Justice transitionnelle

Le Laboratoire de recherches juridique & économique de l’Université de Nouvelle-Calédonie a organisé mardi 7 et jeudi 9 novembre 2023 à Nouméa un colloque sur les « enjeux de la justice transitionnelle ».

L’ONU définit la « justice transitionnelle » comme « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».

L’idée qui préside à toute démarche de justice transitionnelle, nous dit Wikipedia, est « qu’en promouvant la justice, la reconnaissance des victimes et la commémoration des violations passées, on multiplie les chances de la société de revenir à un fonctionnement pacifié et démocratique ».

Du jugement de l’histoire à la réconciliation

Quatre mesures centrales sont au cœur de la justice transitionnelle : procès, publication de la vérité, réparations et réformes administratives qui « sont destinés à garantir quatre objectifs : la reconnaissance, la confiance, l’état de droit et à terme la réconciliation ».
De plus, quatre droits sont explicitement reconnus aux victimes par la justice transitionnelle : « le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation et la garantie de non- répétition (aussi dénommée non-récurrence) ». « Ce sont les « principes Joinet » ou principes contre l’impunité, établis en 1997 par le juriste français Louis Joinet à la demande du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme ».

Passer en revue tous les droits bafoués

En mars 2010, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a publié une « Note d’orientation sur l’approche des Nations Unies en matière de justice transitionnelle ». Son principe 9 appelle l’Organisation à « faire en sorte que les processus et mécanismes de la justice transitionnelle prennent en compte les causes profondes des conflits et les régimes de répression et qu’ils abordent les violations de tous les droits, y compris des droits économiques, sociaux et culturels ». La Note d’orientation précisait en outre que cette approche était nécessaire si l’on voulait que la paix l’emporte » dans notre monde actuel traversé de conflits et de tensions.

Prendre Emmanuel Macron au mot

Dans leurs interventions, plusieurs des conférenciers du colloque de l’UNC ont montré à quel point, selon eux, par ses termes et par son esprit, le « chemin du pardon » préconisé par Emmanuel Macron lors de son dernier passage à Nouméa s’inscrivait dans une logique de justice transitionnelle. Jamais, semble-t-il, un dirigeant français ne s’était avancé aussi loin et aussi clairement. Et à les écouter nous avons été quelques auditeurs du colloque à nous interroger. Et si nous prenions le Président au mot ? La question de la décolonisation était au cœur des Accords de Matignon-Oudinot et de Nouméa et, du point de vue du monde indépendantiste, elle n’a pas été réglée par les trois référendums de « sortie ».

Décoloniser, c’est plus que du droit, c’est de l’humain

D’autre part, tout le monde dans le pays le sait ou le pressent, et pas seulement ceux qui ont voté « oui » aux consultations sur l’indépendance : les négociations politiques à venir ne régleront pas le problème, quelles que soient leurs conclusions. Parce que décoloniser n’est pas une affaire institutionnelle. C’est avant tout un état d’esprit, une volonté de reconnaître « les ombres et les lumières de la colonisation ». Cette reconnaissance exige un travail qui, au-delà des mots du Préambule de l’accord de Nouméa, n’a pas eu de suite dans les faits. Ce travail reste donc à faire, sans lequel il n’y aura pas de réelle communauté de destin en Nouvelle-Calédonie et de rapport apaisé avec la France. Un exercice de justice transitionnelle permettrait d’emprunter effectivement le « chemin du pardon, de la vérité, de la fraternité et du courage ».

Les politiciens doivent être à la hauteur des enjeux…

Il existe des exemples de processus de justice transitionnelle, certes sous d’autres contrées et dans d’autres contextes, mais toujours avec le point commun de la colonisation : l’Afrique du sud de Nelson Mandela et Desmond Tutu, la Colombie, le Pérou…).
Un tel exercice, mis en œuvre par les Calédoniens pour les Calédoniens, serait la démonstration d’une maturité politique et poserait de manière claire que, après avoir fait face à leur passé, les habitants du pays, quelle que soit leurs valeurs et leurs positions face à la revendication d’indépendance, sont capables d’affirmer leur volonté de vivre en paix et de faire communauté. Si les forces politiques veulent démontrer qu’elles sont à la hauteur des enjeux et témoigner sincèrement de leur engagement dans ce sens qu’elles se saisissent du projet et adoptent unanimement une loi de pays qui autoriserait la constitution d’une commission « justice, vérité et réconciliation » ! Que ce faisant elles s’engagent aussi à renoncer à toute ingérence et à toute instrumentalisation politicienne qui viendrait hypothéquer la réussite du processus.

Ne pas mettre la charrue avant les bœufs

La communauté de destin calédonienne a besoin de lucidité et d’impartialité. Les habitants de ce pays, malgré leurs désaccords politiques, veulent croire à la possibilité d’une Nouvelle-Calédonie réconciliée avec elle-même. Qu’ils se manifestent, fassent entendre leur voix, plébiscitent un processus de justice transitionnelle. Quelques intellectuels étaient présents au colloque de l’UNC, certains ont même participé aux tables rondes. Qu’ils se mobilisent et s’engagent pour une cause qui ne peut que servir l’intérêt général ! Donnons-nous le temps de régler le contentieux colonial puisque c’est lui qui continue d’empoisonner les relations entre les habitants de ce pays et d’empêcher l’émergence d’une société enfin réconciliée. Prenons ce temps avant de prétendre édicter des solutions institutionnelles définitives qui risquent de ranimer les rancœurs et des affrontements au lieu de les apaiser enfin durablement.

Cercle du Croissant 1er décembre 2023

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

Retour en haut ↑

En savoir plus sur Association Présence Kanak - Maxha

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture