Lettre à mes petits-enfants

A mon frère Guillaume Vama

Je ne me suis jamais fait traitée de sale blanche par un Kanak. Non mais sérieux faut pas déconner et en faire une généralité. En même temps je n’ai jamais traité de singe un Kanak ou je n’ai jamais dit ni pensé qu’un bon Kanak était un Kanak mort. Le respect c’est dans les 2 sens.
Il est temps que chacun prenne ses responsabilités et fasse amende honorable. Il n’y a que comme cela que nous pourrons enfin vivre un destin commun.
Nabwé
.

Ce sont les premiers mots que j’ai choisi d’écrire et de publier sur LinkedIn dès le début de la crise de mai 2024 en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Aujourd’hui, je choisis de vous en parler parce que même si j’écris beaucoup, je parais être une grande communicante, peut-être trop pour certains, je ne raconte pas souvent l’essentiel, ce qui me touche le plus profondément. Si aujourd’hui je choisis de vous en parler c’est parce que je sais que ce qu’il s’est passé, ce qu’il se passe en Kanaky-Nouvelle-Calédonie concerne l’Humanité : le nouveau paradigme s’ouvre à nous et il est important de savoir comment le vivre.

Vous lirez, découvrirez cette lettre à l’âge adulte et j’ai envie que vous sachiez que dans votre famille des personnes ont choisi ce nouveau paradigme très tôt. L’ont accueilli et ont tenté d’y participer dès les premiers signes.

J’ai témoigné à quelques reprises sur le blog de l’Association Présence Kanak de mon ressenti et vécu de métisse kanako-calédonienne, ressenti heureux et apaisé. Même si mon métissage est dilué, comme j’aime à le dire, il est indéniable en ce qui me concerne que les valeurs de la société Kanak, en particulier, et Océanienne, en général, font intrinsèquement partie de moi et ont trouvé écho dans tous les enseignements spirituels que j’ai reçus, me confirmant sans cesse qu’un des fondamentaux de cette société est et reste la spiritualité voire même la chrétienté.

La crise de mai 2024 aura été une longue succession de prises de conscience qui je l’espère perdureront dans le temps et changeront enfin le visage de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie ; elle restera à jamais gravée dans les mémoires de chacun d’entre nous. Et elle sera à l’image, de façon très condensée, de ce qu’il se passe partout dans le Monde : deux mondes se font face aujourd’hui, deux chemins. Nous sommes à la croisée des chemins, des mondes….

Je suis partie avec vos pères et votre grand-père pendant 10 ans, au début des années 2000, avec la confiance chevillée au corps et au coeur que l’Accord de Nouméa (Vous avez vu ses initiales sont ADN et ce n’est pas pour rien) continuerait son chemin tranquille, moi qui avais découvert déconcertée avec les enfants de Gohapin que le français n’était pas leur langue maternelle, avais travaillé comme petite main à la réalisation du Centre Tjibaou et avait pris conscience à quel point ma posture était colonialiste car j’avais en moi cette volonté d’aider ces pauvres et gentils Kanak, avais vu et lu les minutes de l’Accord de Nouméa avec une fierté inégalée. C’est à la même époque que votre arrière-grand-père Jean-Claude m’avait appris qu’il était proche de Messieurs Naisseline et Declerq et que, faisant fi des positions politiques de la famille de votre arrière-grand-mère et surtout de leur racisme affichée, il publiait en cachette le tout premier média Kanak. Pour lui aussi, déjà, le racisme n’était pas juste.

