Le voyage d’un président

Il est venu alors même que personne ne l’attendait. 

Un Président de la République qui se déplace alors que la situation dans le pays est gravissime, ce n’était pas rien. Aussi, beaucoup se sont mis à espérer de sa part une parole forte et une batterie de mesures pour apaiser les tensions sans délai. En vérité, il faut bien le reconnaître, ils n’ont eu ni l’une ni l’autre.

Le Président a bien rencontré quelques-uns des dirigeants politiques du pays en trois sessions (Calédonie Ensemble, puis les Loyalistes, puis les Indépendantistes). Il a bien discuté avec des acteurs économiques ainsi qu’avec des représentants de la jeunesse – dont on ne sait pas très bien comment ils ont été sélectionnés. En revanche, il n’a pas réussi à débattre avec le Sénat coutumier. 

Néanmoins, le Président a dit que les discussions avaient avancé même s’il n’avait pu réunir tout le monde à la même table, qu’il se donnait quelques semaines avant une reprise du dialogue, mais il a aussi affirmé qu’il n’y aurait pas de marche-arrière, qu’il ne pouvait pas y en avoir parce qu’on ne cédait pas à la violence et qu’on ne revenait pas sur le suffrage populaire. 

Qu’y a-t-il à comprendre ? Un délai d’un mois pour “dialoguer » n’a guère de sens quand le grand Nouméa brûle et qu’en France la possibilité d’obtenir pour la réforme du code électoral un vote à la majorité des 3/5ème au Congrès de Versailles est morte. Et un délai d’un mois pour “dialoguer » a encore moins de sens quand, à l’évidence, on n’entend pas revenir sur les multiples erreurs accumulées par son gouvernement depuis plusieurs années et changer de méthode. 

Sa venue aurait sans doute eu plus de sens si à l’issue de son séjour – quitte à rester quelques heures de plus dans le pays – il avait été capable, grâce à sa force de persuasion et à des décisions claires, d’obtenir la tenue d’une réunion commune. Mais il est reparti aussi vite qu’il était venu en se rendant compte que c’était à ce stade impossible. De ce point de vue, il faut reconnaître que son déplacement est un échec.

En repartant, il a bien laissé derrière lui trois fonctionnaires pour aider à renouer les fils de la négociation politique, parallèlement au processus de reconstruction économique. L’envoi d’une mission de dialogue était demandé par une majorité au pays dont le FLNKS mais pas seulement et nombreux étaient les partisans du Président à la réclamer aussi. Mieux vaut tard que jamais. Néanmoins, cette mission aurait eu, là encore, plus de sens si elle était d’un haut niveau. On sait par exemple qu’Edouard Philippe et Manuel Valls étaient prêts à venir ainsi que de nombreux parlementaires de toutes les tendances dont certains connaissent bien le dossier calédonien. Mais le Président ne l’a pas voulu. 

En vérité, une mission de médiation et de reconstruction composée de trois haut-fonctionnaires (dont un des rédacteurs du “Document Martyr”) n’apparaît adaptée à la situation critique qui est la nôtre aujourd’hui ni dans son format, ni dans son contenu.

Et puis, il y a les problèmes de fond

Annoncer des mesures de soutien économique et financier est indispensable. L’économie calédonienne va avoir bien du mal à se remettre du séisme. Et mettre en place des mesures “d’exception” pour permettre la reconstruction des écoles détruites, des entreprises, des bâtiments de l’État et des collectivités relève de l’urgence.

Mais repartir en négociation avec les forces politiques qui ont amené à la crise actuelle ne laisse pas d’interroger. Comment résoudre une crise avec ceux-là mêmes qui sont à son origine ? Et avec un Etat qui pense qu’il décolonise sans l’adhésion du peuple colonisé ?

Et la jeunesse ?

Le Président a dit avoir été frappé par le découragement des jeunes et leur besoin d’avoir une vision commune d’avenir. Qui dira le contraire ? Mais que serons-nous capables de faire demain pour cette partie des jeunes qui aujourd’hui incendient et pillent entreprises et magasins ? Pour bon nombre de ces jeunes, ils ne sont pas simplement découragés mais profondément désespérés et laissés pour compte. Le miroir grimaçant qu’ils nous tendent reflète une image bien dérangeante de notre société en manque d’exemplarité, d’une part, et d’autorité morale, d’autre part. 

Le Président a parlé d’une violence inédite et insoupçonnable alors même que cette violence n’est malheureusement que par trop identifiable. C’est celle – absurde, aveugle et à bien des égards suicidaire – de la jeunesse des banlieues qui s’embrase face aux inégalités et aux discriminations. A ce titre, la classe politique calédonienne porte une immense responsabilité collective : cette jeunesse a été sacrifiée sur l’autel des calculs électoraux, des petits arrangements entre amis et du manque de courage politique.

Pour l’instant, la seule lumière qui semble devoir éclairer le pays meurtri vient de la brousse. Là des élus de proximité, des militants des barrages, des coutumiers, des citoyens calédoniens de toute origine et de toute opinion se rencontrent, se parlent, et témoignent de leur volonté de dialogue et de construction d’un destin commun. 

Il faut les mettre en avant, tout faire pour que d’autres s’inspirent de leur exemple et que se multiplient de telles initiatives collectives. Un mouvement s’esquisse ici gros d’espérance, qui peut susciter des prises de position déterminantes pour l’avenir, mais cela ne doit pas exonérer l’Etat de sa responsabilité première. Pour ce faire, il convient que le chef de l’Etat reconnaisse qu’il s’est trompé, qu’il mette en pratique l’humilité dont il parle si souvent. Qu’il fasse preuve de courage politique.

Pour reconstruire le lien social durement éprouvé, il va falloir des femmes et des hommes qui veulent vivre ensemble et qui pour cela soient prêts, vraiment prêts, à œuvrer non seulement à la réparation des injustices du passé et des fautes du présent, mais encore à se donner un futur. 

Il va falloir aussi un Etat qui assume à nouveau sa responsabilité historique et revienne aux fondamentaux des accords politiques dont il était le garant. Décolonisation, rééquilibrage socio-économique, développement, édification d’une communauté de destin et élaboration de solutions démocratiques originales ne peuvent ni ne doivent jamais être dissociés. Nous l’avons dit, redit et répété encore, par l’Etat moins que par quiconque.

Cercle du Croissant 26 mai 2024

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