Tous vibraient de la même force, de la même conviction

En juillet 1995, pour la revue Journal de la société des Océanistes, Marie-Claude Tjibaou apporte un témoignage, aujourd’hui historique, sur la création de Melanésia 2000 et du Centre Culturel Tjibaou. Propos recueilli par Jean-Pierre Velot.

Un projet porté par les femmes

Melanesia 2000 est une opération de prise en compte de l’existence d’une culture par une société. Elle a été soutenue, portée, par l’association que présidait à l’époque grand-mère Scolastique Pidjot. Cette association s’appelle le Mouvement Féminin vers un Souriant Village Mélanésien. Cela veut dire que les femmes prennent conscience que dans nos tribus ce n’est pas toujours très propre, que nos hommes boivent, qu’il n’y a pas beaucoup d’hygiène et qu’il y a nécessité de s’organiser en groupe de femmes pour combattre ces fléaux et en même temps pour prendre en compte l’existence d’une culture.

Les femmes sont porteuses de vie ; il faut qu’elles fassent attention à la vie, aux hommes, aux femmes, aux enfants qu’elles mettent au monde et par voie de conséquence, elles ont porté le projet de Melanesia 2000.

Ce Mouvement a été créé en 1971. Melanesia 2000, c’est en 1975. De 1971 à 1973, les femmes se sont surtout organisées au niveau du Territoire, des Iles, de la Grande-Terre. Les femmes du Mouvement se sont retrouvées dans des groupes, à travers des manifestations pour lutter, en premier, à l’époque, contre l’alcoolisme et pour la propreté des villages.

Ensuite, le projet de la réalisation du Festival est venu et parce qu’elles étaient dynamiques et bien structurées, Jean- Marie Tjibaou les a mises dans le coup.

Quand je repense au jeu scénique, les femmes sont présentes, elles y sont à l’échelle du Territoire à travers les délégations qui sont venues. Tout le Territoire était représenté, toutes les différentes aires culturelles étaient représentées, et chacun de nos groupes de femmes s’est trouvé confondu dans les différentes délégations.

Elles ont été avec les coutumiers la dynamique qui a permis la réussite, l’explosion de ce festival de la culture kanak.

Ce que je veux dire, c’est que les hommes parlent, disent, font les réunions et après, les femmes, elles, elles font, c’est elles qui réalisent. On les a retrouvées à tous les niveaux dans la réalisation du festival.

Les hommes vont parler sur la coutume, et c’est les femmes qui font les nattes, c’est elles qui vont faire la nourriture, chacun a sa fonction bien précise.

A l’époque de Melanesia 2000, les femmes ont été les premières dans le coup. Elles nous ont entraînés. Aussi loin que je me souvienne, il n’y avait que des femmes dans nos réunions, après, il y eut quelques hommes.

Quand cela a été plus structuré, il y a eu les chemins coutumiers à respecter, on a irrigué tout le Territoire avec tous les hommes qu’il fallait pour faire les démarches nécessaires.

Il y a eu ces démarches mais les femmes étaient déjà structurées en association. Quand la parole est arrivée chez les coutumiers, nos femmes étaient prêtes. Elles ont devancé. Elles attendaient un agrément, mais ce n’est pas le mot exact, elles attendaient qu’on leur dise « Ça y est, vous pouvez aller ». Alors, c’est toute la structure qui s’est mise en route.

Un peuple qui vit, qui vibre

Avec le recul, je me dis que c’est extraordinaire le travail qui a été fait avec le peu de moyens que l’on avait. A partir du moment où quelqu’un reçoit une information, s’approprie cette information, de lui-même il organise sa famille, son clan, sa tribu pour que tout le monde devienne porteur et que tout soit prêt au jour J.

Aujourd’hui, la communication est beaucoup plus rapide, on a des fax, on fait des réunions à tout bout de champ, alors qu’à l’époque, on n’a pas fait autant de réunions, les routes étaient des pistes, il y avait les bacs… On ne s’est pas répété, les gens savaient ce qu’il fallait faire.

C’est extraordinaire la mobilisation qui a été faite à partir de cet événement.

C’est bizarre, moi-même je ne mesure pas tout à fait ce qui s’est passé.

J’étais dedans, emportée par un élan.

