Le mot d’abord : polysémique comme beaucoup d’autres mots de la langue française.
L’attente, c’est le temps pendant lequel on attend. C’est aussi ce que l’on attend, ce que l’on espère même lorsqu’on ne sait pas vraiment à quoi s’attendre ou qu’on n’est pas certain d’y croire vraiment….
C’est le délai qu’on se donne avant de prendre une décision, de répondre ou d’agir, le temps de la réflexion, mais également celui des atermoiements, des incertitudes ou des inquiétudes, voire des angoisses…
Dans tous les cas, c’est une situation provisoire mais qui peut durer. La question est de savoir combien de temps et peut-être aussi : qui attend ou fait attendre qui et pourquoi ?
Depuis les émeutes de l’année dernière, il semble que le pays se soit comme installé dans l’attente sans qu’on comprenne toujours très bien ce qu’il attend.
Inexorablement, il s’enfonce dans la crise. Une crise profonde, multidimensionnelle, tout à la fois politique, sociale, économique et morale.
En attente de la fin de la crise économique
A l’exception de ceux qui n’attendaient plus rien et sont déjà partis et d’une frange de la jeunesse kanak urbanisée qui menace de ne plus pouvoir attendre encore très longtemps qu’on réponde enfin à ses problèmes, tout le monde guette fébrilement les premiers signes d’une évolution positive qui tarde à se dessiner.
Ceux qui ont perdu leur emploi attendent que les entreprises réembauchent, les entreprises une amélioration de la conjoncture ; et aussi, pour beaucoup d’entre elles, de savoir quand elles toucheront enfin les primes d’assurance qui leur sont dues et les aides financières que l’Etat a promises.
Pour l’instant, ne semblent ne pouvoir s’en tirer que les établissements qui dépendent de groupes nationaux ou internationaux et qui bénéficient peu ou prou de leur soutien.
Les petites entreprises, sans surface financière, car déjà fragilisées par la crise Covid et la guerre en Ukraine qui a considérablement augmenté le coût des matières premières – dixit le secrétaire général de la CPME -, ferment ou tentent de se débrouiller comme elles peuvent en licenciant, en mutualisant leurs moyens ou en développant entre elles des solidarités inédites.
Que dire par ailleurs des multiples associations, si indispensables au pays et qui se sont vues retirer tout ou partie des subventions nécessaires à leur action ? Des artistes ? Des personnes en situation de handicap ? Des travailleurs sociaux ? Des quartiers sinistrés de Nouméa nord et du grand Nouméa ? De tous ceux qui ne mangent aujourd’hui pas à leur faim ? Des gens en situation précaire face à la hausse irrésistible des prix ?
Avant de s’engager plus pleinement dans le soutien financier, l’Etat dit de son côté attendre des décideurs économiques et politiques du pays qu’ils élaborent le plan de réforme qu’il leur a demandé, car le pays vit depuis plus de 35 ans au-dessus de ses moyens et de plus en plus au-dessus des moyens de la République elle-même. Mais là, il faut bien dire que les réactions se font attendre.
Le gouvernement local n’esquisse pour l’instant que des faux-semblants de réformes qui masquent mal l’espérance d’un retour au statu quo ante, très loin de la transformation globale attendue. Le Congrès se veut plus proactif, mais semble devoir encore tâtonner un moment, faute de s’être doté d’un diagnostic global de la situation et d’une capacité à devenir un véritable acteur collectif. Trop de non-dits, de suspicions, d’arrière-pensées.
En attente de la signature d’un nouvel accord politique
La politique avant tout. Si les dirigeants des partis du pays se sont rassemblés autour d’une même table de discussion, leurs attentes ne sont à l’évidence pas les mêmes.
Les indépendantistes espèrent de l’Etat, des loyalistes et autres républicains qu’ils daignent enfin se préoccuper d’un contentieux colonial dont ils ne cessent de demander qu’il soit soldé depuis un demi-siècle.
Les loyalistes et autres républicains ne veulent pas en entendre parler et mettent tous leurs espoirs dans un Président de la République qui leur permettrait de gagner quelques années supplémentaires avant d’avoir à se rendre à l’évidence que le monde a changé, y compris en Nouvelle-Calédonie.
Quant aux partis que l’on qualifie de « modérés », ils peuvent paraître plus ouverts aux évolutions mais donnent le plus souvent le sentiment d’être eux aussi dans l’attente, désireux que l’Etat prenne l’initiative d’un renversement institutionnel qu’ils ne sentent pas le courage de défendre auprès de leurs électeurs. Non pas maintenant.
Et attendant, on critique les erreurs des gouvernements Macron successifs en faisant mine d’oublier qu’on les avait soi-même entérinées.
L’attente, on l’a dit peut être le temps des atermoiements, des incertitudes, des inquiétudes, voire des angoisses…
Les partis politiques calédoniens affirment aujourd’hui être en train de bâtir – avec beaucoup d’humilité, dans le dialogue et le respect des opinions de chacun et des principes de démocratie – un nouveau projet politique pour le pays. Mais en vérité, après le conclave de Deva les contours de ce projet ne semblent toujours pas esquissés, n’en déplaise à nos élus, et le pays doute de plus en plus qu’il le soit un jour sans la pression de l’Etat.
La surprise
En vérité, ces derniers mois, la surprise est venue de deux personnalités de l’Hexagone que l’on n’attendait vraiment pas sur le dossier calédonien.
La première est Manuel VALLS, promu ministre d’Etat des Outre-Mers dans le gouvernement Bayrou et qui a posé sur la table des négociations une proposition de statut, discutable, perfectible mais ayant le mérite d’apporter des réponses concrètes aux attentes des trois camps politiques du pays.
Contrairement aux allégations des plus acrimonieux, cette proposition n’est pas celle de l’indépendance, ni même de l’indépendance-association telle que l’envisageait Edgar PISANI.
Les représentants du FLNKS et du PALIKA l’ont clairement dit, qu’ils ont néanmoins accepté d’en faire la base des prochaines négociations et cela parce qu’elle s’inscrit clairement dans le sillage des Accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa et qu’elle reconnait explicitement la responsabilité colonisatrice de la France et consécutivement le devoir de décolonisation de l’Etat.
Cette proposition n’est bien sûr pas non plus celles des Loyalistes et Républicains qui envisagent sérieusement de pouvoir revenir sur les acquis des précédents Accords et pour les plus radicaux d’entre eux d’instituer une partition de fait, sinon de droit du pays. Mais elle assure bien, quoi qu’ils en disent, une évolution du pays avec la France et garantit à ceux qui le souhaiteraient une double nationalité, avec tout ce que cela suppose de respect démocratique des droits civiques et des libertés publiques et individuelles.
Un récent communiqué de Calédonie Ensemble souligne que « l’Etat a déjà diffusé trois documents depuis le mois de février : le 28 février (document d’orientations), le 30 mars (projet de « compromis politique ») et le projet présenté, par le ministre, le 05 mai 2025 à Deva fondé sur une « souveraineté avec la France » et dit espérer que ce dernier « continuera à servir de base de discussions avec les partenaires calédoniens » puisqu’’il fait référence aux « efforts pour le retour du dialogue entre toutes les parties engagées par le ministre d’Etat ».
En attente de signes
Est-ce un premier signe de la sortie de crise attendue par la majorité des citoyens et des habitants du pays ? Il faut encore attendre pour le savoir.
Les grandes manœuvres politiques ont commencé, « calédoniennes » dans l’Hexagone, « métropolitaines » en Nouvelle-Calédonie et le Président de la République sait se faire attendre. Soutiendra-t-il son ministre comme celui-ci est en droit de l’escompter ? Ou fera-t-il ce qu’attend de lui le député de la première circonscription locale qui ne veut pas d’autre solution que celle qu’il croit imposer par les scores des trois consultations référendaires de sortie de l’Accord de Nouméa ?
Qui le sait ? Peut-être même pas le Président lui-même qui, après un chemin du pardon resté sans lendemain et quelques autres gadgets du même acabit, affirme aujourd’hui, à l’évidence sans bien mesurer les connotations paternalistes et coloniales de ses propos, que « ni la culture Pacifique, ni la culture Océanienne ou Mélanésienne ne sont totalement faites pour les référendums » et qu’il y avait là des erreurs qu’il ne referait pas. Et ce alors même que c’est la perspective d’un véritable référendum d’autodétermination que réclame pour sa part le FLNKS.
Il faut dire que soutenir la proposition de Manuel VALLS serait implicitement reconnaître le rôle joué par les prédécesseurs de l’actuel ministre d’Etat des Outre-mers dans la montée des tensions politiques et dans le déclenchement des violences du 13 mai 2024.
Maintien, à l’encontre des promesses d’Edouard PHILIPPE du référendum organisé en 2021 par Sébastien LECORNU, absence de véritables négociations le lendemain de son boycott par le FLNKS, imposition de la Loi sur le dégel du corps électoral par Gérald DARMANIN.
Avouer même à mots couverts sa propre responsabilité est peut-être quelque chose qu’il ne faut pas espérer du Président de la République. De toutes les façons, les partis politiques du pays attendent encore l’invitation à l’Elysée qui leur a été annoncée. Rien n’est joué. Il faut patienter encore quelques temps.
L’autre surprise
La seconde surprise de cette année a été la visite de Marine Le Pen, la Présidente du Rassemblement National. On ne doit bien évidemment pas être dupe de la position que celle-ci a crânement défendu face aux adversaires de l’indépendance du pays. C’est à l’évidence un pion qu’elle avance sur l’échiquier politique français face à ses concurrents de droite. Mais son attitude tranche trop par rapport à la posture d’un vice-président des LR, partisan sans nuance d’un retour aux grandes heures de la colonisation pour ne pas contenir une leçon de lucidité politique.
On peut vouloir garder la Nouvelle-Calédonie dans la France et ne pas se méprendre sur l’interprétation à donner au résultat du 3ème référendum boycotté par le peuple kanak. On peut aussi en comprendre les raisons. Un referendum d’autodétermination dont le peuple colonisé est absent n’a guère de sens. L’Etat aurait dû se souvenir du référendum PONS de 1987 déjà boycotté par les Kanak avec des conséquences analogues.
Faut-il être grand clerc pour admettre que les émeutes urbaines de 2024 ont, avec l’insurrection de 1988, une cause commune : une colonisation qui perdure, même si ses ombres n’ont pas été dénuées de lumière ? Peut-être, d’ailleurs, sont-ce ces lumières qui font que les indépendantistes entendent aujourd’hui encore construire l’avenir du pays non pas DANS la France mais AVEC la France. Mais qui veut bien le remarquer ?
Marine Le Pen – et ce fût encore une surprise – a également tenté de faire comprendre à son électoral naturel qu’il devait être possible dans la Calédonie aujourd’hui de décoloniser sans engendrer de nouveaux drames et de nouvelles souffrances. Mais sur ce point comme sur les précédents on peut s’attendre à ce qu’elle n’ait même pas été écoutée tant cet électorat attendait d’elle un tout autre discours.
Enfin, Marine Le Pen a préconisé une pause dans l’évolution politique du pays, le temps d’en rebâtir l’économie Il n’est pas certain que ce soit là une bonne idée, mais pas certain du tout !
En attente de lucidité et de volonté
Reconstruction économique et émancipation politique doivent être menées parallèlement, même s’il faudrait éviter, à l’encontre de Manuel VALLS, de conditionner l’une à l’autre.
A multiplier les conditions, les délais et les attentes, à y ajouter une pause, on prend le risque d’un pourrissement déjà bien entamé de la situation, avec toutes les implications sociales, morales et psychologiques que cela peut avoir.
Comment conjurer les violences, mettre fin au désespoir et éviter de sombrer dans l’abîme si on se contente d’attendre, encore et encore, et de réitérer les mêmes erreurs ?
Comment faire société si l’on entend reporter une fois de plus le moment de se confronter aux problèmes qui divisent le pays jusqu’au sang.
Et comment reconstruire un pays, sans vision à long terme et un minimum de lucidité et de courage politique ? L’économie, la santé, l’éducation, l’action sociale, la culture manquent cruellement de moyens, mais plus encore de réelles perspectives et de volonté collective pour les porter.
En vérité, il nous faut au plus vite décider d’une trajectoire politique à la hauteur des enjeux historiques et humains auxquels le pays est confronté et l’inscrire dans l’irréversibilité.
Il ne faut plus repousser le moment de se confronter enfin à la question de la décolonisation. La société civile, dans toutes ses composantes, peut y aider. Il en va de l’existence même du pays.
La Nouvelle-Calédonie ne souffre pas d’une division politique chronique, mais du refus d’une partie de sa population et de ses décideurs politiques de regarder en face son histoire, notre histoire commune.
Il nous faut également élaborer un véritable plan d’aménagement et de développement pour rendre un peu d’air et d’initiative à notre économie. Ces plans tracés et balisés, quelques étapes seront, à n’en pas douter, nécessaires afin d’y apporter les ajustements que feront apparaître leur mise en œuvre. Mais ce n’est qu’à partir d’une démarche volontariste et collective que l’on peut croire en l’avenir.
A trop attendre, on prend le risque de laisser passer le bateau que l’on devrait prendre !
« Le Cercle du Croissant est un groupe informel de réflexion regroupant des personnes venues d’horizons politiques et professionnels différents qui se donne pour but, en diffusant ses analyses et ses idées, d’alimenter les débats actuels sur l’avenir de la Nouvelle Calédonie. »












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