Le retour fut décevant. Un clivage que je trouvais honteux s’était instauré dans le coeur et l’esprit des miens, nous qui arborions notre 5ème génération en Kanaky-Nouvelle-Calédonie comme un étendard, clamant dans les réunions familiales que du sang kanak coulait dans nos veines, … Je n’entendais que des phrases que je trouvais de plus plus désagréables avec des relents nauséeux de la période d’indigénat : on ne va pas là, il y a trop de Kanak, là il y a trop de Wallis ; on a préféré construire une piscine, c’est plus possible d’aller à la plage : trop de Kanak, de Zoreilles, de Wallis, etc…. Où étaient passées nos valeurs, notre éthique ? Où était passé notre légendaire sens de l’accueil hérité de nos origines océaniennes ? Tout cela s’était perdu, noyé dans l’alcool, l’argent, le cannabis et canal+… Fini le coup de thé en famille : les seules réunions familiales se résumaient à une orgie d’alcool. Qu’avait-on fait à la société civile calédonienne, à ma famille ?

L’incompréhension était d’autant plus totale que des ouvrages avaient été publiés (La librairie indépendante Calédolivres s’était donnée pour mission de les mettre à disposition de tous), des documentaires avaient été réalisés, l’association Témoignage d’un passé avait été créée. Nous sortions enfin du pays du non-dit grâce à l’Accord de Nouméa et sa fiche de route. La télé du Pays, Calédonia, avait fait un travail remarquable avec ses documentaires et reportages retraçant l’Histoire de nos communautés (travail dans la lignée de SBS télévision en Australie, je tiens à le souligner). C’est ainsi que je comprenais pourquoi dans les années 20, votre arrière-grand-mère Armande et ses soeurs n’aimaient pas que l’on sache qu’elles étaient métisses Kanak, que je découvrais que cette grand-tante que j’avais toujours connue blonde et le cheveu lisse avait en fait les cheveux crêpus et bien noirs, qu’il y avait bien des bagnards dans la branche maternelle alors que le contraire avait toujours été affirmé. Il ne faisait pas bon à leur époque d’assumer son métissage et son histoire. Je vous invite à découvrir la série d’émissions Histoires d’Histoire de cette chaîne de télévision mais aussi les conférences Sur les traces du passé. Et vous aussi vous comprendrez.

Etait-ce parce que quelques années auparavant j’avais commencé à étudier la psycho-généalogie ? En tout cas ces découvertes, ces histoires familiales ne me peinaient pas bien au contraire : elles me libéraient. Elles me permettaient de tellement mieux comprendre cette branche généalogique et de comprendre enfin leur racisme avoué. Je ne suis pas psychologue certes mais j’aime utiliser mon discernement et ce que j’ai entre les deux oreilles. Quand on sait d’où l’on vient, on sait où on va et c’est une vision qui manque cruellement aux Néo-Calédoniens.

La phrase de Jean-Marie Tjibaou : « Un enfant sans racines, c’est comme un coco sec, il flotte et est balloté au gré des marées » a au cours de cette période souvent raisonné en moi. J’avais même osé dire que les Néo-Calédoniens qui refusaient leur histoire disparaîtraient un jour car on le sait : « Les peuples sans histoire sont des peuples sans avenir ».

J’ai alors choisi d’observer encore et encore, d’écouter et j’ai vu la bibliothèque Bernheim pleine de lecteurs Kanak, la société civile Kanak continuer, avec bienveillance et dignité, sans rejeter qui que ce soit, d’accepter encore et encore elle-même le rejet. J’ai vu au 21ème siècle comme aux premiers temps de l’indigénat, des Kanak devoir se pousser et laisser la place dans les rayons des supermarchés à des Européens, j’ai vu des Kanak être surveillés comme des voleurs dans les boutiques de Nouméa. Et j’ai entendu ce que jamais je n’aurais imaginé à nouveau entendre : les Kanak ça pue, ah c’est des cafards, toujours à picoler, des fainéants, qu’est-ce qu’ils font ici, purée on se demande où ils trouvent l’argent pour acheter leurs voitures, etc…. Et j’ai eu honte… Et j’ai continué à vouloir comprendre parce que je ne souhaitais pas juger.

Puis j’ai tourné mon regard et j’ai vu une nouvelle immigration de Français, imbus de leur personne, se considérant comme une élite mais sans valeur ni d’éthique, tant est-il qu’ils puissent savoir de quoi il s’agit : seuls l’argent, le pouvoir comptent pour eux. Et j’ai vu les miens envier ses nouveaux immigrants qui affichaient leur argent, leurs belles voitures, leurs sacs de grandes marques, leurs cartes de crédit gold et vouloir vivre comme eux.

