Réflexion sur le projet de taxation des exportations de minerai

Pourquoi est-il est important de taxer différemment le minerai exporté à des entreprises étrangères et le minerai exporté à des entreprises off-shore qui appartiennent en tout ou partie à des intérêts calédoniens ?

Une évidence : longtemps et principalement utilisé pour la production de l’acier inox, le nickel se voit aujourd’hui ouvrir de nouveaux débouchés. Une « révolution électrique » a commencé. Elle pourrait bien devenir la source majeure de la demande en minerai, tant les besoins sur les prochaines années s’avèrent massifs à l’échelon international. Face au réchauffement climatique, il faut impérativement trouver des alternatives aux carburants fossiles et aux moteurs thermiques.

Avec 25 % des réserves mondiales de nickel, la Nouvelle-Calédonie a une place à prendre au plan géopolitique en plus d’un rôle de premier plan à jouer sur le marché mondial. L’Europe est prise dans la tension grandissante entre une Chine, de plus en plus présente en Indonésie, et des États-Unis, de plus en plus tentés par les sirènes du protectionnisme et de l’impérialisme. Le vieux continent est à la recherche de mesures d’urgence, durables, respectueuses de l’environnement et des droits humains, lui permettant de répondre au défi de la transition énergétique.

Et c’est ici que la Nouvelle-Calédonie a une carte à jouer. C’est un pays qui a l’immense avantage de développer une production minière et industrielle répondant aux valeurs, normes et critères européens. Mais, et c’est là un problème, du fait des distances et de son organisation économique, c’est aussi un pays qui a pour inconvénients les coûts de l’énergie et de la main-d’œuvre. Si la Nouvelle- Calédonie entend prendre toute sa place dans la « révolution électrique » qui s’annonce, c’est en ces domaines qu’il va lui falloir d’abord agir. Le temps presse.

Le vieux modèle de l’économie de comptoir

Tous les fondeurs qui n’ont pas pris en compte cette nouvelle réalité et investi en conséquence, sont aujourd’hui en difficulté ou ont disparu. L’enjeu est clair. En Nouvelle-Calédonie, il existe un minerai traitable localement – les moyens existent, même s’ils demandent à être améliorés – et un minerai non traitable dans le pays du fait de sa faible teneur en nickel et de nos coûts élevés de production. Face à cette situation, deux attitudes sont possibles. La première consiste à dire et à faire croire que la matière première, le minerai, est sans réelle importance économique, que la valeur n’existe que dans sa transformation et que, compte tenu de la faiblesse de nos atouts et de nos moyens, c’est seulement à l’extérieur qu’il peut être traité et transformé – sans aucun retour financier pour le pays. C’est l’économie de comptoir. Tout ce qui sort du pays est perdu pour le pays.

Un nouveau modèle économique basé sur la valorisation de notre minerai

Une seconde attitude consiste à affirmer que ce même minerai de nickel est une richesse naturelle et une ressource économique dont peu de pays au monde disposent. Très nombreux sont actuellement les pays qui savent le transformer et consécutivement sont demandeurs de cette matière première redevenue ces dernières années un enjeu économique crucial. Pour les tenants de cette seconde attitude, le minerai de nickel est une richesse qui devrait nous permettre de construire, au niveau international, des partenariats gagnant-gagnant. Le nickel peut et doit devenir un levier de notre développement.

Le bon exemple de l’usine de Corée

L’usine construite en Corée par la SMSP, en partenariat avec Posco, donne un argument de poids aux défenseurs du nouveau modèle exposé plus haut. La simple assurance d’une fourniture régulière de minerai par la SMSP a permis aux intérêts calédoniens de posséder 51 % de cette usine, dont la valeur comptable est de 285 milliards de francs Pacifique. Qui peut encore sérieusement prétendre que la détention de matières premières n’offre à un pays qu’un seul choix, celui d’une archaïque économie de prédation qui trouve ses racines historiques dans les premiers âges de la colonisation, avec l’exploitation en Océanie du santal, des holothuries, des baleines et des cachalots ? Soulignons en passant que les technologies et les techniques modernes, mises en œuvre pour la réalisation de l’usine de Corée, ont eu un coût trois fois inférieur à celui qu’aurait eu sa construction en Nouvelle-Calédonie. Un coût qui a largement contribué à sa rentabilité et qui lui permet de fondre un minerai à faible teneur que le pays ne peut pas lui-même exploiter.

