Evènements mai 2024 – La parole aux jeunes

Parce que nous avons toujours voulu que la parole soit donnée aux jeunes de la société civile kanak, parce que selon nous seuls les intéressés peuvent témoigner, nous avons décidé de récolter ici des témoignages. Ce dossier sera mis à jour régulièrement.

N°1/ Témoignage étudiante au pays

Je suis étudiante à l’UNC originaire du nord et bloquée à Nouméa. Je vis au centre ville, cette zone n’est pas concernée par les émeutes à l’heure actuelle (17/05/2024).

Comme tout le pays, j’ai été très surprise par les premiers incendies qui ont ravagé Nouméa. Je me doutais bien que le sujet du dégel du corps électoral était très sensible, c’est surtout la concrétisation et le moment auquel les manifestations sont intervenues qui m’ont pris de court.

Aujourd’hui sur Nouméa, en dehors des heures du couvre feu, des commerces restent ouverts mais les denrées y sont rares : plus de viandes ni de féculents. Il faut se rendre dans les boulangeries pour avoir du pain. Certaines stations continuent de fournir du carburant (jusqu’a 4.000 XPF) mais la plupart sont réquisitionnés par les forces de l’ordre ou le personnel prioritaire.

Les émeutes ne touchent que le grand Nouméa. En brousse, toutes les manifestations se font pacifiquement. Les auteurs de ces agissements ne représentent qu’une minorité : c’est une jeunesse des quartiers populaires, première victime d’une politique coloniale menée depuis des années par l’état français qui dans sa position actuelle la confirme en déployant l’armée mais aussi en coupant un certain réseau social. Cette jeunesse est aussi victime des politiques locales, de leur inaction et des discours clivants tenus depuis des années et particulièrement ces derniers mois au sujet du dégel du corps électoral.

Presque confinés nous sommes témoins en permanence des violences inouïes qui sévissent autour de nous, les images sont crues et tout semble irréel.

Aussi, en temps de guerre la communication est un outil clé, à nous de faire la part des choses et de trier les informations qui sont transmises par les internautes ou les médias.
J’ai une pensée particulière pour toutes les personnes qui ont perdu la vie lors de cette guerre coloniale, la mort n’est jamais justifiée. J’espère sincèrement que justice sera faite.
Pensée sincère également aux personnes dont les emplois sont partis en fumée.

MESSAGE DE PAIX : En dehors de cette période difficile, le destin commun est notre réalité : nous nous connaissons tous, nos chemins se croisent tous les jours et nous nous retrouverons encore une fois la guerre finie. Si nous avons bien une chose qui nous unie, c’est notre attachement à cette terre, tachons d’en être dignes. Profitons de la lumière faite sur notre île pour montrer au monde que nous sommes capables de continuer d’avancer et de composer avec l’autre.

Enfin, malgré tout, j’ai foi en notre Kanaky et j’espère que les accords qui résulteront de cette guerre coloniale seront sincères et concrets.

N. G

N°2/ Témoignage étudiante au pays

Je me sens triste et en colère contre les politiques, qu’ils soient indépendantistes ou loyalistes, ils nous mentent, nous manipulent et utilisent les gens pour leur propre confort. L’état français est encore pire, il vient éteindre un feu qu’il a lui même allumé, comme il le fait à chaque fois. On est impuissant face à cette situation, on ne peut qu’en parler. Ici en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, on parle avec tout le monde, on s’entend, le vivre ensemble on ne le dit pas nous on le vit. C’est ridicule que les gens soient dans les rues en train de se battre entre eux alors qu’on est tous frères et sœurs, qu’on partage tous le même amour pour notre île.
Des gens meurent pour rien chaque jour, on se dispute alors qu’on devrait se serrer la main.
Je n’ai pas vécu les événements, mais j’ai comme l’impression que l’on refait les mêmes erreurs. Si les politiciens avaient fait du bon travail depuis toutes ces années, Nouméa ne seraient pas sous les flammes.
C’est douloureux, je n’aurais jamais pensée vivre ça dans mon pays. C’est pas ça la nouvelle calédonie, j’espère que les gens ouvriront les yeux sur la situation et qu’ils se rendront compte des manipulations de cette pseudo guerre, qui n’est pas la nôtre.
L’état français aurait pu réagir plus tôt, mais il aurait surtout pu ne pas dégeler le corps électoral quand les gens le lui ont demandé.
Ils savent ce qu’ils font, ça leur fait plaisir que l’on se divise.

