Macron anti colonialiste ?

Le Cercle du Croissant nous fait part de ses réflexions sur la posture de l’actuel Président de la République Française.

Le président français Emmanuel Macron, on le sait, a régulièrement accusé la Russie d’être « une des dernières puissances impériales coloniales » et d’avoir lancé en Ukraine « une guerre territoriale », « une guerre du début du XXe, voire du XIXe siècle ». Après Cotonou et la tribune des Nations Unies, il l’a répété à Munich le 17 février 2023, cette guerre est « une agression privée de toute justification » qu’il a qualifiée « de néocoloniale et d’impérialiste ». De fait, a-t-il expliqué, c’est bien « cette vision du monde qui domine dans cette agression qui dénie l’identité à un voisin, qui considère qu’on peut prendre une part de son territoire, voire la totalité de celui­-ci, sans respect, et qui s’arroge une forme de droit de tutelle sur un autre peuple. Et l’accepter, détourner le regard, fermer les yeux, c’est considérer que le néocolonialisme ou la puissance impériale est légitime ou que ce soit dans le reste du monde. » On sait ce qu’Emmanuel Macron en pense personnellement, il l’a dit en Algérie en 2017 : la colonisation est « un crime contre l’humanité ».
Dont acte. Mais que croyez-vous que les Kanak – qui votent majoritairement pour l’indépendance de leur pays – entendent lorsque le Président de la République française affirme le droit légitime de l’Ukraine à résister à l’agression russe ? Essayons, au moins pour une fois, de nous placer de leur point de vue et de donner toute leur signification aux mots employés. Entendus par les Kanak, les propos du Président ne sont-ils pas sans poser de questions ? Comment en effet qualifier une vision du monde qui s’autorise de guerres du XIXe siècle, de la prise de possession sans respect de la totalité d’un territoire, d’une immigration exogène pour continuer, après plus d’un siècle et demi, d’y défendre ses seuls intérêts, dénier son identité à tout un peuple, s’arroger une forme de droit de tutelle sur lui, en le privant notamment de son droit à l’autodétermination ? N’est-ce pas là aussi du colonialisme, de l’impérialisme ? Et l’accepter, détourner le regard, fermer les yeux, n’est-ce pas d’une certaine manière « considérer que le néocolonialisme ou la puissance impériale est légitime ou que ce soit dans le reste du Monde » ? N’est-ce pas aussi implicitement reconnaître qu’au côté de la Russie, la France demeure envers et contre tout « une des dernières puissances impériales coloniales » ?
Toujours du point de vue kanak : refuser l’archaïsme ne serait-ce pas au contraire enfin renoncer à la puissance impériale et à vouloir encore lui trouver une quelconque légitimité ? Ne serait-ce pas refuser de soutenir un ordre aujourd’hui privé de toute justification autre que la préservation de ses seuls intérêts ? Ne serait-ce pas concéder qu’il ne saurait y avoir d’autre avenir en Nouvelle-Calédonie que celui d’une décolonisation réussie ? Que, le véritable ayant-droit à la décolonisation étant le peuple colonisé lui-même il ne saurait y avoir d’avenir durable que celle menée à son terme ? Que décoloniser n’est pas instrumentaliser les peurs et les prérogatives des communautés venues avec la colonisation, mais bien plutôt encourager leurs ressortissants à s’engager dans la construction d’un pays enfin débarrassé des injustices et des inégalités qui l’étouffent ? Croyez-vous audible une proposition de dialogue politique qui dit vouloir discuter de tout sauf de votre droit inaliénable à l’autodétermination, c’est-à-dire à votre liberté ? Pensez­ vous qu’on puisse former une communauté de destin avec une moitié de la population qui se croit légitime à vous refuser ce pour quoi le peuple français s’est jadis battu et serait encore prêt à se battre ? N’est-il pas temps que l’Etat et tous ceux qui ne sont pas Kanak dans ce pays cessent d’instrumentaliser le vote et les autres outils de la démocratie pour pérenniser une tutelle qui n’est en rien démocratique ?
Refuser l’archaïsme ne serait-ce pas finalement faire le choix de l’échange, du partenariat et du respect réciproque plutôt que d’une forme de droit de tutelle hérité d’un autre temps ? Ne serait-ce pas enfin cesser de détourner le regard, de fermer les yeux ?

Cercle du Croissant – 15 juin 2023

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