Résumé
Depuis plusieurs années maintenant, la Nouvelle-Calédonie s’alarme sur un mal-être de sa jeunesse : suicide, addictions, conduites à risques… et la délinquance juvénile, qui est le phénomène du moment au regard de l’actualité locale. Elle touche principalement les Kanak, ceux des tribus proches de Nouméa, ceux des quartiers de la ville aussi, mais pas que. Le phénomène met en difficulté le sens commun quand il tente de comprendre ce type de comportement. Car l’opinion publique tend à jeter l’opprobre sur une jeunesse qui en plus d’être en difficulté se voit chargée d’une responsabilité pleine et entière de ses actes. Or, s’il existe une justice des mineurs, c’est bien parce qu’une part de cette responsabilité est tout autant celle de la famille et, avec elle, de la société. Nous développerons dans cette contribution l’idée que la délinquance juvénile en pays kanak est le symptôme d’une société calédonienne elle-même souffrante. C’est en quoi une clinique du sujet est à mener en lien étroit à une clinique du social pour écarter les évidences que donnent à voir le phénomène.
Plan

Extrait
Pour aller à l’essentiel, deux grandes familles d’approche théorique peuvent entreprendre de répondre à cette question. La première relèverait d’une certaine sociologie actionnaliste couplée à une discutable approche culturaliste. Selon elle, la délinquance serait une réponse des individus face à leurs possibilités limitées d’accéder à la vie économique et sociale ainsi qu’à la société de consommation. De telles limites seraient déterminées par un système familial et culturel intrinsèquement défaillant dans sa capacité à s’ajuster aux pratiques sociales de la modernité, dans sa propension à se laisser aller aux addictions en tout genre encourageant la délinquance. Dans un tel contexte, l’individu effectue un calcul rationnel, celui d’utiliser des moyens illicites pour obtenir un gain en évaluant une prise de risques. En somme une délinquance expliquée conformément au modèle de l’Homo œconomicus mais sur le mode d’une déviance, celle-ci étant en germe dans un système culturel.
La seconde approche possible tendrait à montrer que la délinquance des jeunes Kanak résulte de difficultés dans le rapport des tribus à la société globale. Ce rapport étant un rapport de domination qui se traduit en premier lieu par une inégalité de principe sur le plan du niveau de vie au regard des standards des sociétés modernes (taux de chômage, niveau d’éducation, équipements en biens et services, etc.). C’est une domination qui par ailleurs exerce une pression assimilatrice sur l’organisation sociale coutumière en proie à des états d’anomie (perte de normes sociales), à une érosion des mécanismes de contrôle social et de contrôle de la déviance, à une crise multiforme de l’identité, à des dysfonctionnements dans la transmission… On peut ainsi avancer que le thème de la domination met en évidence un sentiment vécu d’inégalité dans un contexte de désorganisation sociale et que la délinquance n’est qu’une réponse sociale à un défaut d’ajustement entre dominants et dominés. Notre sensibilité va à cette approche, à ceci près que nous ne faisons pas des dominés de pures victimes considérant que leur domination est la condition même de leur émancipation et de leur devenir.
source : Umberto Cugola, “Malaise dans la colonisation. Pour une clinique de la délinquance juvénile en pays kanak”, Journal de la Société des Océanistes [Online], 144-145 | 2017, Online since 15 December 2019, connection on 04 September 2024. URL: http://journals.openedition.org/jso/7724; DOI: https://doi.org/10.4000/jso.7724












Laisser un commentaire