1853-2024 : naissance de la société civile kanak – « Epopée d’une société nouvelle »

Alors que la société occidentale a mis plus de 2.000 ans pour arriver au point d’évolution qu’elle a atteint aujourd’hui, il n’aura fallu que 170 ans à la société civile kanak pour passer de l’état de « peuple de sauvages » à une société qui évolue avec aisance entre tradition et modernité, prête à vivre la 4ème révolution industrielle qui se profile d’ores et déjà. Elle est la société autochtone la plus importante au Monde sur un territoire donné.

Quelques rappels

Géographie
La Nouvelle-Calédonie est un ensemble d’îles et d’archipels d’Océanie, situé en mer de Corail et dans l’océan Pacifique sud. Cet ensemble fait partie de la Mélanésie. Sa superficie terrestre totale est de 18 575,5 km2. L’île principale est la Grande Terre, longue de 400 km et mesurant 64 km dans sa plus grande largeur. C’est un territoire d’une surface comparable à celle d’un État comme la Slovénie. Elle se situe à environ 1 408 km à l’Est Nord de Double Island Point en Australie et 1 477 km au Nord Nord-Ouest du Cap Reinga en Nouvelle-Zélande, juste au-dessus du tropique du Capricorne. La distance avec la France est de 16 740 km.

Démographie
La population estimée à 271 407 habitants (recensement 2019) est principalement composée de la population kanak à hauteur de 111.856 habitants, 94.063 personnes représentent la multiculturalité de la population calédonienne, la population européenne (y compris une partie des descendants de colons et de bagnards) est composée seulement de 65.488 habitants. (Source : ISEE NC).

Vocabulaire
Les peuples autochtones, ou peuples indigènes, sont « les descendants de ceux qui habitaient dans un pays ou une région géographique à l’époque où des groupes de population de cultures ou d’origines ethniques différentes y sont arrivés et sont devenus par la suite prédominants, par la conquête et l’occupation (…) ». D’autres termes sont parfois utilisés pour les désigner, comme aborigène, « peuple premier », « peuple racine », « première nation » ou « peuple natif », succédant à l’appellation péjorative de « peuple primitif », mais tous officiellement délaissés au profit de peuple autochtone.

Populations autochtones
Le nombre des populations autochtones est estimé à 476 millions de personnes dans le monde entier, vivant dans plus de 70 pays. Elles représentent aujourd’hui 6 % de la population mondiale et protègent 80 % de la biodiversité mondiale. A titre d’exemple, la population autochtone du Canada est estimée à 9,4% (recensement 2021), en Australie elle s’élève à 3% (chiffre 2011), en Nouvelle-Zélande elle représente 16,5% (chiffre 2018), aux Etats-Unis elle s’élève à 2,9% (chiffre 2021), la population kanak représente 39,1% de la population en Nouvelle-Calédonie (recensement de 2019). (source : Organisation des Nations Unies).

La colonisation européenne
L’expansion de l’Europe du XVIe au XXe siècle a été l’un des événements les plus importants de l’histoire de l’humanité. Elle a revêtu des formes diverses : émigration, diffusion des techniques, volonté d’hégémonie culturelle, exportation de capitaux, colonisation. La colonisation implique occupation territoriale et dépendance du pays occupé. Cette occupation s’est produite tantôt sur des territoires peu peuplés, tantôt au détriment de populations qui ont été réduites à l’état de populations sujettes. (source : https://www.universalis.fr/)

Les révoltes Kanak

De nombreux dossiers, ouvrages et articles relatent la colonisation de l’archipel par la France et chacun fait ressortir que le peuple Kanak n’a jamais accepté, et il est facile de le comprendre, être dépossédé de sa terre.

Même si, en prenant possession du sol, la France a voulu réserver des droits aux Kanak, pour vivre en bonne harmonie avec eux, la colonisation, au fil de son essor, a oublié les promesses premières. Il en a résulté alors une lutte sans discontinuité avec celui dont on a pris le territoire sans l’avoir conquis. Le Kanak a compris qu’on l’avait déraciné des terres, ce qu’il a toujours considéré comme le prix d’une défaite même s’il n’y avait pas eu conquête mais prise de possession. Il a dû céder, reculer, consentir à occuper des terres qui n’étaient pas très bonnes et enfin « acculé par les blancs qui avançaient toujours, il a médité de secouer le joug quand il a vu que bientôt il ne pourrait plus vivre ». (source : rapport d’enquête du Général de Brigade, de Trentinian sur les causes de l’insurrection kanak de 1878).