10,8 milliards de dividendes…

Hormis le fait que le pays dispose de 51 % du capital de l’usine coréenne (145 milliards), il faut rappeler – puisque d’aucuns feignent de l’ignorer – que celle-ci a reversé des dividendes à la Nouvelle- Calédonie : 10,8 milliards de Francs CFP pour les 479 000 tonnes de nickel contenu dans le minerai qui lui a été livré. Si l’on applique le même raisonnement au minerai exporté, mais pour lequel la Nouvelle- Calédonie n’a rien perçu en retour sur sa transformation, ce sont environ 15 milliards de francs CFP de dividendes que la Nouvelle-Calédonie n’a pas perçus sur les 660 000 tonnes de nickel contenu dans les millions de tonnes exportés depuis 2008. Quinze milliards de dividendes que la Nouvelle-Calédonie a perdus, sans compter les 51% (minimum) qui auraient pu lui être acquis, du capital des usines étrangères auxquelles elle a fourni ce minerai.

L’Indonésie a tout compris

L’Indonésie a très vite compris la leçon. Elle, qui faisait partie des tout premiers exportateurs de minerai au monde, a pris des dispositions obligeant à ce que la transformation se fasse chez elle. Les Philippines, autre grand exportateur, sont aujourd’hui en train de prendre les mêmes dispositions. Il en va de même aux USA à travers leur programme IRA (Inflation Réduction Act : Acte de réduction de l’Inflation) qui vise à faire venir chez eux des industriels qui transformeront le minerai sur le sol américain. Des subventions massives sont prévues à cet effet, l’enveloppe se monte à ce jour à 369 milliards de dollars US.

Deux taux : une question de bon sens !

Le défi est clair, il importe maintenant de le relever. Ne pas différencier le taux de la taxe à l’exportation des minerais selon qu’elle sera sans retour financier lié à leur transformation ou avec retour pour le pays serait non seulement absurde, mais encore totalement suicidaire dans la conjoncture actuelle. La logique économique qui s’impose ici ne relève pas d’une politique de droite ou de gauche, d’une idéologie indépendantiste ou non indépendantiste. Elle est tout simplement une question de bon sens et de prise en compte de l’intérêt général. Peut-on en Nouvelle-Calédonie faire preuve de bon sens et œuvrer pour l’intérêt général par-delà les divergences partisanes ?

L’excuse avancée par certains – pas toujours ceux qu’on attendait – d’un risque de rupture d’égalité devant la loi, n’est pas recevable et relève de l’incompréhension ou de la mauvaise foi. L’amendement proposé n’est pas une demande d’exonération, mais une demande d’un taux de taxe différencié légitimé par un modèle de valorisation des ressources naturelles selon les rapports liés à leur exportation. C’est la reconnaissance qu’un avantage fiscal doit être accordé aux exportations qui favorisent les retours d’argent dans le pays et participent à son développement. Le Congrès a déjà pris de nombreuses décisions dans le même sens. Pourquoi pas avec le minerai de nickel ?

Le mauvais argument du risque juridique

Récemment, le texte de la loi sur l’amodiation a prévu une exonération de taxe (franchise d’impôt) sur la plus-value constatée lors de la réévaluation des titres miniers cédés. La mesure n’est applicable qu’aux seules cessions réalisées dans le cadre de ce régime spécial. Et depuis 2020 toutes les autres cessions de titres sont taxées au droit proportionnel. Compte tenu de la valeur des gisements, ces droits peuvent être très conséquents. Autre exemple : le taux de la CSS (Contribution solidarité sociale) applicable en sus de l’IRVM (Impôt sur le revenu de valeur mobilière) portant sur les distributions de dividendes est en principe de 4%. Une exception est faite pour les dividendes payés à une société non- résidente, le taux est alors de 5%. On peut aussi mentionner le pacte de stabilité fiscal que le Congrès a voté à l’unanimité.

Rappelons également l’adoption à la quasi-unanimité par le Congrès en décembre 2005 et mars 2006, des lois de pays instituant des mesures fiscales de faveur à l’usine du Nord, afin que celle-ci passe de l’état projet à celui de réalité industrielle et économique. Ces mesures s’ajoutaient à celles précédemment votées en faveur de la SLN et de l’usine du Sud. En 2007, des incitations fiscales étaient aussi votées à l’unanimité par le Congrès pour la création d’usines offshore sous condition que les intérêts calédoniens représentent au moins 35 % du capital de ces usines.

Dans tous les cas cités, le risque de rupture d’égalité devant l’impôt n’a jamais été avancé, encore moins pris en compte. À chaque fois le conseil d’État, garant de la légalité des actes de notre Congrès, a même souligné, afin d’évacuer toute idée d’un risque d’inégalité devant l’impôt, la notion d’intérêt général défendue par les textes. Comme quoi, on peut en Nouvelle-Calédonie faire preuve de bon sens et œuvrer pour l’intérêt général par-delà les divergences partisanes !

Alors quelles sont donc les véritables raisons du débat actuel et de ses incohérences ? Disons qu’elles sont liées à un manque d’information et de compréhension de certains et qu’une fois le problème résolu, il y aura une majorité au Congrès de notre pays pour faire une fois encore le choix de l’intérêt général.

Cercle du Croissant, 19 avril 2023

Crédit photo : Association Présence Kanak

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