Préambule
Les travaux de recherche engagés ci-dessous veulent contribuer à des ouvertures et à des espaces d’échanges entre les différents types de discours concernant « l’identité calédonienne » et, si l’histoire ici semble, comme disait Albert Memmi, être utilisée comme « une valeur refuge », ces connaissances auront l’avantage de combattre les clichés et les préjugés de l’opinion commune. L’objet de cette étude est aussi de permettre à la nouvelle génération wallisienne et futunienne de trouver des points repères socio-historiques, et d’éclaircir quelques incompréhensions – notre réflexion veut y contribuer – en nous adressant en même temps aux autres composantes de la dite « Communauté de Destin ». L’appropriation de sa propre histoire, du cheminement qui lui est propre, ouvre les portes à un sentiment d’appartenance à un peuple en construction, à une « légitimité » en devenir.
Aussi, l’espoir que la parole de nos jeunes se libère est réel car malheureusement les Calédoniens d’origine « polynésienne », encore aujourd’hui, ne se sont pas encore appropriés l’ « Ecriture », ni la « Littérature » au sens noble du terme alors qu’elles constituent une force d’expressions, de réflexions et de propositions. Il est vrai qu’en Océanie, la parole ne se prend et ne se libère que lorsqu’on est habilité et légitimé à le faire…
Introduction
Les recherches archéologiques, ethnolinguistiques ou anthropologiques ont contribué à l’histoire des migrations et du peuplement de l’Océanie2(). Or, si le flux migratoire austronésien3() Nord-ouest/ Sud-est en passant par la Nouvelle-Calédonie est communément admis, cette théorie néglige les incessants retours de ces anciens Océaniens sur leurs pas et notamment la théorie des réseaux d’échanges permanents entre les îles, bien au-delà des frontières ethno-géographiques admises actuellement : Mélanésie, Polynésie et Micronésie. Par exemple, dans l’archipel mélanésien de la Nouvelle-Calédonie, est parlé le « fagaouvéa » aux extrémités de l’île d’Ouvéa, la plus septentrionale des îles Loyauté, dont la tradition orale donne son origine aux îles Wallis situées à plus de 2000 kilomètres à l’Est en Polynésie Occidentale4(*). La prise de possession de ces archipels par les puissances européennes va interrompre ces réseaux d’échanges traditionnels intra ou inter- îliens.
Entre temps, la Nouvelle-Calédonie sera marquée par son histoire coloniale de peuplement. Si, quelques années auparavant déjà, le relent d’évangélisation bat son plein dans la région de l’Océanie, c’est seulement en 1853 que la France prend possession de l’archipel calédonien. Elle en fera plus tard un centre pénitencier, destin commun de plusieurs colonies sous tutelles françaises. Mais la découverte des minerais exploitables sur la Grande Terre, dès 1862, favorise durant plus d’un siècle l’immigration massive d’autres populations venues d’Europe, d’Afrique ou d’Asie ainsi que d’autres archipels du Pacifique. Les « Autochtones » seront, dès lors, confrontés pour la première fois à des vagues de populations non seulement très nombreuses mais aussi à des cultures très différentes de la leur, favorisant de nombreux malentendus, et très peu d’inter-compréhension. L’implantation coloniale du gouvernement français ne laissera pas les populations indigènes indifférentes. En 1878 et en 1917, des révoltes ont eu lieu sur la Grande Terre pour des raisons foncières à l’encontre des colons installés. Ces insurrections indigènes ont toutes été réprimandées par l’armée française. L’accession des Kanak à la citoyenneté française en 1946 a fait émerger en eux l’idée d’autonomie politique qui n’a pu se concrétiser pleinement5(*). Après ces tentatives politiques avortées, l’idée d’indépendance a surtout été portée par la nouvelle génération kanak de l’après guerre.
Ainsi, lors de la période dite « des évènements » (1984-1988) où une autre crise institutionnelle se dégage, les indépendantistes incarnés par le FNLKS, en majorité des Kanak, s’insurgent violemment contre les partisans de la « Calédonie française » dits « loyalistes », en majorité d’origine européenne. Cette période sera surtout marquée par la prise d’otage à Ouvéa de gendarmes par les nationalistes indépendantistes de l’île qui se soldera par la mort de 19 militants du FLNKS et de plusieurs gendarmes juste à la veille des élections présidentielles en mai 1988. Cet évènement violent sera le catalyseur des Accords de Matignon entre les différents belligérants dont la finalité sera surtout le retour à la paix civile. Ces accords coûteront la vie du leader indépendantiste Jean Marie Tjibaou qui sera assassiné un an plus tard par Djubelly Wéa à Fayaoué lors du recueillement devant les tombes des 19 militants originaires d’Ouvéa.
La montée du nationalisme kanak semble aujourd’hui alimenter le débat sur la légitimité des nouveaux groupes en présence, sur leur positionnement idéologique et politique et notamment sur un projet de société où toutes les sensibilités doivent être prises en compte. L’accord de Nouméa signé en 1998 entre le FLNKS, le RPCR et l’Etat français, sans évacuer la question de l’indépendance, oriente toutes les autres communautés qui constituent les forces vives du Pays à participer à un projet commun de société. Cette nouvelle donne se traduit notamment par l’établissement de nouveaux rapports entre le pays de la Nouvelle-Calédonie et le territoire des îles Wallis et Futuna.