Ce joug s’est réveillé en 1878, en 1917, en 1984.

A chaque fois, le bilan a été bien plus lourd pour le peuple Kanak que pour les Européens.

L’insurrection de 1878, par l’intensité des affrontements entre armée coloniale et chefferies insurgées, fut certainement le conflit le plus violent parmi les révoltes qui ont opposé le peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie à son colonisateur : 200 Européens et 600 « insurgés » sont tués, des tribus rayées de la carte, 1.500 Kanak sont contraints à l’exil et des conséquences négatives et multiples pour les Kanak : dépossessions foncières, déportation, puis application du régime de l’indigénat qui se traduiront par une déstructuration et une marginalisation sociétale, une perte de la mémoire. Une « mise sous cloche » du monde kanak, pendant près de 60 ans, qui aura des répercussions sociologiques encore perceptibles de nos jours.
Comme dans la majorité des colonies, la population kanak est « civilisée » : les enfants sont enlevés des familles et placés dans des pensionnats religieux où ils doivent parler le français sans l’avoir appris. Ils sont mis à dispositions des communautés religieuses afin de leur permettre de subvenir à leurs besoins (travail au champs, etc…).

En 1917, la révolte kanak voit le soulèvement de tribus kanaks contre l’administration coloniale française de la Nouvelle-Calédonie dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Bien que le code de l’indigénat soustrait les Kanak à la conscription à l’Armée française, l’administration coloniale demande l’« engagement volontaire » de tribus kanaks en leur faisant faussement miroiter des droits et des gains territoriaux. Les autorités françaises organisent un pilou à Tiamou en avril 1917 pour désamorcer les tensions grandissantes entre les tribus animistes d’Atéou et de Tiamou et les catholiques de Koniambo. Le chef de Tiamou, Noël Néa Ma Pwatiba, se ravise le jour de la cérémonie et brûle sa case en signe de révolte contre l’autorité française. Après l’arrestation de membres de sa tribu, Noël de Tiamou se réfugie dans la brousse et entame avec d’autres membres de tribus animistes, dont Cavéat, chef de Ouen-Kout, une forme de guérilla contre l’administration française qui les traque dans les montagnes jusqu’en mai 1918. Les autorités françaises offrent une récompense pour la capture de Noël de Tiamou qui est finalement décapité le 18 janvier 1918. La révolte est suivie par un procès à Nouméa en 1919 ; 78 hommes sont jugés, 61 condamnés et 2 guillotinés en 1920. Sur les 1178 actes d’engagement recensés, 1078 Kanak seront recrutés et 382 mourront ou disparaîtront durant la guerre ; seuls 51 sont volontaires au sens juridique du terme. La majorité des colons Français resteront sur l’Archipel.

En 1983, la table ronde de Nainville-les-Roches reconnaît aux Kanaks leur « droit inné et actif à l’indépendance ». En 1984, le statut Lemoine ne prévoit qu’une autonomie accrue, sur une base électorale incluant l’ensemble de la population de Nouvelle-Calédonie : les Kanaks, les Européens installés depuis des générations – appelés aussi « Caldoches » –, les descendants d’Indonésiens et de Vietnamiens, mais aussi les Réunionnais, Polynésiens, Wallisiens et Futuniens arrivés de fraîche date et l’ensemble des « métros » présents sur le territoire… Les Kanaks dénoncent la négation de leur droit de peuple colonisé à l’autodétermination et décident d’organiser le boycott actif des élections territoriales du 18 novembre 1984 par la mise en place de barrages et mettent en place un « Gouvernement provisoire de Kanaky » présidé par Jean-Marie Tjibaou. C’est à ce moment que l’on bascule dans les « événements ». Soit quatre années de violence. Lourd bilan pour la population Kanak : 32 morts contre 7 morts pour la population européenne.