Alors j’ai choisi de réconcilier les miens avec leur histoire en leur proposant de lire ces ouvrages, de regarder ces documentaires, de rencontrer mais je n’ai pas été entendue.

J’ai ensuite été dans les associations pour essayer de faire ma part et dans l’une d’elles j’ai découvert le racisme à l’école, j’ai découvert la volonté très forte dans des associations nationales d’invisibiliser la société civile kanak en ne permettant pas à ses membres de s’y intégrer de façon juste. Je l’ai dénoncé mais je n’ai pas été écouté.

Puis, j’ai participé à des réunions au sein de la CCI-NC (notamment les réunions de NC Eco qui ont participé largement à la rédaction du document du Oui-Non, première étincelle allumée aux feux qui ont ravagé Nouméa en mai 2024), à des repas, des colloques avec des chefs d’entreprises, des politiques et j’ai découvert qu’en majorité ces personnes avaient si peu de connaissances de l’histoire du Pays et de ses composantes, ignorance qui ne leur permettait pas de voir la réalité en face. Je l’ai dénoncé et j’ai été calomniée…

J’ai écrit de nombreux articles et j’ai vu les miens suivre aveuglément ces nouveaux arrivants totalement incultes (Et j’ose le dire tellement leur manque de culture saute aux yeux et est amplifié par leur vanité) et pervertis par l’argent, cette génération de pervers narcissiques que beaucoup de Français de mon époque rejettent et qui ont trouvé, pour notre malheur, un terrain de jeu formidable en Nouvelle-Calédonie, aveuglant les miens avec leur argent et leur superficialité. Je l’ai dénoncé et j’ai été rejetée…

Je n’ai jamais faibli malgré tout ce que nous avons dû subir car s’il y a une chose qui est importante plus que tout c’est de laisser un héritage juste à mes petits-enfants. Votre arrière-arrière-grand-père André disait déjà que nous héritions des mauvaises actions de nos parents et grands-parents. Il était temps de laisser en héritage des actions différentes.

Aujourd’hui, avec cette crise douloureuse et tellement humiliante que traverse la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, j’espère sincèrement mais vraiment très sincèrement qu’elle sera un électrochoc pour les miens, ceux qui disent être Calédoniens depuis au moins 5 voire 7 générations.

J’ai envie de leur dire : si vous êtes Calédoniens avant d’être Français alors vivez-le et surtout rappelez-vous que vos ancêtres ne sont pas morts de faim car les Kanak leur ont appris comment se nourrir sur notre Caillou et n’oubliez pas cette racine, bien souvent une grand-mère, bien souvent « kidnappée » (Un mot diplomatique pour ne pas oser parler de viol ?), qui vous attache à cette île du Pacifique. Si vous êtes Français avant d’être Calédoniens et que vous aimez tant que ça la mère patrie, alors retournez-y : après tout vos ancêtres ont peut-être été envoyés ici en prison. Il est temps d’en sortir. A vous qui proclamez à tout vent que vous aimez tant votre Nounou Kanak, votre femme de ménage ou votre homme de main qui ont toujours été près de vous, je vous invite à leur permettre de vivre dignement leur retraite avec l’argent qu’ils auraient dû effectivement gagner pendant toutes ces années à votre service pour permettre de rétablir l’équilibre car lorsqu’on est au service d’une personne moyennant un salaire de misère, on n’est pas son égal mais bien son esclave. Quant à vous Français qui venaient chez nous avec votre arrogance légendaire, ils seraient peut-être opportun de connaître les casseroles que vous avez laissé non seulement dans l’Hexagone mais également dans tous les territoires ultra-marins. Je crois que beaucoup serait surpris. Je n’oublie pas non plus un certain nombre de Pieds-Noirs venus s’installer au Pays après la guerre d’Algérie et qui ont gardé beaucoup de colère dans leur coeur et leur esprit à qui j’ai envie de dire : vous vous trompez d’histoire.