Effectivement, après un siècle et demi de ruptures de liens traditionnels entre la Polynésie Occidentale et la Nouvelle-Calédonie, une des composantes immigrées de la population du territoire aujourd’hui est originaire des îles Wallis et Futuna. Elle constitue à ce jour, la plus grande minorité « ethnique ». Dans la période « pré Matignon »6(), leur soutien inconditionnel au maintien du Territoire dans la France n’a pas favorisé l’entente entre ces deux « communautés océaniennes », bien au contraire. Après les Accords de Matignon de 1988 et qu’une tentative politique d’une troisième voie sous l’impulsion de l’Union Océanienne ait avorté, une frange de l’électorat « wallisien » s’est alliée au FLNKS, mais cela n’a pas empêché les conflits « kanako-wallisiens ».Les récents évènements de « l’Avé Maria » à Saint Louis le démontrent dans lesquels des centaines de familles d’origine wallisiennes et futuniennes ont dû quitter contre leur gré leur lieu d’habitation. Le 25 juillet 2009, une déclaration solennelle, faite par les représentants coutumiers kanak du Sénat et les représentants des chefferies de Wallis et de Futuna7(), ouvre une nouvelle perspective de relations entre ces deux « communautés » océaniennes : celle « d’une Communauté de Destin » dans le cadre de l’Accord de Nouméa.
Si les raisons de ces antagonismes ou de ces rapprochements sont multiples, ces rapports semblent avoir des origines beaucoup plus lointaines et complexes. Le passé dit précolonial et l’histoire proprement dite pourraient sans doute nous renseigner à ce sujet. Quoi qu’il en soit, l’émergence d’une communauté dite « pluri-ethnique » est au coeur du débat, la question de l’immigration d’une manière générale et les problèmes sociaux de tous ordres interpellent l’opinion publique calédonienne.
Face à ces paradoxes, un certain nombre de questions nous préoccupe : aux temps anciens, quand, pourquoi et comment s’opéraient ces migrations, en particulier entre les marins venus d’ailleurs et les occupants des terres immergées ?
Dans le contexte colonial de peuplement, dans quelles conditions les ressortissants originaires des îles Wallis et Futuna se sont infiltrés dans leur nouveau pays d’accueil pour devenir par la suite la plus grande minorité culturelle installée en Nouvelle-Calédonie après les Européens ?
Quel rapport peut ont établir entre ces migrations dites « polynésiennes » – l’une plus ancienne dans un contexte dit « traditionnel » et l’autre plus récente dans un contexte dit « colonial ou post colonial » – dans lequel les enjeux sont différents ?
Notre hypothèse est qu’il existait de véritables réseaux d’échanges traditionnels entre les îles en Océanie, et, l’archipel calédonien bien avant l’arrivée du Blanc a intégré dans sa population des groupes extérieurs venus de l’Est dits « polynésiens », entre autre des îles Wallis. Cependant, ces « enracinements » n’étaient possibles que dans un cadre social et juridique spécifique aux sociétés océaniennes dont les liens de parenté fondent l’identité des groupes et des individus. Dans le contexte contemporain, même si la présence européenne depuis 1853 et l’arrivée de plusieurs vagues de populations « étrangères » a bouleversé les sociétés autochtones, entre les groupes en présence, notamment entre la communauté wallisienne et le peuple kanak – pour reprendre les qualificatifs discursifs actuels – des stratégies de rapprochement « coutumières et traditionnelles » réciproques se créent, se forment ou se renouent. Par exemple, la révélation du mythe des origines de certaines chefferies kanak entre les îles Wallis et Ouvéa via les Loyauté et la Grande Terre va constituer un lien de rapprochement entre les deux communautés, alors que l’histoire coloniale fera d’eux des d’impitoyables belligérants.
L’exposé qui va suivre fera un état des lieux concernant l’ancienne présence « polynésienne » dans l’archipel calédonien lors des premiers contacts en recoupant les témoignages des premiers découvreurs européens et en s’appuyant notamment sur le patrimoine oral des autochtones. Après avoir dégagé la stratégie d’approche de cet objet d’étude, une réflexion épistémologique sur la façon dont l’altérité océanienne a évolué et s’est construite me semble intéressante à traiter en terme de rapports sociaux entre d’une part les anciens Océaniens et d’autre part entre les « nouveaux Polynésiens » récemment immigrés, et « les Kanaks d’aujourd’hui » qui aspirent à une émancipation culturelle et politique. La question de l’enracinement « polynésienne 8(*)» dans la période dite pré-coloniale dans cette partie de la Mélanésie, d’après des faits historiques ou d’ après d’autres auteurs en Sciences Sociales, sera mise en exergue. L’apport du mythe fondateur de la chefferie de Nékélo, à Ouvéa, mais connu dans d’autres versions dans plusieurs lieux de l’archipel calédonien, nous sera très précieux pour aborder ensuite la question identitaire dans la période dite post coloniale.
Ce lien entre l’altérité d’hier et les identités d’aujourd’hui peut être renoué et visible en l’étudiant sous un aspect diachronique dans le contexte de la colonisation de peuplement dans lequel le pluralisme culturel a émergé en même temps que le contre courant nationaliste. Pour cet exposé, nous tenterons d’utiliser différentes sources en y associant certains préceptes d’auteurs. Avant chaque partie annoncée, nous rappellerons succinctement la méthodologie et les sources utilisées. Ce travail ne mentionne pas de témoignages oraux d’enquêtés, le temps nous étant imparti était trop court.
source et accès à l’ensemble du mémoire : https://www.memoireonline.com/11/13/7704/Enracinements-polynesiens-d-hier-et-d-aujourd-hui-dans-l-archipel-de-Nouvelle-Caledonie.html












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