Un hussard à la peau noire et au masque blanc

Il n’a échappé à personne la leçon de morale magistrale donnée par un professeur de collège, sur l’île de Lifou. La vidéo aurait pu passer inaperçue dans le méandre des réseaux sociaux. Toutefois grâce à l’aide d’un élu calédonien, fervent défenseur de la démocratie, bien que déchu par cette dernière, celle-ci a pu être relayée et mise en avant. En effet, l’ancien maire de la commune de Païta, Monsieur Willy Gatuhau, a plébiscité la vidéo en question sur les ondes de RRB.

Mais que dit au juste cette vidéo ?

Dans cette vidéo on y voit un professeur qui nous explique avoir dû reprendre un de ses élèves qui chantonnait un morceau de Kaneka, bien connu des marches de mobilisation. Les mobilisations actuelles sont portées par les indépendantistes pour s’opposer au projet de loi constitutionnelle, statuant sur le dégel du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. L’enseignant nous raconte qu’il s’est permis de revenir sur cet incident à la fin de son cours. Dès lors, le professeur rappelle à cet élève qu’il existe des obligations en termes de règles de conduite au sein de l’établissement. Selon l’enseignant, ce dernier aurait rétorqué pour justifier son comportement par l’atmosphère de ferveur qui entoure les marches de mobilisations indépendantistes. Toujours selon les dires de l’enseignant, l’élève aurait prononcé les slogans scandés durant les manifestations : « Kanaky indépendance ! A bas la France ! Tous les français dehors ! etc. ». Face à cette déclaration, le professeur nous explique avoir ressenti le besoin de « leur parler ». Devant une telle bienveillance apparente de l’enseignant, on s’imagine qu’il va, toute raison garder, en rester là avec un simple rappel au règlement. Malheureusement ce ne sera pas le cas. L’enseignant décide de manière délibérée de quitter son rôle, pour s’adonner à un discours moralisateur. C’est un discours qui puisse sa substance dans les passions, empreint de raccourcis et de stéréotypes, où les assignations envers la jeunesse kanak sont nombreuses. Ainsi, il est important ici d’analyser les propos tenus par l’enseignant, afin d’entrevoir tout l’imaginaire colonial et toute la violence qui découle d’un tel discours. De ce fait, mon propos s’articulera en trois axes.

Premièrement, le professeur nous dit sous couvert de bienveillance et d’un fond musical attendrissant, que tout ce qui a attrait aux revendications politiques indépendantistes ne concerne pas notre jeunesse. La priorité pour l’élève serait uniquement de réussir sa scolarité. Faut-il rappeler que dans l’histoire l’implication de la jeunesse dans les revendications de nature politique fût non négligeable, et permit d’obtenir des acquis en termes de droits et de libertés dont nous jouissons aujourd’hui ? Faut-il rappeler que la jeunesse de mai 68 a répandu des posters dans les rues de Paris où il était inscrit « Sois jeune et tais-toi », afin de dénoncer la répression faite par le gouvernement à leur encontre ? Faut-il rappeler le jeune âge de certains militants des « Foulards Rouges » à peine âgés de 14 ans ? Enfin, le rôle d’un professeur n’est-il pas d’enseigner l’esprit critique afin que ces jeunes puissent exercer leur libre arbitre et faire leur propre choix ? Ainsi l’affirmation formulée par l’enseignant selon laquelle les sujets aux enjeux politiques ne les concernent pas est la première d’une longue liste d’assignations faites à la jeunesse kanak, en d’autres termes « sois jeune et tais-toi ».

Deuxièmement, l’enseignant souligne que l’engagement politique de la jeunesse kanak n’est pas une priorité compte tenu de l’échec scolaire dont souffre cette jeunesse. Le professeur affirme sans détour que la jeunesse kanak, qui se mobilise lors des manifestations, ne fournit pas assez d’effort pour trouver le chemin de la réussite. De ce postulat, l’enseignant souligne les mauvais résultats de l’élève réprimandé et le ramène à toute une jeunesse kanak nécessairement en échec scolaire. Je cite « aux vues de vos résultats vous terminerez à la rue ». Devant de tels propos, il est légitime de se poser la question suivante : Est-ce raisonnable de la part du ministère de l’éducation nationale d’avoir de telles attentes envers cette jeunesse Kanak ? Lorsque l’on sait que la majorité d’entre eux navigue entre les attentes d’une société traditionnelle et des références culturelles qui sont à mille lieux de la petite Mathilde qui a fait son collège à Baudoux et son lycée au Lapérouse, ou encore de celui du petit Paul Émile scolarisé dans le 5ème arrondissement de Paris au sein du prestigieux lycée Louis-le-Grand. Derrière un tel discours, l’enseignant s’érige comme le porte étendard d’un système scolaire qui promeut une méritocratie utopique. Dans cette même perspective, l’enseignant va s’atteler à stigmatiser une jeunesse kanak qui reste en tribu et qui se mobilise durant les manifestations politiques récentes. Je cite « ils ne sont pas aller très loin, ça ne sert à rien de crier Kanaky si vous n’avez pas réussi dans la vie ». Selon le professeur, les études sont considérées comme étant la seule et unique voie vers la réussite. L’enseignant assigne donc la jeunesse kanak à ce seul modèle de réussite qu’est l’école. Cependant, étant lui-même issu du monde kanak, ne devrait-il pas se poser la question du rôle social que jouent ces jeunes qui ont fait le choix de vivre au sein de leur tribu ? Ces jeunes kanak ne sont-ils pas les gardiens de savoirs-faire qui mériteraient d’être transmis et d’être préservés ? Ces mêmes jeunes en tribu ne sont-ils pas la clé de voûte d’une société kanak dans laquelle les Hommes et les clans sont interdépendants ? La jeunesse kanak restée en tribu ne joue-t-elle pas un rôle important dans la tenue des travaux coutumiers ? Enfin, n’existe-t-il vraiment pas d’autres manières de penser la réussite au-delà de l’école que la société kanak valoriserait ?