Le jour de l’accueil des coutumiers, j’avais demandé à la maman de Linda (Linda jouait le rôle de Kapo dans le jeu scénique), de me préparer des sacs de noix de bancoule pour les griller afin de maquiller les acteurs et je n’ai jamais pu arriver sur le site car il y avait beaucoup, beaucoup de monde ; c’est là que j’ai mesuré que, comme pour un événement coutumier, tout le monde est arrivé ce jour-là pour la grande cérémonie coutumière. Je n’avais pas réalisé qu’il y aurait autant de monde, pourtant on avait aménagé les espaces mais de là à ce qu’il y ait autant de monde…

C’est la première fois que je voyais autant de Kanak réunis à Nouméa pour la même chose. Tous vibraient de la même force, de la même conviction.

Je faisais partie des gens qui dansaient dans le jeu scénique avec une petite jupe, à demi-nue mais ce n’était pas un problème, parce que portée par je ne sais quoi – C’est extraordinaire, la mobilisation, l’engagement, la conviction… – par un raz de marée et chacun savait ce qu’il avait à faire. Les rôles étaient bien répartis. Ça s’est déroulé vraiment bien. Une manifestation comme çà sur une semaine, c’était fantastique pour des gens que l’on sort des tribus qui se mettent responsables et qui doivent gérer un moment, une manifestation : c’est extraordinaire !

Cela veut dire que l’individu lorsqu’il est porté par quelque chose, lorsqu’il est bien en groupe, lorsqu’il sait, il est capable de tout ! Et il est à l’aise, sans complexe !

J’ai participé à quelques mini-festivals et en particulier je me rappelle celui de Bondé c’était extraordinaire !

Je suis quelqu’un de la Grande-Terre, je me suis mariée à Hienghène, je connais les choses de la région Hoot-Ma-Whaap et je suis de Ponérihouen, de l’aire Païcî et je connais les choses de chez moi…

J’ai vécu à Bondé l’ampleur de ce succès. Tout au long de notre histoire, de notre vie, on a […] des temps forts. Là, c’était en une semaine quelque chose de concentré. On est ivre de ça. On est porté par ça. J’avais vécu Bondé et à Nouméa c’était tous les jours comme ça… Je n’avais pas réalisé que l’on vibrait comme ça, que l’on était un peuple qui pouvait vivre, vibrer comme ça, même si on a un tronc commun avec des petites nuances, que l’on était capable de vivre ensemble cet événement comme ça, surtout que sur le site chaque aire était représenté avec sa grande case, ses gens. C’était fantastique !

On ne jouait pas, c’était la vérité

J’ai pris conscience que nous les Païcî, on n’était pas tout à fait comme les Hoot-Ma-Whaap, que les gens des Iles étaient bien différents, qu’ils avaient des danses guerrières… Finalement, on parle de la même chose : de la guerre, de la pêche, de la chasse, des champs d’ignames, de la construction d’une case mais pas tout à fait de la même manière ; les gestes, les rythmes, les sons, la langue… Là, on a eu un festival de langues parce que au niveau de chaque aire linguistique, il y a la variété des langues… Alors tout ça, c’est des musiques aux oreilles et moi qui suis Kanak, j’ai découvert ça ces jours là… Je connaissais l’Ajie, le Pije, le Païcî et puis j’ai découvert les autres langues. Même si je savais qu’il y avait tant de langues en Nouvelle-Calédonie, ce jour-là, je l’ai découvert.

Ce qui était d’autant plus extraordinaire, c’est que chacun s’est affirmé dans son unité tout en étant très divers : les Ajie c’est les Ajie, les Païci c’est les Païci, les Drehu c’est les Drehu… On est quand même bien particulier.

Même au niveau du faciès des gens on voit bien que l’on est différent mais on vibrait de la même chose, c’était extraordinaire. Je n’ai jamais retrouvé ces sensations-là que j’ai vécues.

Dans les jeux scéniques, quand on regarde les différents clans, on voit que les gens viennent d’ailleurs, mais on a fait le jeu scénique, on savait bien de qui on parlait : chaque clan a joué son rôle à la perfection. Les grandes marionnettes c’étaient les petites dames de Saint-Louis-Conception qui les tenaient. Aujourd’hui, si on leur demandait de le refaire, je ne sais pas si elles accepteraient.

Quand même, il y a 20 ans on a fait ça ! On était porté par une dynamique que nos animateurs ont su canaliser pour qu’au jour J ! Ce soir-là ! Une explosion !..

