Dans cette 8ème édition, Christine SALOMON, anthropologue connue pour ses recherches sur les mobilisations féministes et les luttes des femmes Kanak. Avec elle, nous discutons de son article « Réponses aux violences de genre en Nouvelle-Calédonie : familialisme et inaction politique », publié en 2021 dans la Revue « Les Cahiers du genre ». Un article qui interroge l’efficacité des politiques publiques et qui pointe les failles d’un cadre de réflexion, emprunt d’un héritage colonial et sans doute d’un déni d’une auto-critique de la société, qui alors donnent lieu à de faibles réponses aux violences de genre en Kanaky-NC.
En Kanaky/Nouvelle-Calédonie, les femmes Kanak sont surexposées aux violences de genre, un phénomène qui relève de plusieurs facteurs :
- des normes inégalitaires entre les hommes et les femmes ;
- des normes de religion qui acceptent un certain degré de violence ;
- des facteurs individuels (une victime qui a grandi dans un climat de violence ou qui a subi des violences sexuelles durant l’enfance et l’adolescence se retrouve généralement avec un conjoint violent) ;
- des facteurs liés à l’entourage familiale immédiat de la femme (si le conjoint boit alcool en excès, si la femmes est isolée sans ami, n’a aucune autre activité en dehors du couple, est enfermée dans la relation) ;
- des facteurs macro-sociaux (pauvreté isolement géo, accès difficile aux service santé ,justice social, faible niveau d’éducation femmes rurales plus exposées) ;
- des facteurs liés à l’histoire coloniale (brutalisation des rapports sociaux, mise en minorité et marginalisation des Kanak).
Caractéristiques des féminicides en Kanaky/Nouvelle-Calédonie
Les Kanak sont sur-représentés et les auteurs comme les victimes sont jeunes (moins de 25 ans) alors qu’en France ce phénomème touche particulièrement la tranche des 40 à 49 ans. On constate un acharnement des auteurs à détruire leurs victimes avec un déferlement de violences inouï. Les motifs de cette violence sont mineurs voire ridicules et déclenchent pourtant la fureur du conjoint (fumer la dernière cigarette du paquet par exemple…). D’ailleurs, les auteurs n’invoquent pas une dispute qui aurait mal tourné, les auteurs expliquent que leurs victimes les auraient énervés, sous-entendant par là, qu’elles n’était « pas assez obéissantes ».
Sur le traitement des violences à l’égard des femmes, en Kanaky/Nouvelle-Calédonie
La réponse politique a toujours été faite sous une perspective familialiste : les mesures ne remettent pas en cause les rôles sociaux au sein de la famille qui attribue à l’homme un rôle de commandement à tous niveaux. La famille est alors présentée comme une institution sacralisée, immuable dans le temps qui aurait échappé à l’histoire et dont il s’agirait d’éviter les dysfonctionnements.
Au milieu des années 2000, une période brève de réponse féministe (partant du constat que les filles et les femmes sont victimes de la violence produite, outil de la domination patriarcale. Une réponse féministe va déconstruire les stéréotypes sexistes qui attribuent aux femmes des rôles et des comportements bien particuliers auxquels elles doivent se tenir) se dessine au sein du gouvernement Thémereau avec la vice-présidente Déwé Gorodé. Malheureusement les campagnes de conscientisation étaient ponctuelles, sans suite, sans réflexion sur les cibles, peu d’efforts ont été faits sur les actions de promotion à mener auprès des hommes concernant une masculinité non violente…
Christine SALOMON nous interpelle sur deux principaux points :
1- Le backlash, une régression des mesures prises pour lutter contre les violences faites aux femmes avec notamment la mise en place du droit coutumier qui prône une vision rigide de l’organisation sociale Kanak, et de son caractère patriarcale précolonial ;
2- La place croissante accordée à la pénalisation interpelle dans un contexte clivé en KNC où on sait que le taux d’incarcération concerne les Kanak (90% à 95%). Les politiques répressives rappellent le cas des quartiers noirs aux USA où les hommes sont systématiquement arrêtés et jugés pour violences conjugales sans dépôt de plainte. Pourtant des recherches ont montré que cette mesure n’a pas d’effet significatif sur la récidive.
Au regard de cet exemple, on peut s’interroger sur la pertinence de politiques répressives défendues par certains représentants politiques loyalistes. Cela contribue en quelque sorte à la criminalisation de la vie quotidienne Kanak alors qu’une mobilisation pour changer les conditions socio-économiques, et changer les normes de genre, facteur de violence, serait plus efficace.
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