Parmi tous les symptômes ou indices qui permettent de déceler la persistance d’une mentalité coloniale chez un interlocuteur, il y a le fait que, face à vous, celui-ci s’arroge toujours le droit de formuler les questions et les réponses, d’énoncer les problèmes et les solutions, de décréter d’autorité ce qu’est le vrai, le juste, le bien, le bon, le beau…
Il ne faut pas s’y tromper.
Le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mers n’est pas un OVNI. Il a eu un prédécesseur qui est aujourd’hui ministre des Armées dans le même gouvernement, sous la Présidence du même chef de l’Etat. Et il n’est pas nécessaire d’être un grand analyste politique pour comprendre que la majorité des sénateurs et des députés français partagent aujourd’hui la même position que le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mers sur la question du dégel du corps électoral calédonien.
Le compte à rebours est enclenché
Que les Calédoniens se remettent très vite autour de la table de négociations et, s’il advenait qu’avant la date des élections provinciales prévues à la fin de cette année 2024 une solution globale soit trouvée entre non indépendantistes et indépendantistes, alors le dégel du corps électoral serait suspendu.
Oui, il importe de ne pas se tromper.
C’est encore le colonisateur qui s’octroie aujourd’hui le pouvoir – plus que le droit, les mots ont un sens – de déterminer à travers la définition du corps électoral le poids que doit absolument continuer d’avoir une colonisation de peuplement qui a rendu les Kanak minoritaires dans leur propre pays.
C’est encore et toujours le colonisateur qui entend faire la leçon et expliquer aux colonisés, qui n’ont pas toujours le sens des réalités, ce que sont vraiment les « ombres » et les « lumières » de la colonisation.
C’est le colonisateur qui doit conserver le privilège d’édicter le meilleur et le raisonnable pour le pays qu’il a colonisé :
- le dégel du corps électoral plutôt que la décolonisation,
- le droit d’une poignée de ses ressortissants venus d’au-delà des mers plutôt que celui de tout un peuple autochtone,
- les formes extérieures de la démocratie plutôt que son esprit,
- la tutelle plutôt que le partenariat,
- la force injuste de la loi plutôt que la justice.
Du dialogue au monologue !
Avec les Accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa, un processus concerté et progressif de décolonisation a été enclenché, mais aujourd’hui c’est bien l’Etat français, qui en était le garant, qui au nom de ses intérêts souverains et de l’axe indo-pacifique prétend y mettre fin et relancer la colonisation, transformer à nouveau le dialogue en monologue…
C’est bien l’Etat Français qui veut imposer à nouveau sa tutelle et, dans ses appels pressants à un accord global comme dans son projet de dégel du corps électoral, fait tout pour enfermer les gens du pays dans une aporie : construire un consensus démocratique et au-delà une communauté de destin en faisant jouer une partie de la population – les calédoniens non indépendantistes – contre l’autre – les Kanak et leur droit inné à l’autodétermination – et tout cela pour le plus grand profit de l’Etat Français, c’est du moins ce qu’il pense.
La négociation que propose le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer n’est pas seulement un leurre. C’est, tout comme le dégel annoncé du corps électoral, un piège mortifère.
Sortir le pays et tous ses habitants de la dépendance coloniale
Il importe de ne pas s’y laisser prendre et de rappeler à l’Etat français qu’il n’y aura pas d’avenir apaisé en Nouvelle-Calédonie sans que celui-ci assume enfin ses responsabilités et sorte le pays et ses habitants, tous ses habitants, de sa dépendance coloniale.
Cercle du croissant – 30 avril 2024












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