Le peuple Kanak accède à la politique

Le code de l’Indigénat est finalement aboli en trois étapes par :
• L’ordonnance du 7 mars 1944 (suppression du statut pénal de l’indigénat)
• La loi Lamine Gueye du 7 avril 1946 (nationalité française pleine et entière à tous les Français, indigènes compris)
• Le statut du 20 septembre 1947 (égalité politique et accès égal aux institutions)
Les Kanak obtiennent alors la liberté de circulation, de propriété, et leur statut civil particulier est reconnu. Le droit de vote des Kanak, théoriquement accordé en 1946, ne sera que progressivement appliqué : seuls 267 membres de l’élite mélanésienne obtiennent effectivement le droit de voter en 1946, puis la loi du 23 mai 1951 élargit le collège électoral indigène à 60 % des Mélanésiens en âge de voter.
Le suffrage universel n’est toutefois pleinement mis en place que par le décret du 22 juillet 1957.
L’abolition du régime de l’indigénat n’étant pas mis en œuvre immédiatement, Jeanne Tunica, une Européenne qui vient de fonder le parti communiste calédonien, décide d’informer les Kanak de leurs nouveaux droits et notamment du fait qu’ils ne sont plus assujettis aux travaux forcés. En quelques semaines, des milliers de Kanak deviennent communistes, sous l’œil réprobateur des missionnaires très influents dans les réserves. En réaction, deux associations sont créées par les missionnaires eux-mêmes, qui demandent l’accès immédiat à la citoyenneté et l’extension du territoire des réserves : l’Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l’ordre (UIALCO), catholique, et l’Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF), protestante.
En 1953, ces deux associations donnent naissance au premier parti politique kanak, l’Union calédonienne, qui accueille également des « Européens de brousse ». L’Union calédonienne porte les premières revendications autonomistes en Nouvelle-Calédonie, sous le slogan « Deux couleurs, un seul peuple ». Cette demande d’autonomie aboutit à la création d’un conseil de gouvernement et d’une assemblée locale dotée de droits spécifiques.
Le 8 février 1953, 9 élus mélanésiens accédent pour la première fois au Conseil général, la plus haute institution de Nouvelle-Calédonie de cette époque et l’ancêtre de notre actuel Congrès. Ils sont appelés par dérision : « la majorité des crayons », car on dit d’eux qu’ils lèvent leurs crayons comme un seul homme pour voter les textes à l’Assemblée. C’est pourtant cette majorité de Kanak qui offre aux Calédoniens tous les textes de protection sociale, retraites et autres allocations chômage, vieillesse, familiales, etc. Juste retour de coutume pour les ouvriers calédoniens qui venaient enfin d’arracher sur le front syndical, après des grèves mémorables, la parité des salaires pour tous les travailleurs, quelles que soient leurs origines ethniques. C’est encore cette majorité qui crée le Fonds social de l’habitat, avec des crédits immobiliers, les lotissements sociaux de Sainte-Marie et de Logicoop.
En 1969, inspirés de la « révolution de mai 1968 », les « Foulards rouges » sont fondées par Nidoïsh Naisseline, qui porte principalement des revendications sur l’identité kanak. Avec lui, Déwé Gorodey, Elie Poigoune, FoteTrolue, Henri Bailly, Jean Paul Caillard, Jean Pierre Devillers et Max Chivot. Le mouvement indépendantiste se cristallise alors autour des revendications foncières : grâce à la transmission orale de son histoire, chaque famille kanak sait exactement de quelles terres elle est originaire et quel est le nom des colons qui se sont installés sur celles-ci.
En 1977, l’Union calédonienne, jusque-là autonomiste, bascule à son tour vers l’indépendance, entraînant le départ d’une partie importante des Calédoniens d’origine européenne qui en faisaient partie.
En 1982, les élus Kanak permettent l’instauration de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
En 1983, la table ronde de Nainville-les-Roches marque le début des négociations entre les indépendantistes kanaks, les non-indépendantistes et la France et servira de base à l’élaboration de l’Accord de Nouméa.
En 1984, création du Front de Libération nationale kanake socialiste (FLNKS), indépendantiste, qui décide la création d’un « gouvernement provisoire » de la future Kanaky (Nouvelle-Calédonie en kanak).

