« La lecture d’Anaïs » est une chronique littéraire présentée par Anaïs Duong-Pedica, dans le podcast « La Pause Décoloniale » . Dans cette chronique diffusée le 10/03/2022 sur Radio Djiido en Kanaky-Nouvelle Calédonie, Anaïs nous présente l’ouvrage de Françoise Vergès « Une théorie féministe de la violence : pour une politique antiraciste de la protection ».
Dans cet ouvrage, Françoise Vergès nous propose de sortir d’une image binaire de la violence qui est illustrée par d’un côté des hommes bourreaux et de l’autre des femmes victimes, en montrant notamment comment la violence n’est pas seulement le résultat de la domination masculine mais, je la cite : « d’un système qui fait de la violence un mode de vie et d’existence, qui l’institut comme seul mode de relation ». Plutôt que de criminaliser certains hommes, elle nous invite à contextualiser les violences sexistes et sexuelles dans l’histoire de l’impérialisme, du capitalisme et du racisme. Cela passe par une mise en lumière du fait que l’État joue un rôle majeur dans l’organisation et la perpétuation des violences contre les femmes, les pauvres et les personnes racisées, et ce en tant qu’institution économique et politique qui produit et reproduit les oppressions et exploitations impérialistes, patriarcales et capitalistes, à travers notamment des politiques de précarisation, d’épuisements des corps, de la terre et des mers.
A travers son argument, Françoise Vergès nous encourage à ne pas accepter le discours étatique des « violences faîtes aux femmes ». Elle nous pousse à élargir notre compréhension de la violence. Elle parle par exemple des inégalités dans l’accès à l’eau, au savon, à l’habitat écologiques comme de la violence perpétrée par l’Etat dans sa non-redistribution des ressources. Elle écrit : « s’attaquer aux violences contre les femmes c’est s’attaquer à la violence de l’Etat et du capitalisme qui maintiennent l’impunité des violences contre les femmes et les racisées. Le confinement a rendu visible, s’il le fallait, le fait que la maison n’est pas un refuge – dans tous les pays il y a eu une augmentation des appels signalant des violences. Mais si ces violences peuvent se dérouler dans n’importe quelle maison, bourgeoise ou pauvre, les habitats des classes populaires, mal construits, étroits et laissés à l’abandon par les pouvoirs, les accroissent. »
Françoise Vergès souligne le fait que ces dernières années on observe une multiplication de mesures, de lois, et de déclarations sur la protection des femmes et des enfants qui sont introduits en même temps qu’une précarisation, une vulnérabilisation et une augmentation de la violence contre les femmes et les enfants. Pour Françoise Vergès, ce n’est pas un paradoxe mais le résultat de choix politiques de l’Etat qui tracent des frontières entre les femmes qui ont le droit à la protection – les femmes blanches bourgeoises des Nords – et celles qui en sont exclues – les femmes pauvres, racisées, autochtones – et entre les enfants qui ont le droit à l’enfance et les enfants dont l’enfance est criminalisée. Elle parle notamment de « ces enfants que la police et le tribunal appréhendent comme des adultes, qui sont exclus du système éducatif, ces jeunes adolescents qui doivent prouver leur âge pour être considéré comme mineur ». Cela fait notamment écho au discours racistes et coloniaux autour de la « délinquance » que l’on retrouve dans beaucoup de pays par rapport aux jeunes hommes et garçons racisés et autochtones notamment au pays. Par exemple, en 2020, les enfants aborigènes et Torres Strait Islanders en Australie avaient 17 fois plus de chance d’aller en prison que les autres enfants, des prisons où ces mêmes jeunes sont maltraités et violentés par les gardes. Elle fait donc référence à une politique de protection de l’Etat raciste et patriarcale qui repose sur une distinction entre celles et ceux qui ont droit à la protection et celles et ceux qui n’y ont pas droit.
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