MESSAGE DE PAIX: Je souhaite que la paix revienne dans mon pays, que le soleil brille et que les gens soient heureux. Nous sommes tous frères et sœurs 🙏🏽. Ne pas rendre la haine par la haine, au contraire, rendez de l’amour et de la bienveillance.
Le chemin risque d’être très long, mais il en vaux la peine. Je suis désolée pour toutes ces familles endeuillées, que ces personnes reposent en paix.
« Le pari de l’intelligence » ma famille, voilà notre devoir.
Paix et amour sur vous tous.

Anonyme.

N°3/ Témoignage de Samuel Lapacas

La situation actuelle au pays me fait penser à une phrase très parlante écrite par Antonio Gramsci (prisonnier politique durant les années Mussolini). En 1948, dans son ouvrage intitulé « Cahiers de Prison » ce penseur et homme politique italien nous disait ceci :

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».

Selon moi, cette citation d’Antonio Gramsci décrit assez bien la situation politique dans laquelle nous sommes plongés actuellement au Pays. En effet, le temps des accords de 88 et 98 est désormais lointain et bien que l’équilibre politique et institutionnel du territoire soit garanti par ces derniers, la question se pose de : comment construire l’après Accord de Nouméa ?

Maintenant que cela est dit, quel est mon ressenti sur la situation actuelle au Pays ? Beaucoup de tristesse pour les gendarmes et les frères et soeurs qui sont tombés, et des grandes inquiétudes sur comment tout cela va finir. Selon moi, la situation nous montre à toutes et tous que malgré des années de tranquillité civile sur le Caillou, la paix reste chose fragile en Nouvelle-Calédonie et ce retour de la violence arrive, comme dans les années 80, suite à une décision politique, en l’occurence, celle de dégeler le corps électoral qui avait était restreint au terme de l’accord de Nouméa en 1998, lui-même gravé dans le marbre de la constitution française. La paix est fragile et car cette paix est fragile le pragmatisme est de mise quand il s’agit de la vie politique calédonienne. Un pragmatisme rocardien qui a permis la paix et l’émergence d’un peuple nouveau reconnu au sein de la république, le peuple calédonien. Ce pragmatisme hérité des années Rocard représente selon moi ce que beaucoup appel « l’esprit des accords ». Un esprit vieux de 36 ans, un esprit qui faisait consensus en métropole au sein de chaque gouvernement peu importe leur couleur politique, peu importe leur opinion sur le sujet, ces gouvernements respectaient la position de neutralité de l’État, nécessaire et je dirais même fondamentale afin que, car l’histoire de la Nouvelle-Calédonie est ce qu’elle est, les décisions politiques importantes impactant directement et durablement la vie des Calédoniens et Calédoniennes soient prises en Nouvelle-Calédonie par les acteurs.eurices politiques élus par le peuple calédonien.

