Le sauvage n’est pas celui que l’on croit

Dans un système capitaliste et coloniale qui se nourrit des inégalités qu’il engendre, les sauvages doivent montrer qu’ils sont capables. Capables de plaire à leur bourreau qui jadis les ont expropriés pour saigner la terre qui les a vu naître sous couvert de progrès. Mais, quand les sauvages appellent à la réconciliation, leur bourreau voit d’un mauvais œil un devoir de mémoire qui rappelle quand bien même succinctement que le sang des ancêtres des sauvages tâchent le beau tablier des bourreaux. Si ce n’est que le sang des tirailleurs sénégalais et du bataillon du Pacifique, et bien d’autres encore, leur ont permis de garder leur beau tablier. Rien n’y fait, les bouchers qui ont écrit l’histoire se sont gardés le bon rôle. Ils se gargarisent désormais de leurs grands airs, aux allures de fanfaronnade idéologique comme sursaut d’orgueil en plaçant l’histoire avec un grand H, autour des seules guerres mondiales et en occultant tout ce que l’empire colonial a pu entreprendre de sanguinaire. Alors, quand le sauvage a l’audace de re-situer son identité et ses douleurs historiques dans le paysage social et politique national, quand on ne l’a pas invité à le faire, le bourreau lui fait remarquer que grâce à la civilisation occidentale, il existe en tant qu’individu à part entière. S’il était resté dans son obscurantisme, il demeurerait à nu, sans grandes perspectives propres si ce n’est qu’il serait voué, pour une partie d’entre eux, à être vendu comme de la chair à pâtée, ou serait en train de faire la guerre entre tribus avec des arcs et flèches.

Par ce procédé, le bourreau tente par un élan paternaliste d’acheter « moralement » la servitude du sauvage qui, a priori, ne serait pas encore en mesure de savoir ce qui est bon pour lui. Notamment par un mensonge colonial qui consiste à croire que l’intégration dépend du bon vouloir du barbare à savoir que le cadre institutionnel émanant de la force coloniale serait neutre, voire enclin à son ascension sociale. Et que les partisans de la force coloniale qui travaillent dans ces institutions sont disposés, bien volontiers, à dérouler le tapis rouge aux sauvages qui, tapis dans l’ombre de la modernité, sont encore hésitants.

Or, il n’en est rien car la baisse des services publics laisse les plus modestes d’entre nous, bien souvent racisés, à leur propre sort. Ce mensonge vante un commun fabriqué de toute pièce comme un mirage de vivre-ensemble. Là où tout nous porte à croire que le commun n’est pas et ne sera pas à l’ordre du jour, dans une société capitaliste et coloniale qui a la caractéristique de prospérer comme statu quo. J’en prends pour preuve que quand les bouchers parlent d’égalité, de droits et de justice, les sauvages y voient la répression et l’oppression d’une justice coloniale et de classe. Sans évoquer un ethno-nationalisme français qui ne cesse de les avoir dans le collimateur politico-médiatique aux premiers faits divers, en remettant une couche d’amalgames pour tenter de rendre légitime leur haine de l’autre.

Face à ce constat, les bouchers tentent de rappeler aux sauvages épris de justice et d’égalité leur place originelle : celle qui s’inscrit avant tout dans un (long) temps colonial. Notamment en incitant le sauvage à boire le sang de ses ancêtres dans la coupelle de l’évangélisation pour mieux cracher sur leurs traditions pour le compte d’une modernité qui leur promet maintes merveilles. Pour le résumer de manière caricaturale, c’est ce que l’on appelle l’intégration, ce que désormais les bouchers ne peuvent imposer par les canons. Vu que les barbares vivant sur leur sol ont acquis des droits qui restent ô combien fragiles, ces droits acquis par les sauvages étant constamment remis en cause par la puissance coloniale et ses partisans. Sans parler du fait que l’intégration est instrumentalisée par des représentants politiques qui insistent sur le fait que les barbares ne sont pas intégrés, afin de faire diversion des vrais problèmes comme des d’affaires de corruption, de détournement de fonds publics et autres conflits d’intérêts qui touchent la classe politique française que certains qualifient dorénavant de Mafia d’État. Avec l’affaire du Fond Marianne qui incarne la figure de proue de ce genre d’instrumentation en toile de fond.

La raison pour laquelle le narratif consistant à croire que les sauvages ne sont pas (encore) prêts à disposer d’eux-mêmes perdure est que cela permet d’assurer les privilèges et polir la place centrale de la force coloniale. À savoir que le colonisateur ne peut ni ne doit donner des outils d’émancipation au colonisé. Il feint de le faire afin de vendre son discours humaniste pour que le sauvage accepte sa condition, si ce n’est tente de se surpasser. Mais quand celui-ci se surpasse un peu trop, le maître lui rappel son rang. Aussi, s’il veut se faire accepter, il doit tenir le même discours que le maître pour éviter que le reste des barbares se découvrent et renversent l’ordre établi. Une liberté d’obéir qui est vendue aux sauvages et aux minorités comme apothéose civilisationnelle et existentielle. Face à un suprémacisme qui se pavane en son lieu pour parader son discours paternaliste rétrograde et anachronique.

impression écran vidéo Yvanna Doï

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