Naissance de la société civile Kanak

En 1986, la Nouvelle-Calédonie est réinscrite sur la liste des 17 territoires considérés comme non autonomes par l’Assemblée générale des Nations unies et est désormais suivie par le Comité spécial de décolonisation de l’Assemblée générale de l’ONU.
En 1988, la signature des Accords de Matignon-Oudinot repoussent de dix ans le vote sur l’autodétermination, au cours desquels une politique de rééquilibrage en faveur des Kanaks doit être mise en place.
En 1989, l’Agence de Développement de la Culture Kanak, faisant suite à Mélanésia 2000, est créée et renforce l’identité culturelle kanak à travers la musique (naissance du kaneka), la culture (construction du Centre Culturel Tjibaou et des centres culturels en province Nord et province des Îles), les médias (Radio Djido, magazine Mwa Véé), les festivals (Salon International du Livre Océanien, Festival des Arts Mélanésiens, etc…).
Le 5 mai 1988, l’Accord de Nouméa, signé par le Premier ministre socialiste Lionel Jospin et les présidents du RPCR et du FLNKS, instaure un processus de décolonisation sur 20 ans. Il est ratifié en novembre par 71,86% des Calédoniens et devient la feuille de route de l’organisation de la société civile calédonienne en générale et kanak en particulier.
En 1989, le programme « 400 cadres » (Aujourd’hui Cadre Avenir) est créé et la formation de cadres kanaks est alors lancée. L’objectif du programme « 400 cadres » était le rééquilibrage au sein de la société calédonienne et permettre principalement aux Kanaks d’accéder aux postes à responsabilité. Lors des accords de Matignon, un engagement est pris par l’État, en accord avec tous les signataires, celui de former en 10 ans pas moins de 400 cadres kanaks.
La loi organique modifié N° 99-209 du 19 mars 1999 (issue de l’Accord de Nouméa) maintient les Conseils coutumiers d’aire (lien sur les conseils coutumiers), et instaure le Sénat coutumier.
En 2001, Le Comité Rhéébu Nùù est créé pour le suivi du projet industriel de Goro-Nickel.
En 2004, le 24 septembre, jour de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie, devient la fête de la citoyenneté et est désormais un jour férié.
Création le 17 janvier 2007 de l’Académie des Langues Kanak ayant pour but la sauvegarde, la valorisation, la revitalisation et principalement, la transcription du patrimoine linguistique kanak, ainsi que des expressions de tradition orale qui y sont associées, à travers notamment, la normalisation et la standardisation des 40 langues et dialectes kanak.
En 2011, création de la première télévision calédonienne : CALEDONIA TV. La première diffusion de la chaîne locale aura lieu en décembre 2013.
Le Sénat coutumier présente la charte du peuple Kanak au Congrès de la Nouvelle-Calédonie en 2014.
En 2016, après avoir été admise au statut de membre à part entière du Forum des Iles du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie devient membre associé de l’Organisation Internationale de la francophonie (OIF).
En 2021, pour la première fois, un Kanak devient président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie : Louis Mapou est élu président du 17ème gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
En 2024, le sénateur Xowie est le premier élu indépendantiste à entrer au Palais du Luxembourg.

Aujourd’hui, les Kanaks sont médecins, avocats, juristes, haut-fonctionnaires, journalistes, enseignants, chercheurs, chefs d’entreprises, élus, écrivains, artistes, chanteurs, acteurs, footballeurs, entraîneurs/coachs des grandes équipes nationales, ingénieurs, directeur de musées nationaux, PDG de grands groupes, anthropologues, pharmaciens, historiens, psychologues, formateurs, agriculteurs, artisans, etc…. et ont su, par-delà les temps, conserver leur culture et s’approprier le monde moderne, le lien entre ces deux mondes si diamétralement opposés étant sans contexte la spiritualité, car la société civile kanak est profondément spirituelle.

Elle va même plus loin aujourd’hui grâce à sa jeunesse qui s’est appropriée tous les outils des nouvelles technologies (création d’applications pour l’apprentissage des langues Kanak, d’identification des terres coutumières, photographie de lieux protégés par drone, etc…) mais aussi des pédagogies émergeantes (communication non violente, prise de parole en public, méthode Faber et Mazlish, création d’une méthode d’apprentissage des mathématiques inspirées des connaissances ancestrales, etc…) et qui se prépare à vivre de façon sereine et harmonieuse la 4ème révolution industrielle en remettant de l’humanité dans les relations sociales au sein du travail. Et cela est tout à fait possible pour cette toute jeune société car elle a pour principe de vie l’économie sociale et solidaire.
Parallèllement, la jeunesse de la société civile kanak est vigoureusement engagée dans la protection des espèces et écosystèmes. La création de plusieurs OBNL au cours des 10 dernières années ont permis la création d’institution comme Vision Kanak de l’Océan en 2024, de la filière agroforesterie et de la filière vannerie.

Crédit photo : Audrey Dang – Studio D Declick photographie

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