Aujourd’hui, je pense que cette vision des choses a été remise en cause et le passé récent ne montre que trop bien le virage solitaire des gouvernements successifs de Monsieur Castex, Madame Born et Monsieur Attal en rupture totale avec l’esprit des accords mais surtout en rupture avec la parole donnée en 2020 par le premier ministre Edouard Philippe qui déclarait :

« l’Accord de Nouméa prévoit que, en cas de non au deuxième référendum, il est possible de tenir un troisième référendum dans les deux ans qui suivent le deuxième. Nous avons exclu que cette troisième consultation puisse être organisée entre le milieu du mois de septembre 2021 et la fin du mois d’août 2022.
Il nous est collectivement apparu qu’il était préférable de bien distinguer les échéances électorales nationales et celles propres à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Le choix du calendrier après la deuxième consultation constituera donc un enjeu majeur. Le Gouvernement et les forces politiques de Nouvelle-Calédonie ont à cet égard évoqué la nécessité de poursuivre le dialogue tout au long de ce processus. »

Déclaration de M. Édouard Philippe, Premier ministre lors de la clôture des travaux du XIXème comité des signataires de l’Accord de Nouméa, à l’hôtel de Matignon le 10 octobre 2019.

Ces paroles s’inscrivant, selon moi, dans la logique rocardienne de respect d’une forme de subsidiarité, ont été complètement balayées dès lors que, malgré la pandémie, malgré le deuil des familles et l’impossibilité de faire campagne, le troisième référendum prévu par l’Accord de Nouméa a été organisé le 12 décembre 2021 sans accord avec le camp indépendantiste sur la date à fixer. Et la conséquence première de cette séquence politique est d’une part la rupture de confiance vis-à-vis de l’État pour les indépendantistes et l’abandon de la neutralité étatique, pourtant nécessaire au bon déroulement de la politique calédonienne et des processus démocratiques.

Suite à cela l’histoire est bien connue : le 12 décembre 2021 un boycott retentissant a été réalisé par l’ensemble des mouvances indépendantistes ce qui donne un troisième scrutin référendaire dépourvu de sens car réalisé sans la participation du peuple colonisé. Les chiffres sont d’ailleurs impressionnants :
● le « Non » l’a emporté avec 96,50% des voix (Contre 56 au premier et 53 au deuxième)
● La participation à ce scrutin a été de 43,87% (Contre plus de 80% dans les deux autres référendums)
● Et le « Oui » à l’indépendance a fait moins de 4% (Contre 43 au premier et 46 au deuxième)

Cette violence institutionnelle, d’organiser à la hâte et sans concertation un troisième scrutin référendaire, pourtant très attendu, à commencer à fragiliser les relations entre un État résolument hermétique aux demandes répétées des indépendantistes et donc un État qui n’est plus qu’un simple médiateur et arbitre mais belle et bien un État actif au-delàs de ses compétences jusqu’au point d’assumer le fait de vouloir aller jusqu’au bout de son idée, en dépit de toutes opinions contradictoire mais surtout en dépit de la situation sanitaire qui était celle de 2021.

Et car la violence en cours est générée par une décision politique, une énième décision jusqu’au-boutiste, celle de toucher au corps électoral en dehors de tout accord local et globalisant (ce qui est inédit depuis les tous premiers accords car cette question du corps électoral est belle et bien le point névralgique des négociations en matière de politique calédonienne), de ce fait, la situation que nous vivons ne peut être apaisée que par une décision politique forte. Selon moi, il n’y a que ça d’envisageable afin de pacifier au plus vite le territoire calédonien.

Comme vous l’avez sûrement compris je suis un jeune étudiant Kanak qui est en faveur d’une pleine souveraineté du peuple kanako-calédonien sur ses terres. Et ce que je peux témoigner après une semaine de tensions en Province Sud et l’accélération des débats à Paris afin d’adopter définitivement ce texte inique (une accélération confirmer par l’ensemble des députés de l’opposition et notamment Mr. Jean-Victor Castor député guyanais, pour n’en citer qu’un), ce que j’aimerais témoigner c’est qu’on se sent tous et toutes impuissants face à ce qui se passe sous nos yeux, nous sommes tous et toutes inquiets pour nos familles bloquées à Nouméa, pour nos familles peu importe où elles se trouvent en NC mais qui sont menacés par la pénurie de médicament, la pénurie d’essence, etc… et j’ai envie de dire que le seul moyen d’être actif avec autant de distance c’est de se mobiliser à Paris avec les associations qui tentent d’interpeller le gouvernement (je pense notamment à Solidarité Kanaky qui organise des rassemblements, des meetings, des débats…) car je le redis, la solution la plus pacifique ne peut être que politique (selon moi).