J’espère de tout mon coeur que ma famille va se rappeler d’où elle vient et qu’elle ne laissera plus des étrangers décider pour elle, pour nous. Je lui souhaite par dessus tout de ressentir la même honte que moi lorsque je suis revenue au Pays, cette honte qui m’a permis d’ouvrir les yeux encore plus grands, d’ouvrir mon coeur et d’avancer vers le pardon, cette honte qui me permet de vous léguer à vous mes petits-enfants une histoire apaisée car elle n’est plus dans votre ADN. Sans ces prises de conscience que j’ai eu depuis ma première journée de travail à Gohapin en passant par l’Agence de Développement de la Culture Kanak jusqu’à aujourd’hui au sein de l’Association Présence Kanak, je n’aurais pas pu faire ce chemin. Je suis heureuse de l’avoir pris même s’il est passé par la honte car je peux aujourd’hui avancer la tête haute : j’ai fait ma part, cette part qui m’a permis de réparer l’histoire familiale, m’a permis de sortir du racisme et de la colère et surtout de vous offrir un autre héritage familial. Je n’aurais pas aimé que vous, mes petits-enfants, vous découvriez que je n’ai pas fait cette part de réconciliation car c’est vers cela que désormais l’Humanité tend, c’est vers cela que votre génération a choisi d’aller.

Rappelez-vous toujours que le fait de ne pas prendre ses responsabilités engendre la culpabilité qui elle-même enfante la colère. Il n’y a pas de colère en moi à l’heure où je vous écris cette lettre : une grande fatigue oui, du chagrin aussi car beaucoup de personnes nous ont fermé leur coeur et ce n’était pas le but (Il paraît que c’est le lot des briseurs de chaînes), un ami est en prison, des enfants sont morts, mais surtout, surtout une envie irrésistible de bien vivre et de vivre enfin heureuse, de planter mille et une graines.

Gardez en mémoire, que lorsque seul l’argent et le pouvoir sont primordiaux, il n’y a pas d’éthique. C’est en cela qu’on peut faire preuve certes d’intelligence dans sa discipline, sa profession mais être complètement crétin en ce qui concerne la Vie.

N’oubliez pas que l’Humanité est un grand puzzle et que nous sommes tous une pièce de ce puzzle. En cela, chacun d’entre nous est unique et chacun d’entre nous a sa propre place. Aucune pièce de puzzle ne peut prendre la place d’une autre pièce. Pas besoin de jouer des coudes ou de s’entretuer pour prendre sa place. Plus nous le comprendrons plus nous pourrons vivre harmonieusement.

Un commentaire sur “Lettre à mes petits-enfants

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  1. Joli article… J’aime la paix et la sérénité qui s’en dégage malgré le poids des « maux »…

    On sent que vous êtes en paix et c’est exactement ce dont la NC a besoin ce jour : des personnes qui connaissent son histoire, dénuées de haine et tournées vers l’avenir et non le passé.

    Comprendre le passé pour construire l’avenir avec amour et positivité, car rien d’autre n’est possible. Aucune civilisation ne se bâtit avec des armes, aucun avenir durable n’est possible où sont bâtis des murs… Berlin en est le parfait exemple : l’avenir ne se remet en marche que lorsque le mur tombe !

    Je vous rejoins totalement : faire cohabiter l’Occident et la culture Kanak est un véritable challenge, le défi que la Kanaky-NC devra relever… Je rêve d’un monde où les hommes seraient plus aptes à mutualiser leur valeurs et atouts que de se jalouser et pointer leurs faiblesses, leur erreurs !

    Je rêve d’une Kanaky-NC où les valeurs du peuple Kanak canaliseraient la fougue et l’ambition débordantes des Occidentaux… Une Kanaky-NC où TOUS seraient capables de s’écouter, de se parler et de se projeter, par exemple !…

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