Aujourd’hui, on se poserait des questions : pourquoi faire ça, plutôt que cela ? Alors qu’à l’époque, il fallait exprimer notre culture et puis c’est tout, dire que l’on est différent, que l’on existe, que notre culture c’est ça !

Quand j’ai fait la traduction de jeu scénique avec mon père, j’ai réalisé à ce moment-là que ce qu’on allait faire ce jour-là était quelque chose d’authentique. On ne faisait pas, on ne jouait pas, c’était la vérité.

Mon père disait dans la langue, je traduisais, et ce que papa disait, ce n’était pas une histoire, c’était !..

Et les gens qui allaient jouer devaient prendre conscience que ce n’était pas n’importe quoi, comme les gestes coutumiers qui ont été réalisés à chaque fois, comme les discours… Il y a une finalité, on ne fait pas un discours comme ça.

Pour la généalogie, comme je suis Païcî, on a été faire la coutume à mon grand-père utérin, c’était le dernier petit frère de ma grand-mère, la mère de mon père. Et bien, on a pu la dire, parce que l’on a respecté la coutume. L’assise coutumière était véridique, elle reposait sur une réalité.

Il y avait un message à faire passer et les gens l’ont bien compris. Lorsque l’on a fait la bande sonore des jeux scéniques, on a dansé…

Emmanuel Naouna a fait le discours et on a dansé dans le studio. Les gens qui ont dansé étaient mon père, le frère de mon père, il y avait Jean-Marie, moi, mon grand- père… C’est ces gens-là qui devaient danser et pas d’autres. Ce n’est pas du spectacle. C’est ce qui doit accompagner le jeu scénique et la généalogie de Kanake. Ce n’est pas quelqu’un d’autre qui doit faire le discours.

C’est en ce sens que Melanesia 2000 est un événement qui s’est ancré sur la terre kanak à partir des alliances entre les clans. C’est Kanake qui fait ses alliances et qui se déplace dans le temps.

C’est à ces moments-là que j’ai pris conscience de l’importance de l’événement : au moment où j’ai traduit, au moment du jeu scénique. Je mesure le privilège que j’ai eu : je suis Païcî, le monsieur qui fait la généalogie, c’est la généalogie de Kanake, mon ancêtre, et j’ai traduit avec papa. Le monsieur qui a fait la généalogie parlait de nous et pas de quelqu’un d’autre.

Je sais comment les Païcî se sont investis dans ce créneau-là. Pour les autres je pense en particulier au vieux François Neoere, au vieux Palasso Xuma.

Il y avait le Mouvement pour un Souriant Village Mélanésien, et aussi un Comité pour le Festival et une autre structure qui s’appelait Comité pour le Développement, c’est l’ensemble des forces vives qui ont aidé les personnes et les différentes équipes du Festival. Et puis on a identifié des gens qui pouvaient jouer des rôles et des clans : il y avait par exemple pour telle partie du jeu scénique que les gens de la tribu de Tiendanite, de manière à avoir une unité dans l’organisation des gens qui se connaissent parce qu’il y avait la diversité des langues à gérer.

Basile Citre qui [joua le rôle de] Kanake, était au Centre d’Animation [CeFÂ] dont je faisais également partie ; il était une des personnes ressources capable de tenir compte des jeux de lumières du jeu scénique. Linda Julia est la fille d’une des femmes du Mouvement Féminin… C’était nos enfants.

Dans le jeu scénique, la bande sonore était en Païcî, il fallait pouvoir suivre et intervenir à des moments précis et comme je parle Païcî il fallait que cela soit moi. On s’est tous senti investi d’une mission.

Pas de honte à offrir, à s’exprimer

II fallait se rapprocher le plus de la réalité. Nous avions des petits jupes… Moi j’avais une petite jupe et un peigne en bambou… C’est tout. On ne s’est même pas posé la question de la nudité. Je ne sais pas comment cela a été reçu par le public, mais aussi loin que je me souvienne, Georges Dobbelaere avait prévu pour les femmes qui seraient gênées quelque chose couleur chair pour couvrir leur poitrine. Mais la plupart des femmes sont restées seins nus…

Cela ne m’a pas gênée, pour moi, ce n’était pas un problème, j’étais dans l’action, je me rappelle que Jean-Marie ne savait même pas que l’on serait comme ça ! On ne pouvait pas être autrement que comme ça et je n’avais pas de problème de honte.

