La Génération 6

Le sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie découpe le temps en 25 ans. Il débute à partir de 1850. De 1850 à 1875 c’est la génération 1, c’est celle qui entre en confrontation avec l’autre, c’est la période de la colonisation. Je ne parlerai ici que de la Génération 6 : toutes celles et ceux qui sont nés à partir de 1975 jusqu’en l’an 2000 composent la Génération 6. Toutes ces personnes naissent dans cette période de l’histoire du Pays, période des accords de Matignon, de la guerre civile dite « évènement », de Nainville les Roches, de l’accord de Nouméa, des grands projets industriels. C’est à la génération 6 que revient déjà la responsabilité d’être les aînés de la génération 7, celles et ceux qui sont nés en l’an 2000 et qui continueront à naître jusqu’en 2025. En 2018, les plus grands auront déjà 18 ans et seront en âge de voter. Une génération de 25 ans n’a pas été éduquée réellement à l’histoire de son Pays, celle d’un siècle au moins, bon nombre d‘entre eux ne sont pas armés de la même manière pour comprendre réellement les enjeux de la Nouvelle-Calédonie, Pays, nation en devenir.

Pour comprendre, analyser et agir en conséquence, il faut avoir une base de données solide. Une génération sur qui on a compté pour le développement et le rééquilibrage, les postes à responsabilités dans ce Pays. Une génération que l’on a éduquée à la course au diplôme, à la surconsommation, à la rentabilité, à la concurrence, à l’individualisme, aux biens matériels…. Une génération à qui il manque cette transmission de la volonté d‘agir par soi-même, d’agir pour le bien du groupe, le bien du peuple.

J’entends encore les paroles de Wassissi KONYI, «….mais nous on nous a dit d’aller faire des études pour revenir faire la lutte au Pays,…. ».

Combien sont-ils à donner de leur temps, à sacrifier leur temps pour quelque chose qui ne rapporte pas d’argent, mais qui rapporte le sentiment de devoir participer pour le bien et le changement de nos pratiques éducatives ? Combien sont-ils à ne pas connaître l’histoire des premières révoltes de ce Pays, l’histoire du mouvement indépendantiste ? Combien sont-ils à penser qu’aller faire ses études pour le pays suffit largement pour la construction de notre Pays ? Combien sont-ils à ne pas connaître leur propre histoire ? Combien sont-ils à ne pas savoir ce que leur réserve demain ? Combien sont-ils au bord de la route ? Combien sont-ils à ne plus entrevoir l’horizon, à se poser les questions pour demain, après-demain ? Combien sont-ils à ne pas savoir lire et ne maîtriser aucune langue? Combien sont-ils à penser que indépendance rime aussi avec autosuffisance ? Combien sont -ils à vouloir gagner beaucoup beaucoup de fric ?

La jeunesse est là mais elle attend que des paroles soient en adéquation avec des actes. Elle chante, danse, écrit, peint, photographie, joue, se révolte et se suicide aussi parfois pour traduire l’expression d’un mal être…

Pourquoi n’apprend-t-on pas réellement aux enfants de ce Pays l’histoire qui parle des ombres et des lumières, qui parle des mensonges de l’état français, des assassinats politiques, des manipulations des masses ?

Ne pas s’organiser pour nourrir, éduquer l’enfance et la jeunesse à sa propre histoire, c’est la déconsidérer, c’est manquer de respect à nos propres prolongements, nos enfants. C’est aussi manquer de respect au nouveau venu, manquer de respect à celles et ceux qui continueront le travail. Quel est le pouvoir du peuple, quel est le pouvoir de la communauté éducative face aux enjeux du Pays dans la Mélanésie mais aussi face au monde ? Quel citoyen voulons-nous pour demain ?

Nous savons toutes et tous que répondre par la violence ne réglera pas les problèmes de violence. Cela peut marcher pendant un moment mais pas tous le temps. Je ne défends en aucun cas les actes de violences physiques ou morales de mes petits frères et soeurs mais je ne leur lance pas la pierre pour autant. Lorsque l’on connait parfois les situations sociales dans lesquelles des enfants et des jeunes grandissent, on sait pour quelle raisons ils agissent de la sorte. En tant qu’adulte nous nous devons de les accompagner lorsque l’on peut au lieu de se prendre pour des juges et les traiter plus bas que terre.

Si nos valeurs sont celles de la famille, de la terre, de la solidarité, de la fraternité, de la laïcité, eh bien qu’est qui nous empêche de travailler ensemble pour éduquer une génération pendant 25 ans ? Pourquoi autant de désaccords alors que des accords ont été signés dans mon pays ?

Que celles et ceux que l’on ne voit pas mais qui sont là tout autour de nous donnent la force et le courage pour ne faire qu’un avec la parole, celle qui y ai portée par les hommes, les femmes, les jeunes et les enfants de ce Pays, l’art de parler et de faire… L’art de se porter des marques de respect pour garantir une cohésion sociale, celle du dialogue entre les générations, celle des solutions pour le bon avenir de la communauté humaine.

Article source : Florenda Nirikani

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