Le mercredi 1er juin 2022, de 10h à 12h s’est tenu le séminaire de Victor DAVID, chargé de recherche à l’IRD. Ses travaux de recherches ont débuté en 2012 et portent sur les Droits de la Nature et sur la mise en œuvre de l’article 110-3 du Code de l’Environnement de la Province des Îles Loyauté (CEPIL) qui introduit le principe unitaire de vie. Il nous les restitue sous 4 grandes idées.
Un droit de l’environnement inopérant
Le premier constat est que le droit de l’environnement n’arrive pas à remplir pleinement sa mission. Il montre ses limites face à l’érosion de la biodiversité.
Le monde ne semble pas se rendre compte que les requins sont en danger. En effet 25 % de requins et raies sont menacés d’extinction.
Le monde est STONE ?
La doctrine de Christopher STONE avec son ouvrage « Should Trees Have Standing ? » renaît. Il s’agit de la reconnaissance de la personnalité juridique à des éléments de la nature. Aujourd’hui ce sont surtout des systèmes aquatiques qui en bénéficient. On retrouve une conception différente de la Nature avec notamment une prise en compte de la vision autochtone, de leur perception de la relation Homme/Nature et des ressources appropriables.
« Cela participe à la décolonisation du droit ! »
La question est de savoir comment on donne la personnalité juridique :
On fait de la Nature un sujet de droit ou on donne des droits à la Nature.
L’ouvrage « La Notion de sujet de droit, caractère et conséquences » de René Demogue de 1909 nous explique que la personnalité juridique est purement une création.
Les objections/limites qui en découlent :
-quelles obligations imposer à la Nature et ses éléments ?
-il y a déjà tellement de règles
-quid de l’efficacité ?
-quelle face humaine va représenter les intérêts de la Nature ?
-c’est de l’anti-humanisme
Les espèces emblématiques
Il n’y a aucune définition juridique d’une espèce emblématique.
Pour l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) ce sont toujours des espèces sauvages.
En France ce sont les Départements qui fixent la liste de leurs espèces emblématiques.
Dans le cadre de leurs recherches, les coordinateurs de la PIL ont interrogé la population des Iles Loyauté, ce sont les requins et les tortues qui ont été les plus nommés comme espèces emblématiques des différents lieux et clans.
Le requin objet de Droit
Il n’existe aucun traité international pour protéger les requins mais certaines espèces sont inscrites sur la liste CITES (commerce international des espèces sauvages) qui assure une certaine protection.
En 2016 la PIL a adopté le principe de « non-régression » de sa réglementation environnementale. Ce qui signifie qu’elle ne revient pas sur les protections qu’elle met en place (qui contient déjà des dérogations). Cela met en lumière l’importance de la parole donnée notamment aux générations futures.
Il faut dépasser la perception « risque requin » qui se limite à la menace pour la vie de l’Homme. Les autorités ont l’obligation de prendre des mesures urgentes comme l’interdiction de la baignade mais pas forcément d’effectuer des prélèvements.
Les requins sont essentiels dans l’écosystème marin, ce sont des espèces menacées, ce sont des totems, ce sont des êtres vivants, sauvages, intelligents…
La Nature sujet de droit en PIL
« Pour le kanak il n’y a pas de différence ! On est une composante de la Nature ! On est requin ! » intervention d’un coutumier de l’aire Ajië-Arhö
Cette vision fait écho à l’article 110-3 du Code de l’environnement de la PIL, dont la continuité et la traduction est assurée par l’article suivant, le 110-4 :
Art. 110-3 : « Le principe unitaire de vie qui signifie que l’homme appartient à l’environnement naturel qui l’entoure et conçoit son identité dans les éléments de cet environnement naturel constitue le principe fondateur de la société kanak. Afin de tenir compte de cette conception de la vie et de l’organisation sociale kanak, certains éléments de la Nature pourront se voir reconnaitre une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. »
Art. 110-4 : « La province des îles Loyauté a pour mission la préservation de l’environnement et, notamment, les espaces, paysages, ressources et milieux naturels, la diversité et les équilibres biologiques, dans l’intérêt des générations actuelles et futures. Les autorités coutumières sont étroitement associées à leur gestion durable. »
On comprend alors que la Nature est l’organisme souverain, qu’il y aura une co-gestion de l’environnement et qu’il y aura la création de catégories d’« espèces protégées sujets de droit ».
Les questions qui en découlent :
-quelles espèces ?
-quels droits ? (à la vie, à avoir un habitat sain…)
-quelles dérogations ? (accident, rituel…)
-quelle face humaine ? (représentation)
-quels effets selon la gestion choisie ?
Réflexions sur les 3 catégories d’espèces
- Tout le vivant sauf les espèces exotiques envahissantes déjà listées dans le code de l’environnement de la PIL
- Statut particulier
- Espèces sujets de droit (pas de responsabilités et de devoirs)
Il faut garder à l’esprit que la loi est créatrice et qu’il faut apporter notre contribution à l’équilibre environnemental.
Dans le contexte d’érosion de la biodiversité que nous connaissons actuellement, il est certes compréhensible et urgent de protéger les espèces rares ou menacées d’extinction pour assurer la diversité biologique pour les générations futures. La future réglementation provinciale se propose d’être ambitieuse en la matière au plus près des recommandations internationales.
« Halte à la colonisation de l’Océan »
sources : site internet de l’IRD, prise de note lors du séminaire
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