Tout 1974, tout 1975 c’est les mini-festivals et on se préparait à ces événements-là. On était porté, toujours porté, porté… Et là, on a donné sans retenue.

Il faut savoir aussi que lorsque l’on fait une danse, il y a toutes les cérémonies qui préparent à la danse avant. C’est quelque chose qui mobilise les individus dans chaque village, chaque tribu, chaque maison. Cela veut dire que le festival a occupé la conscience des gens, l’esprit des gens tout le temps.

Il faut peut-être aussi parler de ceux qui n’ont pas bien compris le sens du Festival. Il y a ceux qui parlaient de folklore. C’est vrai qu’en même temps que le festival, il y avait la politique qui commençait à grandir sur le terrain. C’est comme ça, quand on est jeune on ne comprend pas bien… Mais cela n’a pas trop perturbé.

C’est bien que ce mécontentement ait pu s’exprimer parce que eux aussi avaient des choses à dire. Il y avait des gens qui étaient plus axés sur la politique, qui pensaient que le fait de faire une manifestation de cette envergure était du folklore à un moment où il y avait d’autres urgences plus politiques avec le gouvernement, l’Etat français etc..

Je pense que c’est bien qu’à une époque on ait pu créer cet événement pour que le peuple Kanak prenne conscience qu’il y a une culture qui est spécifique et même si on n’est que 60 000 – 70 000 à l’époque on n’a pas à avoir honte de ça. C’était vraiment une affirmation, c’était ce que l’on devait dire : on est un peuple digne, on a une culture, y a pas de honte à venir offrir et surtout à exprimer aux autres que l’on est différent, que l’on ne peut pas continuer à nous confondre avec les autres comme ça, que l’on est bien à part, riche de notre diversité même dans la société kanak et que nous avions ça à offrir.

Jean-Marie Tjibaou faisait à l’époque des séries de séminaires pour une meilleure compréhension de la société kanak par la société occidentale parce que l’on sentait qu’il y avait des conflits et lui mesurait qu’il fallait que les gens apprennent à nous connaître, que l’on ne pouvait pas continuer à nous nier, à nous méconnaître à une époque où l’on faisait des revendications politiques.

En même temps que cette revendication politique, il fallait que les gens admettent que l’on était différent, qu’il fallait une reconnaissance de l’identité culturelle des Kanak. Ce discours-là, le peuple kanak devait le faire, et venir le montrer.

Le public a répondu. Il faudrait l’interroger pour savoir quels souvenirs il a et ce qu’il en a retiré. Il aurait peut-être fallu que les Calédoniens qui ont parfois ressenti un sentiment d’exclusion, se mettent ensemble pour faire quelque chose. On ne pouvait pas faire pour eux. Nous, on ne sait pas. C’était à eux de faire quelque chose pour eux. Nous sommes de Maré, de Lifou, de la Grande-Terre…. mais jamais nous ne nous étions mis ensemble pour mesurer la richesse de ce que nous sommes ensemble, nous les Kanak de Nouvelle-Calédonie. C’est de cette richesse-là que nous avons pris conscience. Nous, on a fait [Melanesia 2000] et après, c’est la politique qui a fait que les deux camps se sont braqués. Au départ, je reviens aux séminaires que Jean-Marie faisait à la SLN, l’idée était d’expliquer pourquoi, quand on est Kanak, on est différent par rapport à la modernité, au développement, etc…. et qu’il y a une politique spécifique à mener en Nouvelle-Calédonie. Nous avons fait Melanesia 2000 et en face on n’a pas voulu nous reconnaître… Ce n’est pas faute d’avoir essayer d’expliquer. Nous on est de toute façon… On est !

N’importe qui nous tutoyait

Après 1976-1977, Jean-Marie, avec la restructuration de l’UC à Bourail, s’investit en politique, il devient maire de Hienghène, il prend du dynamisme au sein du parti.

La politique prend le dessus et si Caledonia 2000 ne se réalise pas, c’est peut-être que nous ne sommes pas prêts à imaginer un projet commun … Il n’y a jamais eu de festival calédonien …

Je pense à un article « Existe-t-il une culture caldoche ? », ça commence à sortir un peu.