Troisièmement, après avoir formulé diverses assignations envers la jeunesse kanak, le professeur va s’adonner à des raccourcis intellectuels grossiers. D’une part, si l’on se fie aux propos de l’enseignant, le discours indépendantiste se résume à mettre des gens dehors. Il n’est nullement fait mention par l’enseignant de la volonté du peuple kanak de contrôler les flux migratoires, afin d’éviter les conséquences de la colonie de peuplement, dans le cadre du processus de décolonisation amorcé depuis les accords. On peut légitimement se demander la raison de tels manquements ? D’autre part, le professeur va faire le raccourci selon lequel l’immigration en Nouvelle-Calédonie apporte uniquement des personnes hautement compétentes et qualifiées. Je cite « de vouloir chasser des gens qui sont qualifiés et diplômés pour au final demain, on va se retrouver entre nous sans diplôme ». Peut-on à la fois poser le postulat à l’heure actuelle qu’il y a uniquement une immigration de personnes « compétentes et qualifiées » en Nouvelle-Calédonie ? Aujourd’hui, peut-on affirmer de manière catégorique qu’il n’y a pas une jeunesse kanak diplômée et qualifiée ou alors en poursuite d’études ? En effet, l’enseignant parle d’une jeunesse kanak au singulier, lorsque l’on sait qu’il y a des jeunesses kanak au pluriel. Aux yeux de l’enseignant, le comportement d’une partie de la jeunesse kanak justifie l’assignation de l’ensemble de la jeunesse kanak, dans son entièreté et sa multitude à ce qu’elle a de moins reluisant à offrir.

Ainsi, les propos tenus par l’enseignant nous offre un support assez représentatif du discours colonial et assimilationniste reformulé par le colonisé lui-même. Il ne sait pas rendu compte que de tels propos comme « aux vues de vos résultats vous terminerez à la rue » est une énième violence exercée par l’école sur cette jeunesse suffisamment stigmatisée. Si le sociologue français Pierre Bourdieu parle de l’école comme un instrument de reproduction sociale, au regard des valeurs bourgeoises que l’institution véhicule, vous imaginez bien que la jeunesse kanak est à mille lieux de ces valeurs bourgeoises, tout comme un fils d’ouvrier prolétaire peut l’être, si ce n’est pas plus. Pour reprendre les propos de Frantz Fanon, psychiatre et intellectuel noir de la décolonisation, dans son ouvrage « les Damnés de la terre », paru en novembre 1961, notre cher enseignant serait cet être colonisé et aliéné qui a fait le choix conscient ou inconscient d’accepter dans ce qu’il y a de plus profond en lui, son infériorité vis-à-vis du colonisateur. De plus, les écrits de l’auteur guyanais Léon-Gontran Damas, précurseur du mouvement intellectuel de la négritude aux cotés de Léopold Sédar Senghor, et Aimé Césaire, s’avèrent être une aide dans la compréhension d’un tel discours. En effet, dans le cadre de la loi de départementalisation de 1946, Léon-Gontran Damas souligne la présence du terme « assimilation » dans le titre de la loi en question. À ce sujet Léon-Gontran Damas définit deux types d’agents d’assimilation. D’une part, nous avons un agent actif, bien souvent le colonisateur, qui par ses actions et par son discours façonne et propage l’idéologie coloniale. D’autre part, nous avons un agent passif, bien souvent le colonisé lui-même, qui accueille et se soumet à cette idéologie coloniale. Dès lors, on peut analyser que par la nature même de sa profession, l’enseignant d’origine kanak se révèle être un point de bascule. Par conséquent, dans la continuité de l’analyse de l’auteur, on peut affirmer que cet enseignant kanak est passé du statut d’agent passif à celui d’agent actif dans l’assimilation de l’idéologie coloniale.

Christian Qathë Fizin.

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