L’Intelligence Artificielle n’est pas juriste, soit, mais tout de même lire ce qu’elle répond à une question directe sur l’avis du conseil d’Etat sur le projet d’Accord de Bougival s’avère troublant. D’autant plus troublant que les explications avancées sont simples, aisément compréhensibles de tout un chacun et somme toute, logiques.
Il y a là matière à réflexion et invitation à la prudence.
Car si l’IA n’est pas juriste, elle n’est pas non plus politicienne.
L’analyse
Le Conseil d’État présente le projet de loi comme une « nouvelle étape » du processus de décolonisation engagé par l’accord de Nouméa. Pourtant, plusieurs passages révèlent une tension entre le vocabulaire décolonial et la logique d’intégration républicaine.
Le texte réaffirme la « place centrale du peuple kanak » et la « reconnaissance de son identité », mais inscrit la Nouvelle-Calédonie au sein de « l’ensemble national » et non comme une entité exerçant une souveraineté propre.
L’usage du terme « État de la Nouvelle-Calédonie » ne traduit pas une reconnaissance de souveraineté externe : il s’agit d’une construction interne à la République, que le Conseil d’État qualifie de « sui generis ».
La possibilité d’une « reconnaissance internationale » de cet État est évoquée, mais sans conférer de personnalité juridique internationale : la compétence diplomatique resterait bornée à des conventions techniques, sous contrôle de Paris. Cette architecture entretient donc l’ambiguïté d’un processus présenté comme décolonisateur mais constitutionnellement borné à l’unité de la République. Le Conseil d’État souligne d’ailleurs que le projet d’Accord de Bougival ne remplace pas celui de Nouméa : il l’intègre dans un corpus constitutionnalisé, neutralisant de facto la dimension transitoire et évolutive de l’ADN – lequel visait à conduire vers une pleine souveraineté, pas à instituer un nouveau statut pérenne.
Le projet crée une Loi fondamentale de la Nouvelle-Calédonie, censée incarner la capacité d’auto-organisation. Mais le Conseil d’État encadre strictement cette autonomie : la Loi fondamentale doit respecter la Constitution, l’Accord de Nouméa et le projet d’Accord de Bougival, les engagements internationaux et la loi organique. Elle sera soumise à un contrôle a priori du Conseil constitutionnel, et à un contrôle a posteriori seulement « en cas de changement de circonstances ».
Autrement dit, cette loi, censée symboliser la capacité normative du futur État, ne disposera pas d’une pleine autonomie constitutionnelle : elle sera une norme subordonnée, non l’expression d’un pouvoir constituant local.
Cette hiérarchie — Constitution > Loi organique > Loi fondamentale > lois du pays – traduit un recentrage du pouvoir normatif à Paris, en contradiction avec l’esprit de décolonisation qui suppose une souveraineté graduelle.
C’est sans doute sur le terrain des transferts de compétences régaliennes que se cristallisent les ambiguïtés les plus fortes.
Le projet d’Accord de Bougival prévoyait que le Congrès calédonien puisse demander, à une majorité qualifiée, le transfert de certaines compétences « de nature régalienne » (défense, monnaie, sécurité, justice, contrôle de légalité). Mais le Conseil d’État en atténue fortement la portée : il juge le terme « régaliennes » juridiquement flou ; il exige que tout transfert soit soumis à l’approbation des électeurs de nationalité calédonienne et il insiste sur la cohérence globale à maintenir avec les compétences non transférées, laissant au législateur organique la latitude d’en restreindre l’exercice.
Ce mécanisme transforme le transfert en faculté conditionnelle, réversible, et politiquement verrouillée, dépendant à la fois du Congrès, du vote populaire et du contrôle de l’État central. Le Conseil d’État reconnaît d’ailleurs la complexité du régime de compétences et alerte sur la nécessité d’assurer une cohérence entre loi organique et Loi fondamentale. Mais cette superposition (Constitution → loi organique → Loi fondamentale → actes locaux) risque de créer une dépendance administrative et juridique permanente vis-à-vis de Paris.
Chaque tentative de transfert ou de redéfinition institutionnelle serait susceptible d’un double contrôle (juridique et politique), freinant toute dynamique d’émancipation.
Le Conseil d’État valide par ailleurs la limitation du corps électoral pour l’approbation du projet d’Accord , reprenant la logique du corps « gelé » de Nouméa. Mais, en rendant ce corps électoral définitif pour toute demande de transfert régalien, le dispositif fige la décolonisation dans un cadre minoritaire, où la souveraineté reste conditionnée à la reconnaissance préalable par l’État et à la validation d’un électorat restreint.
Le processus d’émancipation devient ainsi un processus d’autorisation – et non plus un exercice du droit à disposer de soi-même.
Le Conseil d’État souligne que la nationalité calédonienne, introduite par le projet d’Accord, ne sera accessible qu’aux nationaux français, par demande expresse et qu’elle ne crée aucune citoyenneté différenciée. Elle n’entraîne ni autonomie internationale, ni statut civil distinct, et reste un marqueur interne, surtout destiné à justifier l’évolution du corps électoral.
En somme, la nationalité calédonienne n’est pas un outil d’émancipation politique, mais un instrument de stabilisation interne, conçu pour encadrer le processus plutôt que pour l’ouvrir.
Le projet d’Accord et l’avis du Conseil d’État confirment ainsi une inflexion majeure : la décolonisation « irréversible » promise à Nouméa se transforme en institutionnalisation d’un statut définitif, où l’autonomie est constitutionnalisée mais sans perspective de souveraineté.
La création d’un « État de la Nouvelle-Calédonie » n’est donc pas un aboutissement, mais une requalification juridique du territoire dans un cadre français verrouillé.
Le Conseil d’État, tout en validant la conformité du texte à la Constitution et au droit international, dépolitise la question du droit à l’autodétermination : il la ramène au registre de la technique normative, non de la légitimité historique ou politique.
L’avis du Conseil d’État consacre ainsi un changement de paradigme : d’un processus de décolonisation progressif et ouvert, on passe à une logique d’intégration constitutionnelle « sui generis » ; les transferts de compétences régaliennes deviennent des exceptions soumises à l’État et au corps électoral existant, non des étapes naturelles de la souverainisation ; la Loi fondamentale promet une autonomie formelle mais non constituante et la nationalité calédonienne s’apparente davantage à une citoyenneté administrative qu’à un marqueur d’émancipation.
En somme, le projet d’Accord de Bougival, tel que validé par le Conseil d’État, stabilise le statu quo sous des habits constitutionnels neufs, substituant à la promesse d’indépendance un modèle de décolonisation domptée.
31 octobre 2025
« Le Cercle du Croissant est un groupe informel de réflexion regroupant des personnes venues d’horizons politiques et professionnels différents qui se donne pour but, en diffusant ses analyses et ses idées, d’alimenter les débats actuels sur l’avenir de la Nouvelle Calédonie. »












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