrons-nous les regarder dans les yeux puisqu’à cause de nous il ne restera plus rien de ce petit bout de paradis ?

Selon la coutume Kanak, l’exploitation des ressources est naturellement équilibrée, l’homme faisant toujours attention à puiser dans les ressources naturelles sans exagération. L’homme Kanak est imprégné de cette relation : homme / terre / esprit, une relation propre aux peuples autochtones, une relation propre à tout homme mais qui l’a oublié, habitué depuis des générations à prôner l’argent.

Les communautés autochtones sont les dépositaires d’un riche patrimoine de connaissances et d’expériences traditionnelles, qui rattachent encore l’humanité à ses origines lointaines. Leur disparition serait une perte pour toute la société, qui aurait beaucoup à apprendre de leur savoir-faire traditionnel. Mais qui leur donne la parole ? Qui les écoutent ? Car ils sont un frein au développement tel qu’il est perçu par le mode du capitalisme libéral.

Nous ne prenons pas le temps de regarder et observer ce qu’il y a autour de nous. La nature dont nous faisons partie est parfaite et le regard que nous avons d’elle est biaisé. Les arbres par exemple, ils ont un rôle central dans le monde du vivant. Ils favorisent la biodiversité. Ce sont d’inlassables régulateurs du climat. S’ils disparaissent c’est la totalité des animaux qui disparaitraient dans la foulée et nous avec eux. L’arbre ne suit pas de modèle unique, ne s’obstine pas, la souplesse est la clé de sa réussite. Tout en lui est tourné vers l’extérieur, il ne cesse de s’ouvrir au monde comme s’il voulait communiquer avec lui. Dans cette époque de grandes inégalités sociales régies par l’hypercompétitivité et la survalorisation de l’individualisme, le fonctionnement de l’arbre peu avare en contre-don nous offre une piste de réflexion si nous prenons le temps d’y prêter attention.

Le partage du patrimoine culturel et immatériel de nos différentes communautés est utile dans la compréhension et le respect d’autres mode de vie. Par ailleurs, c’est un facteur important du maintien de la diversité culturelle face à la mondialisation. C’est pour cela qu’il faut aussi s’intéresser aux autres êtres qui nous entourent, les accepter avec leurs différences sans chercher à les changer à notre convenance. Favoriser le partage autour de nos patrimoines est important dans la réappropriation de nos cultures, nos traditions qui font notre identité. La connaissance de ce passé est nécessaire pour comprendre qui on est et savoir où on veut aller.

Force est de constater que l’innovation ce ne sont pas seulement les nouvelles technologies et un retour au mode initial comme la connaissance est l’une des actions à valoriser pour répondre aux besoins futurs. La connaissance est infinie et inépuisable contrairement aux matières premières. Elle réconcilierait ainsi croissance et environnement. Les êtres qui composent cette terre sont liés. Chacun à un rôle et chaque être est important. Notre rôle à nous humains est de prendre soin de ce qui nous entoure. Chaque choix à une conséquence. Nous pouvons constater que les choix que nous avons fait jusqu’à présent n’ont pas été bénéfiques pour nous.

C’est pourquoi nous devons faire des choix qui ne porteront plus atteintes aux autres êtres avec qui nous partageons cette terre. C’est aussi la raison qui fait que je vous parle aujourd’hui : en tant qu’enfant de la terre, je ne peux pas rester sans rien faire. L’esprit qui m’anime est plus fort que tout. Il a été jusque-là ignoré comme ces animaux, arbres, rivières, mers, femmes, hommes, enfants qu’on extermine, qu’on pollue sans vergogne ne leur prêtant pas plus de valeur contrairement à celle qu’on porte à l’argent. Devant tant d’ignominies ma solution c’est cet échange que nous avons en cet instant. Je suis venue chercher auprès de vous des outils qui me serviront à apporter ma pierre dans la construction de mon pays et, en échange, je vous fais rappeler l’esprit d’amour qui est en chacun de vous. Ne le laissez pas de côté, placez-le au centre de tout ce que vous entreprendrez. Je vous le dis à vous parce que vous êtes les futurs décideurs de demain. Cet esprit vous apportera ce qu’il faut pour être et avoir un bon leadership.

Osez ! Laissez s’exprimer votre créativité, soyez innovants et soyons ce changement !

Sommes-nous prêts à adopter l’économie de l’Amour sachant que l’Amour est inépuisable ?

copyright photo : Carmen Bouearan

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :