La fusillade de Koindé à La Foa en 1983 et la scierie BARBOU.

Les faits

Au moment des faits, M.Barbou exploitait une scierie qui polluait la rivière des habitants de Koindé et Ouipoin, deux tribus au fin fond de La Foa, en pays Xârâcùù.

Des dommages et intérêt lui ont été alors réclamés par les habitants qui après plusieurs tentatives de négociation ont décidé de bloquer l’accès à son matériel le 4 janvier 1983.

Le jugement, bien évidemment, n’a pas été en faveur des kanak et les gendarmes ont été envoyés pour récupérer les engins de l’exploitant.

C’est ainsi que le 10 janvier 1983 deux gendarmes mobiles GALARDON Eric et MORICE Jacques seront mortellement blessés par balle et six autres personnes blessées au retour de cette opération.

Pour cette embuscade, dix-huit kanak ont été inculpés pour leur participation.

Le fossé d’incompréhension

Parmi les dix-huit kanak, il y a les chefs des deux tribus de Koindé et de Ouipoin.

Lors de l’audience, le petit chef de Koindé, Clément Monéfara, demanda : « Qui vous a donné l’autorisation de pénétrer dans la tribu ? »

Les terres coutumières sont extrêmement importantes pour les kanak et sont protégées par des règles coutumières que l’Etat français bafoue sans vergogne.

D’ailleurs, cela n’a pas vraiment changé puisque c’est ce qu’il a également fait lors des derniers évènements de 2024 en rentrant dans certaines tribus de Drubea-Kapumë, sans vraiment consulter les acteurs coutumiers de cette zone.

Vous imaginez bien qu’en 1983, le système judiciaire ne protège pas les Kanak alors que la pollution avait été prouvée par des tests et que les solutions proposées ne convenaient pas aux habitants, d’où leur mécontentement.

A croire qu’en Kanaky-Nouvelle-Calédonie seule la violence sert à se faire entendre, ça ne sera plus le cas dans le futur, on l’espère !

Ps : Après cet évènement, comme si rien ne s’était passé, M.Barbou continue son activité dans la région de La Foa, Sarraméa, Moindou…

Article de Monsieur Louis-José Barbançon en tant que secrétaire général de la FNSC pour les Nouvelles Calédoniennes, le 19 janvier 1983 :

Dès le lendemain des événe­ments de Koindé, la FNSC publiait un communiqué dans lequel elle condamnait l’acte criminel, mais dans lequel elle invitait aussi à la réflexion et à tirer les enseignements de cette tragédie.

C’est après le délai de si­lence qu’elle s’était imparti pour respecter le deuil que la FNSC a décidé de faire connaître aux Calédoniens ses ré­flexions.

Nous ne voulons pas choisir entre les thèses de l’embus­cade et de la panique. Il y a la justice qui fera une enquête et il y aura un jury en cours d’assi­ses, composé de jurés de Nou­velle-Calédonie qui en leur âme et conscience jugeront.

Tout a commencé par une banale histoire de ravitaillement en eau. Les tribus de Ouipoin et de Koindé avaient signalé depuis plusieurs mois que les rivières dans lesquelles elles captaient leur eau potable étaient fortement polluées. Les tribus demandaient alors que leur adduction d’eau qui était rudimentaire ainsi que leurs conduites soient réaménagées. Cela représentait une crépine et quelques tuyaux. Chacun s’est alors renvoyé la balle en se déclarant incompétent. Pendant ce temps, l’eau était toujours aussi boueuse et, avec l’arrivée des fêtes de fin d’an­née, les quelques kilos de crevettes qui assuraient un apport d’argent frais aux tribus n’étaient même plus là. Et tout ceci dans le silence et une indifférence générale.

Qu’un quartier de Nouméa manque d’eau pendant quarante-huit heu­res, et cela mérite un article de journal. Qu’une tribu n’ait plus d’eau potable pendant plusieurs mois, et cela n’intéresse personne.

En ce sens, nous portons tous, par notre indifférence face à des problèmes qui nous semblent éloignés, une part de responsabilité. Il a fallu attendre un barrage sur une route, c’est-à-dire un acte illégal, pour que l’on commence à parler de cette affaire.

À partir de là, la politique s’en est emparée.

Nous prétendons que c’est la politisation de cette affaire qui l’a pourrie jusqu’à son tra­gique dénouement. Pourtant, dès le début, la FNSC et ses élus ont tout fait pour éviter cette politisation, bien tentante à quelques semaines des élections municipales.

Qui a posé des questions écrites à l’Assemblée territo­riale et a fait toute une matinée un débat politique sur cette affaire ?

Qui est allé à Koindé plu­sieurs fois ? Qui est allé à La Foa plusieurs fois ?

Qui, au cours de tournées en brousse, a fait de Koindé un thème de campagne électo­rale ?

À toutes ces questions, vous ne trouverez jamais comme ré­ponse : la FNSC.

Depuis le début de cette affaire, nos élus se sont effor­cés de lui conserver une dimen­sion humaine. Il y avait un problème humain ressenti comme une injustice par les gens de la tribu, il y avait un problème de légalité quant à la liberté de travail et de circula­tion. Nous avons fait faire par les services compétents les enquêtes indispensables, ser­vices des Eaux et Forêts et du Génie rural en particulier. Nous avons transmis et lu en toute impartialité en séance pu­blique de l’Assemblée territo­riale les résultats de ces enquê­tes, ainsi que les rapports en résultant.

Cela s’est terminé par un dialogue de sourds, les uns prenant parti pour la légalité, les autres dénonçant l’injustice de la situation, et nous devons le noter, très bien analysée par les Nouvelles.

Malheureusement, nous avons été incapables d’arrêter la politisation de cette affaire. Chacun de son côté y est allé de sa démagogie. Chacun a forcé sur la surenchère. D’un côté, les exigences des tribus ont durci. De l’autre, l’affaire prise en main par des hommes politiques était devenue une question de principe, un cheval de bataille pour les municipales.

Une commission d’experts composée de techniciens de l’ORSTOM et du CNEXO a bien été constituée. D’autre part, une action en justice était en cours.

Nous affirmons que des né­gociations étaient toujours pos­sibles. Aussi, depuis les événe­ments, nous nous deman­dons : « comment a été prise la décision ? »

Une certitude, personne n’a été informé au niveau du conseil de gouvernement.

Nous savons, par contre, qu’au cours d’une réunion pu­blique, le jeudi 6 janvier à Bourail, il a été dit : « L’affaire de la scierie Barbou, je m’en oc­cupe personnellement, j’ai vu le haut-commissaire, elle sera réglée. »

C’est ce qui nous permet d’écrire qu’il y a eu des pres­sions politiques, pour que le haussaire prenne la décision qu’il a prise. Car nous le savons aujourd’hui : il n’y avait pas d’ordonnance de référé et pas de décision de justice.

Alors nous posons la ques­tion : « À quelles pressions le haut-commissaire a-t-il cédé pour décider cette opération ? »

Bien sûr, les auteurs de ces pressions n’ont jamais imaginé un seul instant que cela pourrait se terminer par une tragédie. On attendait tout au plus quel­ques incidents qui auraient ap­porté des arguments supplé­mentaires à une campagne électorale déjà commencée sur ce thème.

On a poussé à agir vite, alors qu’il était encore possible d’at­tendre que la tension redescende et que les esprits se calment, d’un côté comme de l’autre.

C’est vrai, et nous ne le répéte­rons jamais assez, rien ne peut excuser le geste meurtrier, et il est condamnable en soi. C’est vrai que si cette opération n’avait pas été faite, la liberté de circulation et de travail en aurait pris un coup. Mais avait-on vraiment épuisé toutes les pos­sibilités d’arriver à un accord, avant de prendre des risques tels que des jeunes gens soient tués sans qu’ils ne sachent jamais pourquoi, pour quelle folie, au nom de quel principe ?

Alors on vient nous dire n’im­porte quoi : « Vous comprenez, depuis que Tjibaou est au con­seil, les Canaques, ils se sentent forts. Avant ils se seraient laissé polluer sans rien dire, maintenant ils se laissent plus faire. » C’était le bon temps. Mais il est fini ce temps-là.

Ou alors : « L’Administration donne toujours raison aux co­lons contre les Canaques. » Mais là encore, il est fini ce temps-là.

Politisation, surenchère, escalade…

Est-il devenu impossible dans ce pays de traiter norma­lement d’une affaire, depuis que l’on veut résumer la vie politique calédonienne à deux blocs : RPCR et FI ?

Depuis toujours nous di­sons : quand la Calédonie sera effectivement divisée en deux blocs antagonistes, ce sera le commencement de la fin.

À Koindé, pendant deux mois, RPCR et FI ont été face à face et ce face-à-face s’est terminé par deux morts.

Le FI seul face au RPCR ou vice versa, sans la FNSC, sans un mouvement modéré de trait d’union ou de dialogue, c’est à court terme la guerre civile assurée, nous en sommes profondément convaincus et les événements de Koindé nous donnent malheureusement raison.

À quelques semaines des municipales, chacun, qu’il soit Canaque ou Calédonien, devrait y réfléchir, se méfier des extrêmes.

Comme on devrait réfléchir aux dangers des amalgames, des raccourcis faciles et des articles à sensation.

Bien des réponses et des analyses seraient alors nuan­cées et bien de nouvelles questions seraient posées.

Qui est Sylvestre Nemouare, le meurtrier ? Un indépendantiste de toujours, un anti-Blanc, un dur ? Même pas, il fut élu en 1977 au conseil municipal de La Foa sur une liste conduite par Roger Ludeau alors socialiste, devenu pilier des campagnes RPCR. Qui se demande comment cet homme qui était hier un conseiller municipal responsa­ble est devenu aujourd’hui un meurtrier capable de tuer par deux fois ?

La réponse à cette question n’intéresse personne : « c’est un Canaque, ça suffit ».

On a l’impression que tout est faussé dans ce pays. Quand une cause canaque est juste et qu’on le reconnaît, aussitôt on est accusé de tout céder aux Canaques, de baisser le panta­lon, etc.

Quand une cause calédonienne est juste et qu’on le reconnaît, aussitôt on est accusé de perpétuer le coloniaIisme, etc.

Des parutions périodiques et un certain hebdomadaire se sont spécialisés dans la défense de l’une ou de l’autre formule.

Ainsi, nous faisons remar­quer que, quelques jours avant l’assassinat de Declercq, la première page de cet hebdo concernait Declercq, et comme par hasard, quelques jours avant Koindé, la même première page du même journal concernait Koindé : « La nouvelle arme du FI : le racket. »

Quelle sera la prochaine vic­time que désignera cet hebdomadaire ?

Il faut revenir à plus de sérénité dans les rapports et le développement des opinions et des idées.

Est-ce encore possible ?

Parmi les personnes présentes à la cathédrale de Nouméa, combien étaient également présentes à la tribu de La Conception aux obsèques de Pierre Declercq ?

Là-bas, la foule était en majorité noire, hier, elle était en majorité blanche.

Les responsables de la FNSC en étaient et ils ont ressenti le même pesant et lourd silence, la même résolution, la même détermination.

Que faut-il faire ? Quel lan­gage faut-il parler ? Que faut-il dire ? Écrire ? Pour faire com­prendre que l’affrontement de ces deux déterminations, qui se veulent, chacune, légitimes, con­duira à la destruction de notre société et de notre pays ?

Nous devons avouer que c’est là le défaut majeur de la FNSC, cette incapacité chro­nique à faire admettre par le plus grand nombre son mes­sage.

Une FNSC composée maintenant d’amis fidèles et de toujours, unis dans la confiance, de personnes qui placent la réflexion avant le réflexe, et surtout d’hommes et de femmes qui par-dessus tout aiment leur pays et ses habitants.

Mais pas comme on aime quelque chose de parfait ou d’idéal. Mais un pays et un peuple avec ses contradictions, ses défauts, ses qualités, ses élans, ses passions, ses indiffé­rences, son incapacité à trans­cender les idées reçues, à sortir des sentiers battus ou des archétypes mille fois répétés.

Mais écoutez donc :

« Le Canaque, il est fainéant, et ça restera toujours un Ca­naque.

Le Wallisien, il est travailleur, mais il est voleur.

Le Vietnamien, il est com­merçant, mais on sait jamais ce qu’il pense.

Le Javanais, il est sérieux, mais il est joueur et il aime le clinquant.

Le Tahitien, il ne pense qu’à la bringue.

L’Antillais, il est propre, mais il est poseur.

Le Zoreille, il connaît tout et il n’est là que pour faire du fric.

Le métis est complexé, ou anti-Blanc ou anti-Ca­naque. »

À nous entendre, il n’y a que nous, les Calédoniens blancs, qui sommes parfaits.

Mais écoutez-vous donc ! Notre pays et notre peuple, issus de tant de racines diffé­rentes, que de tolérance il faudrait pour vous édifier !

Nous pensons au Canaque Christian Biciw et au grand élan de tolérance et de fraternité qu’il avait cru pouvoir créer le 11 novembre 1981, qu’en reste-t-il aujourd’hui dans les communiqués quasi hystériques d’AFC ?

Tolérance, fraternité, bonne volonté, mots clés de la Calédo­nie, c’est vous que l’on assas­sine à coups de communiqués vengeurs, de discours dénonciateurs, et dans le tonnerre des coups de feu de Robinson et de Koindé.

Mais quand les coups de tonnerre annoncent l’orage, quand l’horizon s’assombrit, les voix des hommes de bonne volonté, de tolérance et de fraternité peuvent-elles encore être entendues et qui veut encore les écouter ?

Nous nous permettons de publier intégralement la prière d’une sœur mélanésienne lue samedi à la cathédrale. Nous voudrions que chaque Calédo­nien, que chaque Canaque la lise. Elle résume dans son émouvante simplicité tout ce que nous essayons de faire depuis des mois, et que nous essaierons encore si on ne nous arrête pas avant. Cette prière dit :

« Seigneur Jésus,

La réconciliation seule mènera ce territoire à l’unité. De­vant les corps de ces deux hommes qui sont retournés vers toi, après avoir donné leur vie pour faire leur devoir, je demande pardon à Dieu devant leurs parents et la gendarmerie pour mes frères mélanésiens.

Des missionnaires sont par­tis de France pour venir nous évangéliser et j’en suis recon­naissante au Seigneur. Et sur la façade de la cathédrale, une plaque nous rappelle que Mgr Douarre a donné la Calédonie à Dieu.

Depuis lors, une évolution faite de difficultés et d’imper­fections a eu lieu. Rien n’est parfait, car toi seul es parfait, Seigneur. Malgré une culture différente, les Mélanésiens, aidés par leur foi, ont essayé de vivre en paix avec les Euro­péens.

Les Mélanésiens et les Eu­ropéens sont frères puisqu’ils sont morts ensemble à la guerre.

Mais à Koindé, malheureu­sement, la colère a été victo­rieuse de la patience, à cause de la pollution de l’eau de leurs rivières.

Seigneur, donne ton Esprit aux Mélanésiens pour qu’ils pardonnent ce préjudice, Sei­gneur, donne ton Esprit à tous pour que la haine s’arrête et pour que tout le monde puisse vivre en paix.

Seigneur, je souffre pour ces deux hommes morts en service commandé et je souffre égale­ment pour tous mes frères mélanésiens et calédoniens.

Seigneur, je voudrais que les hommes de toutes races ap­prennent à s’aimer selon ton commandement, « Aimez-vous les uns les autres ».

Le temps de la réconcilia­tion est venu. La haine doit partir de ce pays.

Pour cela, je demande la lumière de ta grâce, ta grâce qui est faite d’amour et de pardon.

Que tous les missionnaires qui ont donné leur vie pour ce diocèse, que la Sainte Vierge Marie, patronne de la France et de la Nouvelle-Calédonie, inter­cèdent près de toi, Seigneur Jésus, pour écouter la prière de tous les gens de ce pays afin qu’ils se donnent la main pour construire l’avenir ensemble dans la paix du Christ. »

N’hésitez pas à nous contacter si vous avez d’autres témoignages des gens de la région pour alimenter cet article.

sources :

https://www.lemonde.fr/archives/article/1983/01/11/deux-gendarmes-tues-en-nouvelle-caledonie-lors-d-un-affrontement-avec-des-melanesiens_2839331_1819218.html

https://www.lemonde.fr/archives/article/1983/01/15/bull-dix-huit-personnes-inculpees-bull-manifestations-dans-le-calme-a-noumea-et-a-la-foa_3078895_1819218.html

L’auteur de l’article : M.Barbançon

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