Violences en Kanaky-Nouvelle-Calédonie : a-t-on affaire aux pompiers ou aux pyromanes ?

Les récentes violences à Nouméa, dont témoignent les images qui circulent sur les réseaux sociaux, sont aussi du fait d’une force coloniale qui s’empresse d’asseoir son assise. Il n’est pas question ici de légitimer les violences mais d’inscrire ces violences dans un contexte politique et social qui est pesant en soi.

Les actes de délinquance quels qu’ils soient sont déplorables et ceux envers des enseignes commerciales font que les images impressionnent. On ose croire cependant que les violences institutionnelles ont plus d’impacts sur nos vies comme le trou dans la sécurité sociale. On regrette aussi que ces actes de délinquance donnent de l’eau au moulin d’une fachosphère qui doit bien se rincer l’oeil. Et, quand les droits du peuple premier sont à ce point bafoués et que le pouvoir ne respecte sa parole ni envers les Kanaks, ni envers les hexagonaux, cela montre une démocratie viciée par des rapports de pouvoirs se souciant guère du bien-être des basses couches sociales et des minorités, à l’image de mains et d’œils arrachés qu’on a pu observer en France lors de manifestations de gilets jaunes qui ont dénoncé la casse sociale menée par la Macronie. En cela, les mêmes causes produisent les mêmes effets mais ce pouvoir, qui mène envers et contre tout des politiques impopulaires et avilissantes, ne tire aucune leçon des troubles qu’il provoque.

Parallèlement, une partie de la droite dure coloniale de l’archipel provoque des échauffourées. Vu que certains légitiment leur mandat en jetant de l’huile sur le feu d’un climat de poudrière sociale, sans jamais évoquer les inégalités que certains d’entre eux ont contribué à creuser en trente ans à la tête du pays. À croire qu’ils reposent leurs lauriers sur le fait d’incarner les chiens de gardes du pouvoir. Ils vantent alors la vision angélique d’une Marianne qui, pour la petite anecdote, a penché plusieurs fois en leurs faveurs, histoire pour une partie d’entre eux d’éviter la case prison. Quand bien même ils incarnent les apôtres de la défaite de la pensée par une communication alarmante teintée d’amalgames et de haine de l’autre, à peine voilée, tant des leaders politiques loyalistes ont du mal à sortir de leur mentalité d’afrikaner.

Autrement dit, ce n’est pas avec eux qu’on va être en mesure de penser le pays en termes d’épanouissement social et culturel, vu qu’en trente ans d’existence politique, les leaders politiques loyalistes n’ont pas su ne serait-ce que dessiner une esquisse de projet politique sur les murs de leur raison caverneuse. C’est dire l’amateurisme qui les caractérise, car le fait de ne pas avoir su porter de projet politique non pas en 2 ans ou en 6 ans, mais en 30 ans résonne comme un aveu de faiblesse intellectuelle, sachant que l’essence même d’un parti politique consiste à porter une vision qui est matérialisée par un projet politique. Aà l’image de l’extrême droite française, les loyalistes n’ont pas réelle vocation à exercer le pouvoir. Hormis que, dans le cas de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, les loyalistes l’ont exercé pendant 30 ans avec un bilan plus que déplorable. C’est dire si la droite dure, coloniale, loyaliste s’est suffit à prôner la grandeur de la France via le racisme qui les anime tout en décrédibilisant le peuple premier comme quoi l’indépendance constituerait un retour à l’âge de pierre.

Les indépendantistes, eux, butent en blanc face à une Marianne qui entend remettre un coup de peinture blanche sur l’électorat de cette île, en dégelant le corps électoral, histoire d’assurer ses arrières. Le dégel électoral étant vu comme un processus de recolonisation qui fait froid dans le dos pour les indépendantistes. Et, ce n’est pas la récente militarisation de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie qui leur feront croire le contraire. Si bien que cette militarisation pose la question de la forme que prendra le dialogue républicain dans les prochaines années. Quand on connaît la capacité de la France à gérer ses territoires d’outre-mers, à l’image des banlieues françaises où la métropole répond aux besoins de services publics de ces territoires par la répression. Sans évoquer le fait que les ressources minières de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, comme d’autres territoires d’outre-mers et anciennes colonies, font office d’aubaines pour un hexagone qui manque cruellement de matières premières.

Toujours est-il que la question du dégel électoral entretient une fracture sociale et politique en jouant avec les nerfs d’un électorat insulaire qui a eu à peine le temps de souffler suite à une série référendaire sur l’accès ou non à l’indépendance, lourde de sens. Et, si le dialogue est de mise, c’est bien parce que des décisions concernant l’île sont prises à Paris sans grandes consultations des parties insulaires concernées. Dans ces conditions, difficile d’envisager un vivre-ensemble qui, en l’état actuel des choses, n’est pas serein.

Illustrant le fait que la question du dégel survient avec insistance au moment où le peuple premier est historiquement arrivé au pouvoir du gouvernement néo-calédonien et ayant acquis un sénateur, les indépendantistes font une percée en plein bastion loyaliste. À savoir que rebattre les cartes électorales au moment où les indépendantistes sont en pleine ascension paraît arbitraire et anti-démocratique. Anti-démocratique dans le sens que le gel du corps électoral est assuré par l’Accord de Nouméa qui est inscrit dans la constitution. Donc, remettre en cause ce gel électoral reviendrait à changer la constitution en crachant à la figure de la paix sociale acquise depuis 30 ans et permise par l’Accord de Nouméa.

Pourtant rien n’y fait : le passage en force du dégel par le pouvoir français entend balayer du revers de la main la cause indépendantiste. Pour autant, cette cause reste galvanisée par la dignité de sa lutte, ce genre de dignité coriace qui ne perd pas son souffle et encore moins son sourire. Il faut comprendre que, par ce dégel, les indépendantistes risquent d’être les personnages secondaires voire tertiaires de la scène politique locale. Eux qui ont déjà eu du mal à atteindre le devant de cette scène face à une force coloniale qui use de stratagèmes soi-disant démocratiques pour maintenir son influence, en renouvelant sa domination par le dégel électoral. Et, si les questions identitaires en Kanaky-Nouvelle-Calédonie ont tendance à s’apparenter à un dialogue de sourd c’est bien parce que ce débat identitaire est faussé dans la mesure où l’identité française a du mal à réaliser qu’elle a étouffé et continue d’étouffer son homologue kanake. En cela, l’identité kanake reste en proie à un désamour national du simple fait que les douleurs historiques du peuple kanak viennent contredire une perception de la France, en blanche colombe, douleurs historiques du peuple kanak exponentielles dues à l’indifférence envers celui-ci gravée dans le marbre de statues lui rappelant sa place établie lors du temps (long) colonial. Au même titre que les autres ressortissants d’outre-mer et ceux dont les origines sont issues des anciennes colonies. La reconnaissance n’étant pas le point fort d’une force coloniale française qui instrumentalise la diversité pour équilibrer son discours politique dont on perçoit ici les limites par ce dégel qui entend tordre le cou aux oppositions politiques insulaires.

La question du dégel nous montre l’importance d’une parole donnée qui doit être respectée. En cela, l’État français doit être garant de sa parole pour être garant de la paix. Or, par le dégel électoral, les indépendantistes nagent en eaux troubles et ne savent plus très bien à qui ils s’adressent. Est-ce qu’ils ont affaire au pays des droits de l’homme ou à la puissance coloniale ? Est-ce qu’ils ont affaire au pompier ou au pyromane ? La question ne laisse pourtant plus place aux doutes quand, par la force des choses, à l’autre bout de cette île du Pacifique, des décisions la concernant sont prises à Paris par une force coloniale qui souffle sur nos morts pour laisser place au mensonge. Dit-on qu’il ne peut y avoir de paix sans justice et de justice sans paix, forcé de constater qu’en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, la France par le dégel n’apporte ni l’un ni l’autre ? De plus, on a tendance à croire, à l’image du conflit israélo-palestinien, que ce n’est pas en écrasant un autre peuple qu’on se révèle en tant que peuple à part entière. Jusqu’à preuve du contraire l’injustice et la répression n’ont jamais honoré aucun empire, ni aucun peuple. Ceci dit les Néo-calédoniens savent à quel prix s’est installée cette paix si précieuse en leurs cœurs. Et, face à des leaders politiques loyalistes irresponsables qui ne représentent pas forcément la majorité des Néo-calédoniens à l’image des macronistes, ceux-là qui attisent la haine pour exister politiquement, eh bien ! à ceux-là on les invitent à être attentifs à une réponse qui se fera prochainement et pacifiquement dans les urnes. En misant sur ce que Jean Marie Tjibaou a insufflé en parlant de « pari de l’intelligence ». De cette forme d’intelligence qui consiste avant-tout à comprendre les douleurs de son voisin pour avancer ensemble.

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