Et sinon je pense que nous avons toutes et tous des réseaux sociaux sur lesquels nous pouvons relayer des informations à nos frères et soeurs métropolitains ou d’ailleurs afin que eux aussi puissent savoir ce qui se passe en coulisse des émeutes et ce qui est en jeu dans la séquence que nous vivons actuellement !

Message de Paix : Respect et humilité, ce sont les deux mots qui doivent guider nos actes et notre philosophie en tant que kanak, en tant que descendant de colon, descendant de bagnard, en tant qu’océanien, mélanésien, européen ou asiatique. Ces valeurs doivent être notre boussole car nous sommes calédoniens avant tout et nous aspirons à faire peuple et désirons vivre ensemble que ce soit dans l’indépendance ou dans la France. Donc afin de prendre des décisions qui ne soient pas uniquement d’en notre propre intérêt mais bien pour servir la collectivité, j’invite chacun et chacune à intégrer ces deux valeurs (si ce n’est pas déjà le cas) qui sont deux valeurs qui fondent le vivre ensemble au sein de la société kanak et je suis persuadé que ces deux valeurs qui ont permises de structurer la société kanak permettront de structurer également notre société calédonienne si nous les acceptons comme conditions de l’équilibre de nos vies.

Sans respect pas d’humilité, sans humilité pas de respect.

Cette phrase met en lumière l’interdépendance profonde entre ces deux vertus essentielles.

Le respect, qui consiste à reconnaître la valeur et la dignité d’autrui, nécessite une certaine humilité, c’est-à-dire la conscience de nos propres limites et imperfections. En cultivant le respect, nous développons une attitude humble, car nous comprenons que chacun a une valeur intrinsèque et que nous ne sommes pas supérieurs aux autres. Cette humilité, à son tour, nous permet de respecter plus profondément, en dépassant nos propres intérêts et préjugés. D’un point de vue éthique, cette relation que l’on peut qualifier de symbiotique entre respect et humilité est fondamentale pour atteindre une véritable moralité, évitant l’arrogance et l’égoïsme. Dans le cadre des relations humaines, ces qualités favorisent une coexistence harmonieuse et une coopération constructive, en reconnaissant et en valorisant chacun. Ainsi, la phrase souligne l’importance cruciale de ces deux vertus pour une vie morale et sociale équilibrée, rappelant que l’une ne peut véritablement exister sans l’autre.

Épisode spécial – « Événements Mai 2024 » – K-fé conversations

Partie 1/2 – Sujets traités :

– Présentation des invitées + point de situation.

– Destructions des infrastructures: une jeunesse « délinquante » ?

– Dégel du corps électoral: une revendication identitaire et non politique.

– Terminologie : une stratégie de diabolisation des Kanak.

– Situation: Blancs vs. Kanak ?

– Désinformation médiatique ?

– Communication: des élus indépendantistes absents.

Cliquer sur l’image ci-dessous pour accéder à la vidéo.

Partie 2/2 – Sujets traités :

– Terminologie autour des décès de jeunes kanak.

– Pays: Nouméa vs. le Nord et les Iles ?

– Nouméa : Quartiers Nord / Sud, un contraste social frappant.

– Un modèle socio-économique qui s’essouffle.

– Un racisme anti-blanc ?

– Les blancs ne sont pas tous les mêmes.

– Les milices existent.

– Renforts militaires : la violence étatique et l’instrumentalisation des vies humaines.

Cet épisode est dédié à nos enfants du pays partis trop tôt et aux gendarmes tombés.

Cliquer sur l’image ci-dessous pour accéder à la vidéo.

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