Je crois que la société calédonienne a besoin de s’approprier sa propre histoire ; les gens ont mis du temps à assumer leur histoire, à dire que l’on est les descendants des bagnards… De plus en plus, les jeunes Calédoniens sont Calédoniens et s’affirment : on n’est pas tout à fait des bretons, des bourguignons, on vit dans un autre environnement, on a un autre mode de vie ; nous sommes Français, mais des Français un peu différent de ceux de France.

En ce qui concerne la société kanak, si Jean-Marie n’avait pas fait de la politique, je pense qu’il aurait oeuvré dans ce sens là, mais en tant que militant, il a ressenti la nécessité de restructurer le mouvement… Il revenait de France porteur d’idées nouvelles, il y a eu Melanesia 2000, il y avait une mobilisation de la société kanak ; peut- être que par rapport à plus de partage de pouvoir il y avait nécessité de gens nouveaux au sein de I’UC. Il a été un politicien mais il était d’abord un homme de culture. Il s’est toujours investi pour la reconnaissance de l’individu, de la personnalité, de l’identité… Et puis il est Kanak, un Kanak authentique.

Je pense qu’il avait des idées nobles, il voulait qu’on arrête d’exploiter le Kanak. Il fallait redonner aux Kanak leurs lettres de noblesse. Je me rappelle lorsqu’on arrivait à Nouméa, n’importe qui nous tutoyait et dans les files d’attente on passait toujours les derniers : les gens passaient devant nous parce que l’on n’était que des Kanak et qu’on passait après les autres.

Quand on a fait le Centre de Formation d’Animateurs avec Philippe Missotte, c’était vraiment une expédition ce centre-là, il fallait se battre pour avoir des postes, pour mettre des Kanak comme animateurs pour s’occuper des jeunes, des associations ; c’était quelque chose qui allait à l’encontre de l’histoire.

On s’aperçoit aujourd’hui que les gens qui étaient au Centre d’Animateurs sont devenus des gens responsables de projet, des leaders politiques. Je m’aperçois que les gens n’ont pas changé, ceux que l’on avait détecté se sont de plus en plus responsabilisés, investis, engagés et ils sont devenus acteurs de développement, responsables culturels, d’associations, responsables politiques. Le CeFA a été une opportunité et heureusement que Philippe Missotte avec les Scouts était plus proche de la jeunesse et que cela a pu donner aux jeunes une chance de formation.

La formation qui leur a été donnée leur a permis de prendre conscience que les choses ne se feront pas par les autres, que les choses se feront par nous, car nous, nous savons ce qui se passe dans la société kanak et si on veut que les choses changent, ça doit être d’abord à partir de nous, il faut que l’on soit les initiateurs, les mobilisateurs, les acteurs. Il nous a appris à être responsables.

Les meilleurs du CeFA sont partis se former en France et ont appris à être plus solides dans leurs projets. Puis, il y a eu le FADIL, le Fond d’Aide au Développement de l’Intérieur et les Iles qui a initié les gens à la gestion comptable, à la gestion des gîtes, etc.. C’était une formation continue, on était des jeunes sans formation, on a été au Centre de Formation d’Animateurs, après on est retourné à la vie active, puis on est devenu chef de projet, responsable d’association, et puis on se forme encore.

Le Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou

Les acteurs de Melanesia 2000 étaient de toutes les couches de la société kanak, ça pouvait être le clan des pêcheurs ou le chef coutumier, c’était tout le monde confondu, tous les gens qui avaient cru en ce message. Melanesia 2000, c’était un moment de notre histoire. A un moment donné on se retrouve sur le site et puis on montre ce que l’on est en 1975, les Kanak de 1975.

Le Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou est une revendication des Accords de Matignon qui a été prise en compte. C’est un Centre Culturel miroir de la société kanak en évolution, en vie. Je mesure que la société est quelque chose qui évolue en permanence, il y a des choses qui perturbent la société, on n’a plus le temps pour dire à nos enfants notre histoire, notre culture, et le vivre au quotidien surtout pour nous les gens qui vivons en ville. Quelque part, il faut qu’il y ait une mémoire et le Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou joue ce rôle-là de reflet dans une société en pleine mutation.

La société kanak est en pleine mutation, avec des valeurs fondamentales de son identité qui s’inscrivent : le Kanak, c’est quoi ? Sa référence, c’est quoi ? Comment il construit l’organisation sociale chez lui ? On trouvera cela au Centre, au même titre que les pratiques culturelles de 1853 et celles d’aujourd’hui avec le cheminement.

