Walles Kotra : Le district de Guahma a toujours eu des relations avec l’extérieur. Tout à l’heure vous parliez des Pentecost qui ne cachent pas leurs racines Guahma. Quelles sont les relations avec les Pentecost ?
Nidoish Naisseline : L’origine c’est Mere Naisseline. C’est la cousine de mon grand-père. En passant à Maré, le vieux Pentecost a eu un coup de foudre et a jeté son dévolu sur elle. D’ailleurs il y a toujours un bout de terre, derrière la chefferie, qui est à elle donc aux Pentecost. Ce lieu s’appelle Samatram mais je me demande si ce n’est pas une déformation de l’anglais summertime. Son fils Edouard a été élevé dans l’univers des gens de Maré. Il était un très grand copain du vieux Wazone. Je ne sais qui faisait l’âne pour l’autre mais ils avaient une sorte de complicité. Un jour, Michel, le petit fils de Mere et frère de Philippe Pentecost, a envoyé un hélicoptère pour que le vieux Wazone et plusieurs vieux de Nece se baladent et découvrent Maré vu du ciel. C’était une première et depuis ce jour, il y a un héliport sur le terrain de Ta Durem. La tombe de la grand-mère Mere est d’ailleurs au cimetière de Mebuet à Maré.
Walles Kotra : Edouard Pentecost était aussi un proche de votre père Henri Naisseline ?
Nidoish Naisseline : Ils étaient proches politiquement mais surtout familialement. Edouard appelait mon père Tonton. Coutumièrement, sa mère était la sœur du grand chef et ils ont pu faire vivre cette relation . Lorsque le vieux Edouard me rendait visite à Paris, il m’engueulait parfois : « Cela fait plus de trois mois que tu n’as pas donné de nouvelles à Maré. Tu vas tout de suite écrire à Tonton ! » et je le faisais immédiatement. J’ai toujours été impressionné par le fait qu’il parlait parfaitement cette version du nengone que l’on appelle le iwateno. Cette langue est utilisée pour marquer le respect, lorsqu’on s’adresse à un chef ou lors des cérémonies coutumières particulières. Ses enfants Phillipe et Michel ont gardé cette fierté d’être de Maré. Phillipe a eu ces derniers temps des problèmes de santé et a dû subir plusieurs interventions chirurgicales en Australie. Il m’a dit un jour « Nous les Maréens, nous sommes des durs à cuire. Nous ne baissons pas les bras facilement ! » et c’est lui qui m’a encouragé à aller en Australie pour ma propre maladie.
Walles Kotra : C’est ce type de relation qui préfigure selon vous la Calédonie de demain ?
Nidoish Naisseline : Ce n’est pas la Calédonie de demain cette Calédonie est déjà là devant nous. C’est notre réalité d’aujourd’hui et si vous circulez dans le pays, vous trouverez des histoires comme celle des Pentecost dans tous les villages, dans toutes les tribus, tous les quartiers. Il y a un monsieur Pene qui a longtemps été président de la chambre d’agriculture. C’était un copain de mon père et quand j’étais gosse il me sermonnait comme un vieux de la tribu : « N’hésite pas il faut que tu partes en France pour tes études et que tu reviennes avec tes diplômes parce que notre pays a besoin de cela ! » Beaucoup plus tard lorsque nous avons organisé la première foire agricole des îles avec un succès populaire monstre, il est venu à Maré et il m’a longuement serré la main. J’ai senti qu’il voulait me dire : « Tu vois c’était finalement utile que je te bouscule un peu ! Je suis fier de ce que vous avez réalisé parce que c’est bien pour notre pays. »
Walles Kotra : Ce sont ces petits échanges là que nous ne valorisons pas. Et puis à Guahma, il y a le fait que Cas, le nouveau grand chef se marie avec une calédonienne d’origine européenne de Houailou ?
Nidoish Naisseline : Un journaliste m’a dit un jour : « Est-ce que je peux demander à votre fils si c’est normal qu’un chef Kanak se marie avec une fille caldoche » J’ai éclaté de rire parce que cela fait si longtemps que de tels mariages se font chez nous. Il fallait simplement ouvrir les yeux et ne pas s’enfermer dans des représentations toutes faites.
Walles Kotra : C’est vrai que nous-mêmes, les Calédoniens, nous ne valorisons pas ces relations mixtes.
Nidoish Naisseline : Regardez l’itinéraire du vieux Brown qui a fait partie des commandos SAS. Dans le film le bataillon du ciel Marcel Mouloudji joue le rôle d’un soldat Kanak qui n’hésitait pas à se battre dans les bistrots. C’est un peu son histoire. Le vieux Brown, nom transformé en Maré en Baraone, est un métis mais c’est un Maréen et nous sommes fiers de lui.
Walles Kotra : Et puis il y a ces communautés de Maré qui ont voyagé et qui se sont implantés un peu partout.
Nidoish Naisseline : Il y a par exemple à Poum, Pa Gutiti, Pa Jejen et plusieurs familles qui après plusieurs générations continuent à parler le Nengone couramment là-haut, tout à fait au Nord de la Nouvelle Calédonie. Ils ont même gardé le totem des gens de Mebuet : le wadrong, la buse. Quand on arrive chez eux, on se sent chez nous et il y a une véritable affinité. Ils sont de Poum et de Maré. Ils vivent cela comme une et cela n’étonne personne. C’est le cas également au Vanuatu où vit une communauté de Maréà Erakor. Un jour je me promenais à Port Vila, j’ai entendu une belle chorale et en tendant l’oreille, je me suis aperçu qu’ils chantaient en Nengone.
Walles Kotra : Quelle leçon tirez-vous de tout cela ?
Nidoish Naisseline : Au moment où l’on s’interroge sur la citoyenneté calédonienne, il est important de voir que celle-ci est déjà l’œuvre. Il y a eu c’est vrai cette vison coloniale qui a longtemps prévalu, qui s’est propagé dans les têtes et instauré tout simplement la ségrégation. Il ne fallait pas se marier avec un bagnard. Il ne fallait pas avouer que sa grand-mère était Kanak. C’était une société basée sur le rejet de l’autre, sur l’exclusion mais la vie, le temps, et la culture kanak ont impulsé autre chose. Assumons-le. Lorsque des gens, pour m’impressionner, se revendiquent citoyens du monde, j’ai l’air un peu plouc avec ma nationalité petitement française et mon identité minusculement kanak calédonienne. En réalité, nous sommes déjà des citoyens du monde parce que notre identité est ouverte et que nos relations embrassent une partie universelle. Je crois que la seule différence c’est que pour nous « citoyen du monde » est un vécu et pour eux, c’est soit un concept soit un programme de voyage. C’est un peu comme certains écolos qui viennent nous faire la leçon sur notre lagon classé patrimoine mondial de l’Unesco. Difficile de leur faire comprendre que pendant que leur pays polluaient le monde, nous vivions en complémentarité avec la nature et les esprits. Et cela dure depuis 2000 ans.
source : https://presencekanak.com/2020/02/07/nidoish-naisseline-de-coeur-a-coeur/












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