Je pense que le Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou est aussi un lieu où on accueille d’autres cultures au cours de manifestations avec la société kanak. Certains disent que la société kanak est fermée, mais elle est ouverte aux cultures du Territoire et de celles du monde : le Centre Jean Marie Tjibaou est le lieu de rencontre privilégié avec les Kanak, les gens de ce pays, un lieu d’ouverture sur le monde. Des spectacles de renommée internationale doivent pouvoir être représentés au Centre Culturel parce qu’il est une perspective sur le futur et dans cette dynamique-là, il doit accueillir tout cela, on n’est pas cloisonné, on ne s’arrête pas au récif, on est ouvert sur le monde entier, on y exprimera la culture internationale, toutes les cultures. On ne peut pas dire que c’est un lieu réservé aux Kanak dans la mesure où le Centre Jean-Marie Tjibaou a une envergure internationale ! Ne serait ce que par l’architecture ! Il va être la référence pour la Nouvelle-Calédonie. On ne peut pas parler de fermeture.

Quant au coût, c’est un des grands travaux du Président de la République et il est entièrement financé par la France. Parmi les projets présentés, certains étaient plus adaptés à la situation financière de notre pays mais il fallait faire en même temps un monument architectural. C’était comme une reconnaissance, un juste retour des choses que de donner à la culture kanak ces lettres de noblesse.

On peut dire que ça coûte cher mais est-ce que les signataires des Accords de Matignon à partir du moment où ils acceptent cet outil se donnent les moyens de sa réalisation et de son fonctionnement ?

Les signataires représentent trois entités : le FLNKS, l’Etat Français et le RPCR. Ces trois entités sont toujours d’accord. C’est vrai que ça coûte cher mais par rapport à l’esthétique, à la philosophie du projet c’est celui de Renzo Piano qui était largement en tête de tous les projets proposés. Lorsque l’on a été voir le Président de la République, c’est ce projet-là qu’il a choisi. Comme c’est un des grands travaux du Président, il devait répondre à une image de la France dans le Pacifique.

Des individus nouveaux

La société calédonienne n’est pas une habituée de la culture. Ceux qui viennent de France, les « métros », sont ceux qui assistent le plus aux conférences organisées par l’ADCK. A partir du moment où le Centre va offrir toutes ces prestations, ça va suivre automatiquement. Si les gens n’entendent pas ce discours c’est qu’ils ne veulent pas admettre qu’un Centre qui porte ce nom là puisse accueillir des notoriétés du monde international. Mais ça commence à venir, il faut habituer les gens à s’ouvrir sur le monde. C’est parce que les gens n’ont pas cette habitude, cette pratique là, qu’il faut les éduquer à une consommation culturelle. Il faut que les gens apprennent à aller au théâtre parce qu’il véhicule un mode de pensée, un message… La société évolue, on peut être un Kanak qui fait son champ d’ignames et qui a besoin d’aller au théâtre, d’aller voir un bon film. On a des besoins nouveaux, on est [ouvert] sur le monde, sur d’autres sociétés. Il faut s’ouvrir…

Je me dis qu’un kanak de l’an 2000 sera différent de ce que j’ai été, il sera avec d’autres vibrations, avec un monde et une communication différents cela façonne des individus nouveaux.

Lorsque l’on a fait l’enregistrement du […] discours d’Emmanuel Naouna qui parle de nous [les Païcî] […], à la fin de son discours, il doit dire qu’il a récité la généalogie, [dire merci aux gens qui ont dansé autour de lui] […], et [souligner] « vous qui êtes autour du poteau, qui êtes là, qui dansez, vous êtes venus me soutenir… » C’est le lien entre l’action et le discours. Je ne pense pas qu’il y ait une désacralisation de la culture par rapport au phénomène social, une folklorisation, car chaque action que l’on mène dans la société est accompagnée d’un discours et chaque discours pour interpeller l’individu doit être fait. C’est dans ce discours que l’on donne, que l’on autorise tel geste plutôt que tel [autre]. C’est à ce moment-là que l’on demande l’accord du groupe pour créer cet événement.

Dans la société kanak, il y a des paroles qui sont dites à des moments… C’est l’art de vivre avec les mots qu’il faut pour tel événement. A côté de ça, il y a le mode de fonctionnement de l’individu dans sa société et les règles de son fonctionnement. Nous ici, à la ville, nous sommes d’autres individus qui n’obéissons pas aux mêmes règles parce que c’est le mode de fonctionnement de la ville, mais quand on retourne à la tribu, on est un autre individu.

Je vois que des enfants Kanak de Nouméa connaissent très peu le mode de fonctionnement de la culture kanak, les règles de respect que l’on doit avoir les uns envers les autres. Il y a plein de détails qui m’autorisent à dire que de plus en plus, parce qu’on est en ville on perd, ou on ne parle plus. Si on veut garder les valeurs que la société kanak veut conserver en priorité, il faut que les parents éduquent leurs enfants en connaissance de cause. C’est chaque parent qui doit dire à son enfant ce qu’est le respect : toi tu es le neveu de telle personne, voilà les règles que tu dois respecter avec ton oncle, avec tes cousins, etc..

Il faut que chaque parent dise à ses enfants le discours qu’il faut.

Turbulences

Le discours de la télévision est plus fort parce qu’il nous mange… Nous mange tout notre temps… On n’a plus les temps de paroles, d’échanges avec nos enfants, on n’a plus le temps d’expliquer pourquoi, pour telle coutume, on doit attendre telle personne, comment se fait la procédure, …

Peut-être que je suis traditionaliste mais si je ne sais plus faire nos choses, il n’y aura que ma couleur qui va me différencier… Je vais me dire Kanak à partir de quoi ? Je serais un coco vide ! Ce n’est pas possible ! Je suis Kanak à partir de nous que je porte, à partir de la terre, de ce qui a été transmis par nos parents et c’est ce qui a fait notre force, notre richesse, notre personnalité, notre identité et si on n’a pas ce discours-là… on est vide.

A Nouméa, c’est difficile, il y a d’autres règles, des horaires. En tribu, si on doit éduquer nos enfants, il y a les champs, et l’environnement qui contribuent à cette éducation, on identifie les plantes, l’évolution de la nature, le positionnement des cases au niveau de l’espace, l’exercice des relations coutumières, l’écoute des paroles des vieux. Il y a tout un ensemble de facteurs qui contribuent à l’éducation de l’individu alors qu’à Nouméa, on n’a pas ces repères. A Nouméa, on ne peut avoir qu’un discours. Un homme qui a fait huit heures de boulot dans la journée, quand il rentre, a envie d’être tranquille et l’enfant qui sort de l’école, de l’Université n’est peut-être pas disponible. Néanmoins, il faut se trouver des moments où l’on se parle. C’est à travers la langue que l’on va pouvoir se dire les choses.

Lorsqu’on arrive en Brousse, il y a du changement. Les gens voudraient retrouver le « séjour paisible » mais en tribu aussi il y a des turbulences.

Avant, il n’y avait que le chef qui parlait. […] Un sujet devient Conseiller de Province, Maire… Cela déséquilibre ce qui existait… Les femmes parce qu’elles s’organisent en groupe deviennent un poids… Il y a plein de facteurs qui font que cela bouge, que cela change. Il ne faut pas penser que les turbulences sont seulement à Nouméa, en Brousse aussi. Comme les gens de Brousse sont moins préparés à toutes ces turbulences, c’est terrible pour eux. […].

La culture kanak est bien vivante et bouge tous les jours. En plus de cent-cinquante ans il y a des règles de vie, des grands événements de la société kanak qui restent un ciment avec les moments privilégiés de rassemblement des clans pour être l’expression de cette culture. Ça, ça reste, ça ne peut pas être autrement parce que l’on est Kanak par rapport à un nom, par rapport à un tertre, par rapport à une fonction… Même si ça évolue, tout cela reste, ça ne bouge pas.

Peut-être du fait de l’ADCK, il y une recherche de la culture, les gens prennent conscience de la richesse de la culture kanak. Lorsqu’il y a des danses, les gens font attention à l’authenticité des choses, c’était en train de partir dans du folklore, maintenant non, les gens font attention.

Du fait de Melanesia 2000, il y a eu une redécouverte, par exemple les femmes de Saint-Louis, de la Conception ont redécouvert leur langue d’origine, maintenant on fait intervenir ces dames dans les écoles pour des contes au Musée alors que c’était quelque chose qui était en train de partir. Les gens ont compris qu’il y avait urgence à faire un effort.

source : https://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1995_num_100_1_1951

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